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La semaine dernière, le concours BCE annoncait son intention de redonner du sens aux différentes filières des prépas économiques et commerciales – ECS, ECE et ECT – en réformant les règles de passage des concours. L’objectif affiché est clair : mettre fin aux pratiques de certains candidats qui passe les concours dans une filière qui ne correspond pas à leur background académique, et ce généralement avec l’appui des établissements privés hors contrat.

Afin d’éclaicir certains points encore nébuleux, nous avons sollicité Alain Joyeux et Quentin Leroux, respectivement président de l’APHEC et de l’ADEPPT – qui représente la filière ECT – pour qu’ils répondent à nos questions sur cette réforme qui marque un tournant dans l’histoire des concours de la filière EC.

Pour commencer, pouvez-vous détailler les mesures décidées la semaine dernière par la BCE ?

A. J : L’inscription au concours ECT est réservée aux candidats titulaires d’un baccalauréat technologique, technique ou professionnel. Un candidat ayant passé le concours dans une voie ne peut pas le retenter dans une voie différente. Enfin il n’est plus possible de tenter le concours à la fin d’une première année de CPGE puisqu’il faut justifier de l’obtention de 60 ECTS au moins pour s’inscrire au concours, quelle que soit la voie.

Qu’est-ce qui a motivé cette décision du « cloisonnement » des filières ?

A. J et Q. L : La voie ECT recrute des profils d’étudiants spécifiques du fait de leur BAC technologique. Elle leur propose des enseignements et des épreuves adaptés à leur acquis dans l’enseignement secondaire.  Que des bacheliers S et ES passent le concours ECT constitue donc un détournement de l’identité de cette voie technologique et prive de place les étudiants pour lesquels elle est destinée. Notons qu’en 2016, sur 11 lauréats du concours ECT à l’ESSEC, il n’y avait que deux “vrais” ECT, les autres étaient des bacheliers S et ES. De plus, nous avons appris que certains établissements privés avaient ouvert des classes préparant au concours ECT uniquement remplies avec des bacheliers S et ES. C’était une véritable trahison du système et un risque pour toute la filière.

Quel a été le rôle et l’importance de l’APHEC et de l’ADEPPT dans la mise en place de cette réforme ?

A. J : L’APHEC milite depuis des années pour cette réforme. Dans le cadre du groupe de travail sur le continuum CPGE-GE qui associe depuis novembre 2016 l’APHEC, l’APLGPGE et 17 grandes écoles, nous avons rappelé l’urgence d’une telle régulation et nous avons rencontré un écho très favorable de la part de tous les acteurs de la filière.

Q. L : L’ADEPPT milite également pour cette réforme depuis longtemps, puisque sa nécessité a continuellement été rappelée à la direction des admissions et concours, sous les présidences successives de Thierry Debay, puis Philippe Régimbart. Nous saluons donc la décision annoncée par Christian CHENEL, nouveau directeur des examens et concours. Les collègues enseignant en CPGE ECT se plaignent depuis des années de la rupture d’équité introduite dans les concours par ces stratégies de contournement, qui constituent des pratiques déloyales.

Dans le communiqué de presse publié par la BCE, il est précisé que cette mesure favorisera l’égalité des chances, notamment en redonnant tout son sens à la filière ECT. Pouvez-vous expliciter ce point ?

A. J : Le taux de boursier en CPGE ECT est supérieur à 45%, loin devant les taux en ECS et ECE. La voie ECT permet donc la démocratisation du recrutement et offre la possibilité à des jeunes qui n’y auraient pas spontanément pensé au lycée d’accéder aux CPGE et aux plus grandes écoles. Il est donc très important de réserver à nouveau le concours ECT à ces étudiants qui viennent parfois de territoires ou de milieux sociaux où les taux d’accès aux CPGE sont traditionnellement moindres. Il est indispensable que notre filière puisse être aussi un ascenseur social.

Q. L : Au-delà de ces raisons liées à démocratisation et l’ouverture sociale du recrutement des grandes écoles, les stratégies de contournement contrevenaient à l’esprit du système des classes préparatoires et des épreuves de concours, fondé sur le cloisonnement des filières, et qui prévoit un mix entre des épreuves communes (en langues et culture générale) et  des épreuves spécifiques à chaque voie, pour tenir compte du parcours scolaire et des acquis des étudiants. Les stratégies de contournement amenaient donc au concours des étudiants avec un niveau supérieur dans certaines matières, en particulier en mathématiques, du fait de leurs acquis du lycée. Cela constituait une rupture totale d’équité.

