Depuis une dizaine d’année, la démondialisation a nourri tous les fantasmes. Retour à une économie juste pour les uns, fin de l’utopie néolibérale pour les autres, ou encore cauchemar pour l’économie mondiale…  C’est peu dire que si la démondialisation cristallise les débats elle peine à trouver une définition claire. Le terme démondialisation a en effet changé de sens par rapport à l’idée que s’en faisait son inventeur Walden Bello au début du XXIe siècle. D’alternative à la mondialisation, elle est devenue sa marche arrière. Aujourd’hui, certains pensent que celle-ci est en route, mais quelle est la réalité derrière cette croyance ?

À l’origine, la démondialisation est imaginée comme une alternative à la mondialisation

À la fin des années 1990, la mondialisation libérale a encore des effets paradoxaux sur l’économie des pays émergents. D’un côté, elle permet l’enrichissement des populations et l’apparition d’une classe moyenne. L’extrême pauvreté diminue fortement alors que les conditions de vie s’améliorent avec les perspectives d’avenir de ces nouvelles économies. Pourtant des scientifiques et des économistes s’inquiètent de l’impact de l’ouverture des marchés sur l’économie des pays émergents. A titre d’exemple, la physicienne Vandana Shiva est auteur d’un pamphlet contre l’industrie agroalimentaire occidentale intitulé Le terrorisme alimentaire et publié en 2001. Elle y dénonce la dépossession des populations locales de leur terre par les FTN venues des pays développés et l’abandon des cultures vivrières au profit de culture de luxe (coton, tabac) à destination des pays du Nord. Ce constat est partagé par l’économiste philippin Walden Bello. En 2002, il publie Deglobalization: ideas for a new world economy. Pour Bello, la mondialisation et ses excès dus à un manque de régulation par les pays développés entre autres entraînent une perte de contrôle des marchés par les pays émergents. Il propose donc le retour à une économie centrée sur des circuits courts. La démondialisation prônée par Walden Bello n’a rien d’un retour en arrière brutal. Elle ne signe pas la fin du commerce mondial mais cherche simplement à raccourcir les circuits de productions.

À partir de 2008, la démondialisation désigne un retour en arrière

Toutefois, la crise financière de 2008 devenue crise économique globale fait le lit des opposants à la mondialisation. Dès lors, démondialisation signifie retour du protectionnisme. Le terme est popularisé en France par le socialiste Arnaud Montebourg durant la campagne pour les primaires en 2011. Il est notamment auteur de Votez la démondialisation ! Arnaud Montebourg justifie la démondialisation comme un moyen à la fois de protéger les systèmes de protections sociales dans les pays développés mais aussi un moyen de développer les marchés intérieurs dans les pays émergents. Démondialiser c’est relocaliser et protéger, mais aussi définanciariser. Il n’y aurait plus aucun sens de produire à plus de 20 000 km quand on connait la menace qui pèse sur l’environnement. La démondialisation a été aussi reprise par l’extrême droite, ici et ailleurs. Pour continuer sur la France, Marine Le Pen et le Front National ont prôné un retour du protectionnisme pour protéger l’ouvrier français face à l’ouvrier chinois. La différence se joue cependant sur la motivation. La démondialisation prônée par Arnaud Montebourg est avant tout européenne et reste ouverte au monde. Elle n’est pas un repli. La démondialisation prônée par Marine Le Pen et l’extrême droite est motivée par le nationalisme. C’est la France contre le monde. Bien qu’elle soit revenue dessus, quitter la zone euro et l’Union Européenne montrait cette volonté de jouer seul.

Depuis quelques années, le protectionnisme a trouvé un important écho au sein des populations. En Europe, le parti d’extrême-droite autrichien FPÖ dirige avec la droite traditionnelle depuis 2017 ; en Europe de l’Est la Hongrie de Viktor Orban ou la Pologne sont sur une ligne de plus en plus hostile. En France le Front National et la France Insoumise accumulent à eux deux près de 40% des voix. Néanmoins le plus bel exemple de succès de la démondialisation dans l’opinion populaire reste l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. L’homme d’affaires qui a paradoxalement beaucoup bénéficié de la mondialisation a fait campagne sur l’idée qu’il allait ramener les « jobs » aux Etats-Unis. Il a notamment affiché sa volonté de renégocier les différents traités de libre-échange qui lient les Etats-Unis ou d’abandonner ceux qui étaient en négociation. Chose promise, chose due, il abandonne le TTP peu après sa prise de fonction en Janvier 2017 et annonce par la suite sa volonté de renégocier l’ALENA, accords de libre-échange associant les Etats-Unis, le Mexique et le Canada depuis son entrée en vigueur en 1994. Il a aussi su faire preuve de persuasion pour convaincre Ford d’abandonner son projet d’ouvrir une nouvelle usine au Mexique. Dans cette élection, certains ont cru voir le début de la démondialisation.

La démondialisation a-t-elle commencé ?

