I- Statistiques

stats-contraction

 II – Présentation du texte

L’ouvrage sollicité en 2016 pour la contraction est un essai de Gaëtan Picon, intitulé 1863, naissance de la peinture moderne. Dans cet ouvrage, publié une première fois par Skira en 1974 avant d’être repris chez Gallimard en 1988, l’auteur explique pourquoi la peinture moderne naît avec le Salon des Refusés. Le premier chapitre rappelle quelles circonstances conduisent Napoléon III à autoriser la tenue de ce salon en marge du salon officiel. Le chapitre suivant distingue la nouvelle peinture de la peinture antérieure, en observant que l’une privilégie la perception quand l’autre privilégie l’imaginaire. Or, l’imaginaire traditionnel s’efface sous le Second Empire, avec des conséquences que décrit le troisième chapitre.

Le texte proposé aux candidats correspondait à la première moitié de ce chapitre, intitulé « Art et civilisation ». Donné sans coupure, il ne semblait pas présenter de difficultés particulières. Sa langue était d’une grande clarté, ses articulations étaient aisément perceptibles, le nombre de mots était d’environ 3500. Seule l’abondance des références pouvait troubler les candidats. Aussi le texte a-t-il été accompagné de quelques notes, selon le principe suivant : la contraction étant, comme la dissertation, une épreuve de culture générale, ces notes ne pouvaient concerner des événements ou des personnes qu’un étudiant curieux devait connaître.

Dans ce texte, l’argumentation de Gaëtan Picon se développe en trois temps. Des paragraphes 1 à 5, l’auteur montre pourquoi la nouvelle peinture est une expression de la société bourgeoise. Ainsi prend-il le contrepied de ceux qui considèrent que cette peinture, révolutionnaire sur le plan artistique, l’est également sur le plan politique. Pour étayer sa thèse, il se réfère ponctuellement aux régimes socialistes, qui – bien que politiquement révolutionnaires – cultivent un art conservateur. Des paragraphes 6 à 8, Picon observe que la véritable opposition entre la société bourgeoise et la nouvelle peinture est une opposition de nature, qu’elle est donc plus absolue qu’une simple opposition politique. Des paragraphes 9 à 14, il s’intéresse enfin aux liens de la nouvelle peinture avec la science et la sculpture modernes, ce qui lui permet de mieux saisir la spécificité de son objet.

1) Compréhension et restitution du texte par les candidats

Malgré la clarté de sa thèse, le texte de Gaëtan Picon a dérouté nombre de candidats, dont les difficultés ont été argumentatives et culturelles. Si claire fût-elle, l’argumentation de l’auteur était exigeante : aussi supposait-elle une attention soutenue aux points de vue formulés, une capacité à distinguer celui de Gaëtan Picon de ceux qu’il réfutait, à lire en d’autres termes avec recul et pertinence. Cette qualité, qui a valu aux meilleurs devoirs l’admiration des correcteurs, est restée rare. Le début du texte a été particulièrement malmené : nombre de candidats ont par exemple cru qu’à partir de 1863 la représentation picturale de femmes nues était interdite, alors que l’auteur expliquait qu’à partir de cette date on ne les représentait plus en Vénus. Les mêmes ont souvent confondu les trois types d’art que l’essayiste distinguait (art euphorique, art académique, nouvelle peinture). La suite du texte ne les a pas davantage inspirés : les considérations de Gaëtan Picon sur le contexte politique des années 1860 ont donné lieu à de multiples contresens, certaines copies érigeant la nouvelle peinture en fer de lance de la révolte sociale et politique, quand l’auteur mettait justement en garde contre ce raccourci abusif, véritable trompe-l’œil suscité par une coïncidence de dates. Un peu plus loin, certains candidats n’ont pas compris que Gaëtan Picon se démarquait de l’opinion commune, qui reliait les audaces de la peinture nouvelle aux avancées de la science moderne. L’auteur voulait au contraire souligner ce qui séparait ces deux activités humaines, en particulier dans leur rapport à la perception.

