Ceci est une série qui a débuté par cet article et continué avec cet article. L’article que tu es en train de lire est le dernier de la trilogie !

Le cercle physiologico-psychologique : corps et âme

  • Avec Nietzsche, au cours de cette trilogie d’article, nous souhaitons savoir s’il est possible d’expliquer la réalité. Résumons brièvement la position des principaux courants philosophiques à cet égard. Les idéalistes affirment que cela est possible : par la “psychologie” (la réalité n’est que âme, le corps n’existe pas), les matérialistes disent que l’on peut l’expliquer par la physique (déterminer les lois de la réalité matérielle qui n’est que corps, il n’y a pas d’esprit) et les dualistes attestent que nous pouvons expliquer la réalité par l’un et par l’autre, selon qu’il s’agit du monde des idées (explication psychologique) ou du monde phénoménal (explication physique).
  • Dans les deux premiers articles, nous avons vu que Nietzsche quant à lui faisait apparaître un cercle physiologico-psychologique lorsqu’il voulait expliquer la réalité. L’âme est une partie du corps, il emploie ainsi un argument physiologique pour expliquer la réalité, puis il explique que le corps est composé d’âmes, il s’agit donc d’un argument psychologique. Est-il possible de sortir de ce cercle ?  
  • Avant d’y répondre, revenons sur la notion d’âme chez Nietzsche : elle ne correspond en rien à celle de la tradition philosophique qui stipule qu’elle est une essence spirituelle supérieure au monde matériel. Plus de détails fin d’article. Rappelons-nous que la réalité est pour Nietzsche uniquement chaos et mutabilité : on ne peut en tirer de loi, nous ne pouvons que l’interpréter. L’interprétation de la réalité est propre à chaque individu, puisque chacun d’entre eux a des pulsions qui lui sont propres. Les pulsions sont une âme, c’est-à-dire qu’elles sont un principe moteur qui pousse à agir. En fait, les âmes sont des volontés de puissance, c’est-à-dire qu’elles interprètent le monde. Ainsi, la volonté de puissance se manifeste donc essentiellement par la forme et par l’interprétation qu’elle donne à la réalité.
  • Ainsi, à la question “est-il possible de sortir de ce cercle ?” la réponse est non : ni la psychologie, ni la physiologie ne suffisent à elles seules pour expliquer le monde. Aucune science à elle seule (psychologie ou science dure) ne permet d’expliquer la réalité : Nietzsche montre qu’il faut recourir à une pluralité de science pour comprendre le monde. Ainsi, la réalité ne s’explique pas mais s’interprète : il existe plusieurs vérités sur la réalité. Ce sont les volontés de puissance de chacun qui interprètent le monde et donnent “leur vérité” du monde.
  • Notre corps est composé d’un ensemble d’âmes car il est constitué d’une multitude de pulsions, qui s’opposent ou qui s’allient, pour interpréter le monde. La conjonction de ces différentes pulsions forme une volonté de puissance du corps en son ensemble .

“La volonté de puissance est la forme primitive de l’affect. […] tous les autres affects n’en sont que des développements.” [Fragments posthumes, XIV, 14 [121] (in OPC, XIV, trad. J-C Hémery, Paris, Gallimard, 1977]

Volonté de puissance et santé du corps

  • Tout corps est constitué de volonté de puissance, soit celle-ci est ascendante, c’est-à-dire qu’elle est favorable à l’épanouissement de la vie soit elle est décadente auquel cas elle s’oppose à cet épanouissement. Chaque individu interprète le monde différemment, car la volonté de puissance de chacun (c’est-à-dire l’interprétation qu’il fait du monde) s’exprime dans un ensemble de pulsions.
  • Ces pulsions peuvent s’allier ou s’opposer, et lorsqu’elles sont hiérarchisées, cela signifie que les plus fortes dominent les plus faibles. Dans une telle configuration, la volonté de puissance de l’individu est ascendante : elle est propice à l’épanouissement de la vie, elle permet la création et l’innovation ; en cela nous pouvons dire que Nietzsche valorise le principe de vitalité. Toutefois, lorsque les instincts sont “déréglés”, qu’il n’y a pas un règne de l’aristocratie des pulsions au sein d’un corps, on assiste à une décadence des pulsions : la volonté de puissance est “décadente”, elle ne vise pas la création ou l’innovation mais simplement la conservation de soi. Le surhomme est celui qui, disposant d’un ensemble de pulsions hiérarchisés, a une volonté de puissance qui est créative : il ne vise pas seulement à conserver sa vie mais également à créer. L’homme médiocre, dont les pulsions sont déréglés vise seulement à se conserver.