Arnaud Montebourg affirmait déjà que la démondialisation avait commencé. Tout comme Jacques Sapir, auteur d’un ouvrage au titre éloquent La démondialisation (2011). Jacques Sapir affirmait que les Etats étaient de retour et que les mesures protectionnistes se multipliaient. En 2009, les grands Etats pensaient avoir éloigné le spectre du retour au protectionnisme, comme ce fût le cas après la crise de 1929, au sommet du G20 à Londres. En réalité, 17 des 19 Etats représentés (l’Union Européenne bénéficiant d’une représentation) ont pris des mesures protectionnistes suite à ce sommet. Certains avancent aussi un reflux du commerce mondial. Dans son rapport Perspectives de l’économie mondiale d’avril 2016, le FMI s’inquiétait ainsi d’une « croissance trop faible depuis trop longtemps » avec 2,8% en moyenne. Une chose est vraie : le commerce mondial en volume diminue. Sur le premier semestre 2017, cela correspond à une baisse de 1% des échanges. On constate notamment que depuis 2015 le commerce extérieur américain diminue (ce qui est inédit en période de croissance). L’économiste américain David Lubin responsable des marchés émergents pour le groupe Citi explique même que ce tassement est une réalité depuis cinq ans. Différentes causes peuvent expliquer ce reflux selon l’OMC : protectionnisme rampant, économique numérique, ou contraction de la chaîne de valeur mondial. Ainsi certaines entreprises commencent à rapatrier leur production à l’instar d’Adidas qui a relocalisé ses usines en 2016 après un séjour à Taïwan et en Chine continentale.

Les critiques les plus acerbes diront que la mondialisation est morte avec l’échec du cycle de Doha. Ce cycle de négociations dans le cadre de l’OMC s’est soldé par un échec des nations sur les mesures à prendre, ce qui a marqué un coup dur après l’Uruguay Round qui avait vu la création de l’OMC puis la libéralisation des services. Néanmoins, les quatre autres indicateurs de la mondialisation (avec le commerce mondial en volume) sont tous au vert. La croissance des IDE, l’accumulation financière de capitaux de court-terme, la multiplication des brevets et les migrations internationales ont toutes progressé en 2016 et 2017. D’ailleurs à l’échelle mondiale la plupart des dirigeants se prononcent favorablement à plus de mondialisation. C’est l’une des conclusions du sommet du G20 qui s’est tenu à l’automne 2016 à Huanghzou, en Chine. A l’occasion de l’édition 2017 du Forum de Davos le président chinois Xi Jinping avait fait l’éloge de la mondialisation et invité tous les pays à se jeter dans « l’océan » qui avait permis le formidable enrichissement de la Chine. Une critique en réponse à l’attitude de Donald Trump venant d’un pays pourtant encore très protecteur. Il faut dire, comme le pense David Lubin, que les pays émergents n’existent que grâce à la mondialisation. Pour être plus exact, on ne parle de marchés émergents que dans le cadre de la mondialisation ; la définition originelle imaginée par la banque Goldman Sachs mettant en évidence surtout la présence d’une bourse.

Faut-il craindre la démondialisation ?

Il n’est pas tout à fait clair que la démondialisation est une réalité. Cette simple idée effraie la plupart des observateurs. En effet, les précédents historiques à l’image de la crise de 1929 marquent toujours les esprits. A l’époque les nations s’étaient enfermées dans une spirale protectionniste (Tarif Smoot-Hawley aux Etats-Unis) et s’étaient livré une guerre monétaire qui avait abouti sur la Seconde Guerre mondiale. Cette perspective inquiète particulièrement le très libéral essayiste et géopoliticien français Nicolas Baverez. Dans une chronique parue dans le Figaro à l’hiver 2017, il rappelle que « la démondialisation est beaucoup plus dangereuse que la mondialisation ». Preuve à l’appui : la contraction du commerce mondial au début du XXe siècle, fruit du nationalisme, a abouti sur la Première Guerre mondiale alors que la mondialisation « a réussi ce que le Tiers-mondisme avait rêvé et systématiquement échoué à réaliser : faire sortir 1,2 milliards de personnes de la grande pauvreté en un quart de siècle et réduire de près d’un tiers les écarts de richesse entre les nations ». Pire, la démondialisation serait tout simplement pour lui impossible tant les économies sont devenues interdépendantes. Renégocier tous les accords multilatéraux serait impossible, eut égard de la difficulté à renégocier les simples liens entre l’UE et le Royaume-Uni suite au Brexit.

Pourtant, un économiste qui affirme qu’au contraire la démondialisation serait très facile et ce pour une simple raison. La mondialisation n’est qu’un mythe. Pankaj Ghemawat, professeur à la Stern School of Business de la New York University affirme ainsi qu’en réalité le commerce mondial ne représente que 20% du PIB mondial ou que seul 3% de la population vit en dehors de son pays d’origine. Bien loin de ce qu’on pourrait attendre de la mondialisation. Dans tous les cas, aujourd’hui le vrai risque est celui d’une démondialisation avancée indépendamment par les Etats qui risquerait de lancer une guerre économique.

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