Un manque cruel de culture historique a également pénalisé les candidats. Plusieurs d’entre eux ont confondu Napoléon Ier et Napoléon III, alors que quarante-huit années séparent leurs débuts de règnes respectifs ; plusieurs ont cru contemporains la société bourgeoise évoquée par Picon et les régimes socialistes auxquels il se référait, comme si Joseph Staline appartenait à l’époque d’Adolphe Thiers ; la plupart ont révélé leur méconnaissance de la notion de bourgeoisie, qui était l’une des clefs de l’extrait. Le « génie bourgeois », « le mensonge bourgeois », « le refus bourgeois de l’emphase » : ces expressions ont rarement fait sens car, pour nombre de préparationnaires, « bourgeois » n’est qu’un synonyme de « riche ». La culture artistique souffre de lacunes plus profondes, qui ont fait de Meissonier le chef de file de la peinture nouvelle et qui ont souvent empêché les candidats de comprendre le huitième paragraphe, où Picon décrivait l’autonomisation de l’art dans la seconde moitié du XIXe siècle. Rien n’empêche pourtant les étudiants des classes préparatoires aux grandes écoles de se rendre au musée, de lire des ouvrages d’histoire ou d’histoire de l’art, de se familiariser avec les différents régimes du XIXe siècle grâce aux romans de Balzac ou de Zola, de découvrir l’impressionnisme avec le même Zola, dont L’Œuvre évoque précisément le Salon des Refusés. C’est d’ailleurs parce qu’ils possèdent cette culture que les meilleurs candidats ont su se démarquer : le jury salue leur curiosité et leur ouverture d’esprit.

2) Méthode

Les consignes formelles sont désormais connues et respectées, ainsi les dépassements sont-ils rares et souvent avoués. Mais il convient de rappeler quelques grands principes. La contraction doit refléter la structure du texte et son équilibre. Il ne faut donc pas 3 inventer une introduction lorsque le texte n’en comporte pas, pas plus qu’il ne faut éviter les difficultés. Les candidats qui ont choisi de survoler le huitième paragraphe – dense mais capital –, et qui ont étiré à l’excès une fin de texte nettement plus facile, ont été sanctionnés par le jury. Les transitions doivent pour leur part être soignées : le jury a par exemple valorisé les copies qui ont vu que le passage de la deuxième à la troisième partie s’opérait par analogie avec l’argumentation précédente. On rappellera enfin que la contraction de texte n’appelle aucun titre, et que les guillemets sont à proscrire : ils indiquent en effet que le candidat cite le texte, ce qui n’est pas conforme à l’exercice, ou qu’il sait que le mot qu’il choisit ne convient pas, ce qui est maladroit.

3) Expression

De manière générale, l’expression n’est guère plus soignée que les années précédentes. On condamnera notamment l’usage fréquent des néologismes (« bourgeoiserie », « symbolitique », « innovationiste », « légitimisation »), en invitant les candidats à utiliser les mots qui existent déjà (bourgeoisie, symbolique, innovant, légitimation). De manière analogue, on regrettera des confusions lexicales qui tiennent parfois à une recherche frénétique de synonymes (« impérialisme » pour « impérial », « finalisme » pour « finalité », « progression » pour « progrès »). On rappellera l’attention que mérite l’orthographe, surtout lorsque les mots malmenés appartiennent au texte (« sculture », « Beaudelaire »). Parmi les fautes les plus grossières, on signalera: « impressionnisme », « une statut », « quotidient », « innefficace », « plénétude », « exigente », « légitimitée », « anonyma », « abscence », « un soucis », « le soutient », « maléable », « le publique », « malgrés », « inutil », « géni », « pillier », « pécunier »

On observera pour finir que la technique de la contraction ne saurait justifier une syntaxe elliptique ou fautive. Ainsi les candidats doivent-ils renoncer à la tournure qui associe un adjectif à un pronom démonstratif (« la peinture bourgeoise, celle académique »). Ainsi doivent-ils comprendre que les subordonnants ont vocation à introduire des subordonnées qui, comme leur nom l’indique, dépendent d’une principale.

