Cet article propose un corrigé du sujet « Mon corps », sur le thème de l’année des prépas commerciales.

Le concept clef de l’année, le corps, apparaît on ne peut plus explicitement dans ce libellé. La difficulté réside donc ailleurs, dans le fait que nous n’avons pas ici affaire à une question, mais à une simple phrase nominale. Il s’agit bien toutefois, comme pour tout sujet de dissertation, de dégager un problème implicitement contenu dans ces deux mots, même s’ils ne vous disent pas grand-chose à première vue.

Analyse du sujet

Une phrase nominale

Le sujet, donc, consiste en une simple phrase nominale constituée de l’adjectif possessif « mon » et du substantif « corps ». Il s’agit donc de s’interroger non pas sur la corporéité en général, mais sur la relation particulière qu’un certain « je » entretient avec un corps déterminé. L’air de rien, ces deux mots nous dirigent donc bien vers un champ d’interrogation délimité au sein de la thématique générale du corps.

Gare à l’analyse hâtive !

Une première esquisse d’analyse, apparemment pertinente, pourrait se dérouler comme suit : le terme « mon » étant un adjectif possessif, le libellé du sujet suggère nécessairement un rapport de propriété extérieure entre un « moi » conçu comme âme-sujet et comme propriétaire, et un corps conçu comme objet et comme propriété. Vous aurez remarqué que c’est un tel présupposé qui sous-tend par exemple l’argumentaire féministe contemporain et donne lieu à des slogans comme « Mon corps, mon droit » ou bien « Mon corps m’appartient ». C’est une position possible, mais ce n’est pas la seule, et il sera nécessaire d’envisager les autres thèses sur la question.

Une remarque simple permet de mettre en lumière la superficialité et même le caractère erroné d’une analyse qui ne voit dans ce sujet que l’expression d’un rapport extérieur de propriété : il est tout aussi courant de parler de « mon âme » que de « mon corps », et pourtant on admettra que dans un tel cas, on ne veut pas suggérer une distinction entre un « je » d’une part, et son âme d’autre part, qui serait possédée par lui. Au contraire, le « je » s’identifie traditionnellement à l’âme, et chacun s’identifie spontanément à une entité non corporelle distincte de son corps. Il ne s’agit donc pas de distinguer d’emblée un « je » qui s’identifierait à l’âme et dont le corps ne serait sien qu’en vertu d’un rapport extérieur de propriété.

La pluralité des relations envisageables entre le « je » et son corps

L’adjectif possessif « mon », en effet, ne renvoie pas seulement à un rapport de propriété : je ne possède pas « mon père », « mon agresseur » ou « mon quartier », par exemple. Il n’est évidemment pas exclu de se demander si, en fait, le rapport du « je » au corps n’est pas un rapport de propriété extérieure qui lie l’âme au corps. Mais il est nécessaire d’explorer d’autres pistes avant de s’enfermer dans une problématique trop restreinte.

Dans un deuxième temps en effet, il est indispensable de s’interroger sur les autres espèces de relations possibles entre « je » et son corps : ce peut être un rapport de propriété comme nous l’avons vu, ce peut être un rapport d’inclusion (« je » ne serait qu’une partie d’un corps qui ne se résume pas à lui), ce peut encore être un rapport d’identité (il n’y aurait pas de distinction entre un « je » d’une part et un corps de l’autre, ils seraient une seule et même chose).

Il faut éviter enfin d’assigner trop vite une certaine nature au « je » et une certaine nature au corps. On risque d’assimiler sans réfléchir le « je » à l’âme et le corps à une réalité matérielle. Il faudra au contraire, pour approfondir le questionnement, ne pas présupposer la nature de ces deux entités, mais l’interroger.

Problématisation

Nous voilà donc en possession de toutes les pistes à partir desquelles doit se dessiner notre problématique générale : il faudra savoir, au cours d’une même réflexion, interroger la nature de la relation qui lie le « je » au corps (relation extérieure de propriété, relation d’inclusion, relation d’identité) en même temps que la nature du « je » et celle du corps. Sur cette base, nous pouvons choisir la problématique suivante, à la fois claire et suffisamment englobante : Suis-je ou ai-je un corps ?

L’alternative laisse ouverte la multiplicité des questions préalablement posées : on peut « être son corps » et donc s’identifier à lui, mais on peut aussi « avoir » un corps. Or le verbe « avoir », comme le terme « mon », peut renvoyer à une relation de propriété mais aussi à une pluralité d’autres, qui demeurent envisageables.