Cela fait plusieurs années que cette stratégie de « faux ECE » et de « faux ECT » était connue de tous, dénoncée par beaucoup. Comment expliquer que cette réforme des concours ne soit actée qu’aujourd’hui ?

A. J : Il fallait absolument que le texte régulant l’accès au concours ECT soit juridiquement inattaquable. De multiplies précautions et vérifications ont donc été effectuées ce qui a pris beaucoup de temps. Le fait que le nombre de “faux ECT” soient de plus en plus nombreux a conduit à accélérer l’élaboration d’un texte ces derniers mois.

A ce sujet, pourquoi avoir laissé une marge de manœuvre aux étudiants titulaires d’un bac S, qui ne pourront donc plus passer les concours en filière T mais auront toujours la possibilité de s’inscrire en ECE ?

A. J : Parce que le flux de bacheliers S passant le concours ECE est marginal. Ajoutons que dans certaines prépas de proximité ou dans certains territoires, notamment outre mer, où l’offre de CPGE est plus réduite qu’en métropole, des classes d’ECE accueillent parfois un ou deux bacheliers S.

Pourquoi Ecricome n’a pas emboîté le pas de la BCE ? Pensez-vous que la banque d’épreuves qui réunit KEDGE BS et NEOMA BS entérinera une réforme similaire prochainement ?

A. J : Je l’ignore mais je ne vois pas pourquoi Ecricome n’adopterait pas prochainement la même mesure que la BCE. Quoi qu’il en soit, c’est une demande forte de notre part.

Q. L : L’ADEPPT espère vivement qu’ECRICOME suivra rapidement l’exemple donné par la BCE. Nous ne doutons pas que ce soit rapidement le cas.

Quid des prépas marocaines ? Pourront-elles continuer à inscrire en filière ECT des étudiants titulaires d’un bac proche du bac S français ?

A. J : Au Maroc, le gouvernement a pris en 2017 des mesures comparables au texte de la BCE. L’accès à la voie ECT est désormais encadré pour éviter les dérives que vous citez et nous n’avons aucune raison de mettre en doute la volonté de nos amis marocains de faire respecter cette mesure.

Ce changement de politique suppose également une zone grise : prenons le cas d’un étudiant titulaire d’un bac S, inscrit en filière ECT et qui achève actuellement sa première année de prépa. Lui sera-t-il permis de cuber s’il n’est pas satisfait de ses résultats à l’issue des concours de sa deuxième année ?

A. J : Oui, il n’est juridiquement pas possible de changer les règles en cours de cursus. Cet étudiant n’a donc aucune raison de s’inquiéter.

Avec la réforme annoncée du baccalauréat d’ici la fin du quinquennat Macron, les mesures prises aujourd’hui ne seront-elles pas bientôt caduques ? Comment cela a-t-il été anticipé du côté de la BCE ?

A. J : Le projet de nouveau Bac supprime les voies sauf pour le Bac technologique. Même si elle est ajustée en relation avec les futurs programmes du lycée, il n’y a aucune de raison d’envisager la remise en cause de la voie ECT, même après 2021. Plus largement, l’APHEC appelle aussi à la prudence sur les voies générales: les voies ECE et ECS correspondent à deux profils bien différenciés d’étudiants et il faudra veiller à ne pas réduire le vivier de recrutement des CPGE.

Enfin, comment s’assurer que certaines institutions (les prépas privées hors-contrat pour ne pas les nommer) ne mettront pas en place d’autres stratégie d’évitement pour permettre à leurs pensionnaires de passer les concours dans une filière qui n’est pas la leur ? Cela sera-t-il surveillé de près par des associations comme les vôtres ?

A. J : Comptez sur nous pour alerter tous les acteurs de la filière et notre tutelle si de telles stratégies apparaissaient. Mais nous comptons sur la raison des responsables et de nos collègues du privé hors-contrat pour éviter de déstabiliser notre filière par de telles pratiques.

Q. L : Il y a en effet d’autres zones grises que nous pouvons craindre, par exemple la pratique qui consisterait à faire passer un bac technologique à des titulaires d’un bac général… Nous serons vigilants car de telles pratiques seraient elles aussi contraires à l’esprit de notre système et à l’équité qu’il permet encore de préserver.