Conclusion

Nous tenons à féliciter les étudiants qui ont restitué avec élégance la thèse de Gaëtan Picon, en respectant ses nuances et en ne sacrifiant aucune de ses idées majeures. Nous invitons les futurs candidats à suivre leur exemple. Qu’ils se convainquent que la culture n’est ni un privilège de classe, ni un idéal suranné : elle est la marque d’un esprit libre, et une promesse d’épanouissement. 4 Proposition d’une grille d’analyse du texte.
 I] La peinture nouvelle comme expression de la société bourgeoise. (§1 à 5) A partir de 1863, le grandissement épique d’un modèle pictural devient impossible, Napoléon III renonçant lui-même à l’héroïsme, peu compatible avec l’esprit bourgeois qu’il représente. A l’âge épique, qui s’est éteint avec Napoléon Ier, succède ainsi un âge économique, où la répétition d’un événement le dégrade forcément et où l’action historique entend soumettre le monde à l’homme. Dans les régimes socialistes, qui partagent ce dessein, les représentations épiques des dirigeants ne sont guère plus convaincantes (§ 1). Le lien de la nouvelle peinture à la société bourgeoise est ambigu (§ 2). Celle-ci revendique un art léger et hédoniste, ou bien un art académique qui lui offre une image sérieuse et embellie d’elle-même. Elle valorise en outre un savoir-faire traditionnel, qui détermine le prix de l’œuvre (§ 3). A l’inverse, la nouvelle peinture refuse d’embellir ses sujets. Elle ne dénonce cependant pas l’ordre bourgeois, dont l’art académique trouve son équivalent dans l’art officiel des régimes socialistes (§ 4). Cette nouvelle peinture est au contraire liée à l’esprit bourgeois, qui aspire à la domination éclairée de l’homme sur le monde et qui récuse l’emphase, comme Manet dans ses portraits. Par son refus de l’héroïsme, l’art nouveau s’oppose finalement moins à la société bourgeoise qu’à un public bourgeois, jugé fermé aux choses de l’esprit (§ 5). II] La véritable opposition entre la société bourgeoise et la nouvelle peinture. (§ 6 à 8) Certes 1863 marque aussi les progrès des oppositions politique et sociale. Mais l’une aspire à cette valeur bourgeoise que constitue la liberté, quand l’autre s’attaque davantage à l’Empire qu’à la bourgeoisie, selon une singularité française. Or la peinture sociale suit le même mouvement, qui s’en prend aux injustices sans mettre l’accent sur l’ouvrier. Aussi n’est-elle pas plus politiquement révolutionnaire qu’elle ne l’est artistiquement (§ 6). L’opposition entre la société bourgeoise et la nouvelle peinture n’est pas politique : elle est ontologique (§ 7). Libérale par essence, la société bourgeoise exige que ses membres transforment la matière par leur travail, dans une optique utilitaire. Or le peintre moderne, dont les tableaux mettent l’accent sur l’éphémère, estime ainsi atteindre une utilité supérieure. La société bourgeoise se ferme donc à un art qui ébranle ses fondements, et qui s’autonomise de son côté avant de s’affirmer comme immanent (§ 8). III] La nouvelle peinture et les autres activités humaines. (§ 9 à 14) Les liens de la nouvelle peinture avec la science moderne méritent également examen (§ 9). Toutes deux rompent avec la conception usuelle de la perception, mais la perception des peintres modernes, loin d’obéir à l’abstraction scientifique, réhabilite la sensation (§ 10). On peut encore s’intéresser aux liens de la nouvelle peinture avec la sculpture (§ 11), qui ne connaît aucune transformation profonde. Certes, Carpeaux et Rodin livrent des œuvres qui heurtent le public, et dont les formes sont tendues et fluides, mais leur inspiration demeure traditionnelle (§ 12). Le conservatisme de la sculpture (§13) tiendrait selon Zola à son histoire. Pour Baudelaire, il résulterait de la liberté qu’elle laisse au spectateur, à qui le tableau impose au contraire un angle – même s’il le fait avec une relative souplesse (§ 14).