Plan détaillé

I – Je suis une âme qui possède un corps

1) Mon être véritable s’identifie à mon âme rationnelle, qui possède et dirige mon corps

Je suis une âme, et plus particulièrement une âme rationnelle qui possède un corps et le dirige. Mais ce rapport de propriété est un rapport conflictuel : l’âme appartient à la réalité intelligible et a pour rôle de conformer le corps à l’ordre intelligible ; le corps au contraire appartient à la réalité sensible et obéit à sa nécessité aveugle. Le « je » est donc une âme rationnelle propriétaire d’un corps réticent à se soumettre à ses ordres.

Références :

Platon, Phèdre

Platon, Timée

Platon, Phédon

Villon, La Ballade des pendus

2) Mon corps est donc une propriété, source de toute propriété

Distinguer l’âme et le corps permet de faire de ce dernier la première propriété de l’âme, la plus immédiate. Ce rapport peut être conflictuel en tant que le corps n’est pas spontanément soumis aux volontés de l’âme, mais il peut être positif en tant que le corps comme propriété première est la source médiate de toute propriété. Le corps est en effet, par le travail qu’il injecte dans les choses extérieures, la source de toute propriété.

Références :

Locke, Second traité du gouvernement civil

Marx, Manuscrits de 1844

La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants »

3) Mon corps et mon âme ne sont pas juxtaposés, mais fondus ensemble

Plutôt que de juxtaposer l’âme et le corps, de les unir par un lien simplement extérieur, on peut les concevoir comme très étroitement unis, comme « mêlés et fondus ensemble » selon l’expression de Descartes. L’âme perçoit les sensations qui touchent le corps et ressent ses passions. L’homme est alors non simplement son âme, mais cette unité indissociable de l’âme et du corps, sans être réductible à l’un ou à l’autre. Si l’on conçoit l’union de l’âme et du corps de cette manière, il n’est plus possible de réduire le « je » à une âme possédant un corps. Le « je » est au contraire l’unité de ces deux entités.

Références :

Descartes, Méditations métaphysiques

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain

II – Je ne suis qu’un corps

1) Réductibilité des affections et perceptions psychiques à des processus matériels

Ce qu’on attribuait autrefois à l’âme n’était que du physique inconnu. Tous les processus affectifs et perceptifs du moi sont réductibles à des rapports mécaniques entre éléments matériels. « Je » est donc réductible à un corps, qui n’a pour spécificité que d’être un automate très perfectionné.

Références :

La Mettrie, L’Homme machine

Resnais, Mon Oncle d’Amérique

2) Mon corps ne se distingue donc pas des autres réalités corporelles

Mon corps est donc, au même titre que les autres objets du monde, une chose matérielle, et il ne s’en distingue que par le degré de complexité de son organisation.

Référence :

D’Holbach, Système de la nature

III – Le double rapport du sujet au corps

1) Corps vécu et corps physique

Le corps se donne en réalité sous un double aspect : celui de la réalité physique construite par la science, et celui de l’expérience immédiate. Mon corps, loin d’être cet objet semblable à tous les autres que je perçois de l’extérieur, m’est connu de façon immédiate dans un rapport intérieur. Il y a le corps physique, entité matérielle et extérieure étudié par la science, et le corps vécu, immédiatement présent à l’expérience du sujet.

Référence :

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception

2) Le corps comme ma volonté et le corps comme représentation

Loin d’être la seule réalité de mon être, mon corps physique est même réductible à un simple phénomène (une apparence constituée par ma faculté de connaître). Ce qui caractérise mon être profond, c’est mon corps comme volonté, c’est-à-dire comme sujet affectif (et non comme être corporel).

Références :

Schopenhauer, La Quadruple racine du principe de raison suffisante

Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation

Aragon, « Elsa mon eau vive »

3) Le corps comme complexe de pulsions infra-conscientes

Toutefois, je ne suis pas un corps comme volonté au sens d’une unité psychique définie. Mon corps est bien essentiellement quelque chose d’affectif, mais c’est un ensemble de pulsions infraconscientes qui me déterminent bien plus que « je » ne les détermine. Ce « corps psychique » est lui-même réductible à un ensemble de processus pulsionnels. « Je » n’est qu’un résultat, il n’est que la surface de son corps qui est une unité complexe.

Références :

Nietzsche, Par-delà bien et mal

Freud, Introduction à la psychanalyse