Dans cet article, nous allons étudier le rapport de la Bible à la nudité. Si on garde souvent l’image d’une Église très conservatrice dans son rapport au corps humain, les textes sont en réalité nuancés, et offrent une clef de lecture subtile à travers les époques.

La Bible comporte deux volumes, l’Ancien et le Nouveau Testament, eux – mêmes divisés en plusieurs Livres. On indique une référence biblique en donnant : nom du Livre, chapitre, premier verset cité – dernier verset cité (par exemple Genèse, 3, 6-20 ici).

La découverte de la nudité au jardin d’Eden : dignité et malheur de l’homme

Genèse 3, version de Louis Segond, 1910

“6. La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea. 7. Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. 8. Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l’Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin. 9. Mais l’Éternel Dieu appela l’homme, et lui dit : Où es-tu ? 10. Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché. 11. Et l’Éternel Dieu dit : Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? 12. L’homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé. 13. Et l’Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé.14. L’Éternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs. Tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. 15. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon. 16. Il dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. 17. Il dit à l’homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre : Tu n’en mangeras point ! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie.18. Il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. 19. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ;
car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. 20. Adam donna à sa femme le nom d’Ève : car elle a été la mère de tous les vivants.”

Cet extrait, qui appartient au début du livre de la Genèse, décrit l’origine du péché originel de l’homme sur terre : tentée par le diable, la femme cueille et mange la pomme interdite, et l’homme fait de même. Il est intéressant de voir la conséquence directe de cette action : le verset 6 nous apprend que le fruit “était précieux pour ouvrir l’intelligence” ; mais ce n’est n’est pas des capacités intellectuelles supérieures que sentent l’homme et la femme quand ils goûtent à la pomme, mais au contraire un profond sentiment de honte face à leur nudité qui les poussent à se vêtir (verset 7 : “Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures”, jusqu’au verset 10).

En comprenant leur nudité, l’homme et la femme deviennent des êtres humains conscients et responsabilisés

Quel est alors le rapport entretenu par les hommes à leur corps ? L’extrait est ambivalent : la découverte de la nudité est une prise de conscience de leur personne physique, et elle est décrite comme un vrai éveil de l’intelligence, puisque métaphoriquement “Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent” (v. 7). Par cette transgression, l’homme et la femme deviennent des personnes individuelles et responsables d’elles – mêmes et des autres : ils acquièrent un nom (verset 20) et une occupation (verset 17 : “C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie”), mais ils développent surtout un nouveau rapport à leur corps. Penchons-nous pour cela sur le verset 16, qui concerne la femme : “J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.” On y apprend plusieurs informations importantes. La femme change d’abord de rapport à son corps : elle devient une mère en puissance, seule capable de mettre des enfants au monde, mais découvre également la souffrance de l’accouchement. Elle change également de rapport à l’homme : à la douleur de l’enfantement s’oppose le désir amoureux et sexuel qui la porte vers son compagnon.

C’est de la découverte de leur sexualité que le concept de nudité prend son sens, et engendre des spécificités propres à l’homme et à la femme

La découverte du sexe de l’homme et de la femme entraîne, comme punition divine, une différenciation des tâches qui leur sont propres, en rapport avec cette nouvelle spécificité physique. La femme donne naissance dans la douleur (verset 16) : c’est le terme de travail qui est associé à l’accouchement, et il n’est pas anodin. La sexualité imposée par Dieu confère des tâches spécifiques à chaque sexe : homme et femme travaillent, Adam pour nourrir sa famille (“C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie.” verset 17), Eve pour donner le jour à sa descendance.

La nudité apparaît comme punition divine : en devenant sexué, le couple originel prend conscience de ses différences physiques et ressent la honte de la nudité

Que représente alors la nudité au cours du livre de la Genèse ? Le verset qui conclut le passage précédent notre extrait est le suivant : “L’homme et sa femme étaient8 tous deux nus, et ils n’en avaient point honte.” (Genèse 2, 25). La clef de lecture est donc ce sentiment de honte : la honte, que le CNRTL définit comme un “effet d’opprobre entraîné par un fait, une action transgressant une norme éthique ou une convenance (d’un groupe social, d’une société) ou par une action jugée avilissante par rapport à la norme (d’un groupe social, d’une société)”. C’est donc un moyen de protection de la dignité humaine : l’absence de honte vient de l’absence de risque quant au respect de l’intégrité de l’homme et de la femme. Au jardin d’Eden, la communication, la complicité et la sincérité sont complètes ; comme on l’apprend dans Genèse 3, 24 : “C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.” Une fois leur nudité dévoilée, la honte permet au couple originel de limiter et retenir ses pulsions, liées à la découverte de leur sexualité. L’union idéale qui prévalait auparavant disparaît, pour laisser place à des tensions internes dans la relation de l’homme et de la femme (verset 15), qui demandent alors la honte et les vêtements comme protection personnelle.

Que retenir en dissertation ?

L’idée principale de cet extrait peut se résumer ainsi : avant le péché originel, l’homme et la femme n’était pas sexués : leur corps ne ressentait pas les contingences propres à l’être humain, comme la souffrance, le désir, le plaisir, les pulsions et passions. Quand Eve et Adam croquent dans la pomme défendue, Dieu les punit pour lui avoir désobéi. En effet, ils ont corrompu, par cette nourriture, leur corps, créé à l’image de Dieu. La punition divine est justement de donner à Adam et Eve le nom d’homme (sexe masculin) et de femme (sexe féminin), et ce corps sexué souffre et travaille pour se nourrir et se reproduire. La honte que le couple originel éprouve découle de la découverte de l’idée de nudité, par laquelle ils prennent conscience de leur corps et de leur différence.

  • Nus, homme et femme jouissent d’une communication parfaite et d’un rapport mutuel sincère ; leur corps s’offre alors sans médiation, et ils n’en éprouvent aucune honte.
  • La découverte de l’arbre de la connaissance donne au couple la conscience du regard de l’autre, un regard qui peut être protecteur comme prédateur. La conscience de leur nudité, par la honte qu’ils en ressentent, est une protection face à la souffrance qu’ils peuvent alors s’infliger.
  • Le rapport complexe à son corps est une caractéristique de la personne humaine : il est source de passions et de pulsions parfois dévastatrices (issues du péché originel), mais permet également l’individualité de chaque homme (à commencer par le nom qu’il reçoit à la naissance) et de la responsabilité sur terre.