Culture générale HEC

Découvrez l’analyse du sujet de philo HEC 2017 par Aristide Machard, étudiant en deuxième année à HEC, brillant en culture générale !

Sujet : Faire parler un texte

« Ah ! Ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !». Je n’ai jamais vraiment su comment interpréter ce dernier vers du poème « Le gouffre » de Baudelaire. Les Nombres et les Êtres lui apportent-ils du réconfort ou au contraire augmentent ils son sentiment de solitude dans un monde vide où Dieu ne répond pas ? Ce « Ah ! » est-il un soupir de soulagement ou bien un gémissement de l’âme ? Comment faire parler ce dernier vers et que doit-on lui faire dire ?

« Faire parler un texte » est selon moi l’un des plus beaux sujets donnés à HEC depuis une dizaine d’années. Comme souvent, il prend le contre-pied du thème : ici, le thème de la parole n’est pas associé à l’oralité mais renvoie à l’interprétation des textes. Ce sujet a probablement dû en étonner plus d’un mais il représentait une formidable opportunité pour mettre à profit sa culture personnelle. Quels textes ai-je dû, au cours de mon expérience littéraire, faire parler pour mieux les comprendre ?

Je vous donne donc des pistes de réflexion, de problématisation et d’illustration sans me limiter au schéma classique de la dissertation qui était attendu de vous.

Je vois trois manières principales de comprendre cette expression :

  • Faire parler un texte c’est en extraire le sens supposé caché et le rendre intelligible. Cette expression m’a rappelé les élans enthousiastes de mon professeur de français en première qui, tout sourire, entrait en trombe dans la classe avec un texte de Mallarmé en nous assurant qu’on allait « faire parler » ce texte hermétique et indigeste.
  • Chaque texte est aussi le reflet d’une époque et un miroir de la psychologie de son auteur. Le faire parler, c’est reconstituer à partir du texte le contexte historique, économique et sociologique dans lequel il a été écrit.
  • Lorsqu’un texte parle à quelqu’un c’est aussi qu’il résonne en lui d’une manière particulière, en faisant vibrer la corde de ses souvenirs, de ses envies ou de ses peurs…

Le présupposé du sujet

Le sujet présuppose qu’un texte n’est pas assez limpide pour que le sens s’impose de lui-même à son lecteur. Mais n’est-ce pas la qualité des textes rigoureux et méthodiques de transmettre leur message clairement et sans le besoin d’une médiation ? Un texte que l’on doit faire parler n’est-il pas médiocre ? J’en appelle ici à vos tentatives de lecture des philosophes Lacan et Heidegger… Sans le media d’un professeur de philosophie ou d’un spécialiste du philosophe en question, il est quasiment impossible pour l’élève encore profane de pénétrer la pensée de l’auteur et d’en déchiffrer le style imperméable. Alors, faiblesse du texte ou faiblesse du lecteur ?

Comment formuler le problème ?

Premier problème possible : Faire parler un texte, est-ce en éclairer le sens ou au contraire l’obscurcir ?

Deuxième problématique, un peu plus ambitieuse : La nécessité de faire parler un texte témoigne-t-elle de la force ou de la faiblesse d’un texte ?

I. Faire parler un texte, une nécessité pour l’éclairer et lui conférer une force qu’il n’a pas

– Par manque de culture personnelle, le lecteur n’a pas toujours les clefs de compréhension d’un texte littéraire. Sans l’entremise d’un professeur, d’un interprète, le sens du texte resterait sibyllin. Deux exemples ici peuvent appuyer votre propos.

– Comment saisir toutes les subtilités de l’intertextualité dans un texte si on n’a pas lu les œuvres auxquelles ce texte fait implicitement référence ?

– Autre exemple, celui du contexte historique. Dans « Fable ou Histoire », Victor Hugo grime Napoléon III sous les traits d’un singe qui revêt une peau de tigre pour effrayer la population et la soumettre. Pour un élève qui ne connaît pas son Histoire de France, le poème ne peut accéder au statut de satire politique et restera une simple fable animalière. Il en va de même pour la Ferme des Animaux d’Orwell ou encore Rhinocéros de Ionesco, qui ont tous deux recours aux allégories et aux métaphores pour mieux critiquer les dérives totalitaires du XXème siècle.

La figure du professeur apparaît ici comme centrale pour faire parler un texte. De plus, il est toujours de bon ton dans une copie de caresser subtilement et dans le sens du poil son correcteur.