 

A retenir pour ta dissertation :

  • Jusqu’à Nietzsche, en philosophie il y avait trois positions philosophiques distinctes. L’une est campée par les idéalistes, qui considèrent la réalité comme purement spirituelle (tout n’est qu’esprit) : elle s’explique ainsi par la psychologie – l’étude de l’âme ; l’autre par les matérialistes, pour qui la réalité n’est que corps (Deus sive natura… ça dira quelque chose à des bi-carrés !) ainsi pour l’expliquer il faut déterminer les lois qui la régisse ; et enfin, il y a les idéalistes qui considèrent qu’il y a une réalité phénoménale (constituée uniquement de corps et explicable par les lois de la nature) et une réalité en soi (constituée que d’esprit et explicable par la psychologie).
  • Ainsi, pour chacun de ces mondes, il y a une et une seule explication : soit physique soit psychologique. Nietzsche, lui, explique que les deux sont valables, pour un monde qu’il considère comme étant constitué que de corps. Il met fin à la position réductionniste qui consiste à expliquer la réalité par une science : si plusieurs sciences peuvent expliquer la réalité, cela signifie que le concept de vérité perd tout son sens. Les sciences (la psychologie et la physiologie) n’offrent qu’un point de vue sur la réalité, celle-ci n’est que mutabilité et chaos : elle ne s’explique pas, mais s’interprète seulement.
  • Nos corps sont composés d’une multitude d’âmes, de pulsions qui interprètent le monde. Cette interprétation du monde, c’est la volonté de puissance qui la réalise puisqu’elle s’exprime dans cet ensemble de pulsions. Volonté de puissance ou interprétation du monde signifient la même chose.
  • Il y a deux types de volonté de puissance, selon l’organisation des pulsions au sein du corps. Lorsque les pulsions sont hiérarchisés au sein du corps, que les plus fortes dominent les plus faibles, la volonté de puissance est ascendante : elle permet l’épanouissement de la vie. Les Surhommes ont ce type de volonté de puissance. Par contre, chez les médiocres, les pulsions sont décadentes : il n’y a pas une aristocratie des instincts dans leur corps, ainsi la volonté de puissance est décadente, elle ne vise qu’à conserver la vie et non à l’exalter.

 

Ame chez Nietzsche, âme dans la tradition philosophique.

Ce n’est pas du tout de la même âme dont on parle dans les deux cas de figure !

  • Dans la tradition philosophique, chrétienne et platonicienne, l’âme et le corps sont deux entités distinctes : il y a le monde matériel, dans lequel évolue le corps qui s’oppose au monde spirituel – le monde des idées, dans lequel l’âme se trouve. Ce sont donc deux mondes distincts, où l’âme est une substance spirituelle.
  • Chez Nietzsche, la distinction entre  monde spirituel et monde matériel n’existe pas. Chez Nietzsche, il n’y a que le monde matériel, composé exclusivement de pulsions, donc de corps. Chaque pulsion est une âme qui désigne la volonté de puissance, à savoir le principe de mouvement des pulsions. Toutes les pulsions ont une âme (c’est-à-dire une volonté de puissance) qui les pousse à vouloir accroître leur puissance.

Bibliographie

 

  • Jeanne-Marie Roux, Le corps de Platon à Jean-Luc Nancy, édition “Petite philosophie des grandes idées”.
  • Chemins de la pensée