– Une œuvre a également beaucoup à nous apprendre sur son auteur et sur l’époque qui l’a vue naître. Mikhaïl Bakhtine par exemple, dans son ouvrage François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, montre comme le carnaval – compris comme inversion des valeurs et des statuts, et comme aspiration des peuples à devenir les souverains du bourg le temps d’une fête populaire – est central dans l’œuvre Rabelaisienne tout comme dans la société française de l’époque.

L’historien de la littérature est donc une figure de référence pour faire parler un texte car il le met en perspective avec une époque et une culture.

  • Rassurez-vous, il était tout de même possible d’utiliser ses connaissances sur la parole dans sa dimension orale. En effet, pour qu’un texte parle à quelqu’un, on peut se demander s’il ne vaut pas mieux l’intégrer au sein d’un discours. Ici la question qui nous intéresse est la suivante : quelle est la valeur ajoutée de la parole sur l’écrit pour faire vibrer les cœurs ? C’est le combat, le clash : l’oralité versus l’écrit. Dans un précédent article, je vous conseillais d’avoir dans votre baluchon un discours que vous appréciez tout particulièrement : c’était le moment de le sortir.

Ici, c’est la figure de l’orateur qu’il fallait convoquer afin de décrire la manière dont il sublime le texte écrit par sa parole.

II. Faire parler un texte, c’est prendre le risque de le faire déchanter

On interprète toujours le sens d’un texte à la lumière de sa subjectivité déformante. Dès lors, comment savoir si son interprétation est la bonne ? En faisant parler un texte, ne risque-t-on pas d’en dévoyer le sens ? Il n’y a qu’à compter le nombre de massacres perpétrés au cours de l’Histoire soi-disant parce que les Saintes Ecritures l’exigeaient. Il est ici important de faire état d’un combat des interprétations des grands livres religieux tout en restant extrêmement prudent dans votre copie. En effet, si vous tranchez le débat, c’est que vous semblez pencher pour une interprétation plutôt qu’une autre et vous tombez alors sous le critique que vous formulez.

Vouloir à tout prix faire parler un texte c’est aussi participer à la dépoétisation du monde. En effet, cette volonté témoigne du désir de l’esprit rationnel qui exige du sens dans tout ce qu’il lit et qui ne peut s’imaginer que la beauté d’un texte puisse se suffire à elle-même. On a tous en tête un poème de Mallarmé qui nous a laissés pantois en classe de seconde ou de première, nous faisant douter du sérieux ou de la sobriété de son auteur. Pour autant, la beauté d’un poème réside parfois dans le simple jeu des sonorités qui dansent dans nos oreilles et non dans un pseudo sens profond et caché.

III. Qui fait autorité pour bien faire parler un texte ?

Pour Saint Augustin, c’est l’homme de foi qui est seul capable de faire résonner la parole de Dieu dans son interprétation des Saintes Écritures. Selon lui, plusieurs interprétations vraies de la Bible peuvent coexister et sont autant de ruisseaux qui mènent au même lac de Vérité. Dès lors, pour bien faire parler un texte saint, il faut avoir osé le saut de la Foi.

Jusqu’ici, je n’ai parlé que de textes littéraires. Il était possible de penser aux textes de loi qu’il faut absolument faire parler lorsqu’ils sont trop universels pour être bien appliqués aux situations particulières. Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote considérait l’équité comme la vertu suprême car elle permettait de réconcilier l’universel de la loi avec la particularité des situations. En d’autres termes, c’est l’homme équitable qui peut faire parler le texte de loi et écouter ce qu’il a à nous dire dans une affaire judiciaire donnée. Un magnifique passage des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar en donne un bel exemple : un esclave tente d’assassiner l’empereur Hadrien alors qu’il est en déplacement dans son Empire. Refusant d’appliquer la loi à la lettre et comprenant que la pauvreté et la détresse ont mené cet esclave à la haine, l’empereur Hadrien le prend sous son aile et fait de lui un de ses plus proches collaborateurs.

Le cinéma apparaît également comme l’art qui peut faire parler une œuvre littéraire. En lui conférant une matérialité (les personnages de papier prennent forme humaine sur nos écrans) et en la rendant accessible à un plus large public, le cinéma offre une seconde vie au texte. Heureux sont ceux qui pouvaient comparer Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos et celui du réalisateur Maurice Pialat.