Futurs admissibles à HEC Paris, voici un corrigé d’un sujet qui pourrait tout à fait tomber cette année : “tout ce que je suis je le dois à l’Etat.”. Bon courage 🙂 !

NB : J’ai eu ce sujet de colle en philo, en 1ère année. Ceci est le brouillon que j’avais préparé pour ma colle en amont, il est peut-être assez long (je me souviens avoir dépassé les dix minutes) donc il suffirait de raccourcir certains passages ! (PS : manque cruel de référence, ce que m’avait reproché mon colleur à l’époque !)

Introduction

(Définition de ce qu’est l’Etat) L’Etat est un concept, au fond, ça n’est rien d’autre. L’Etat est : 1) une fiction théorique ; 2) le produit d’un accord commun. En somme, nous partageons une croyance commune en une entité fictive (l’Etat). Cette fiction est nécessaire, pour Hobbes par exemple, puisque c’est la création de l’Etat qui permet de sortir de l’état de nature (la guerre de tous contre tous) pour aboutir à une société civile.

Questionnement intermédiaire pour aboutir à une problématique :

  • Qu’est-ce que signifie devoir tout à une entité qui n’existe pas à proprement parler ?
  • Comment pourrait-elle déterminer ce que je suis dans ma corporéité, mon comportement, mes coutumes, etc., si elle n’existe que pour autant que je la reconnais ?
  • Ne faudrait-il pas au contraire dire que l’Etat me doit tout, jusqu’à son existence ? Que l’Etat ne vaut que par ceux qui s’accordent sur une croyance commune ?

Problématique

Comment l’Etat peut-il me forger en tant qu’individu s’il n’est lui-même que le produit d’un accord commun ?

Plan

  1. Les sociétés (et donc les individus) se sont passés durant des siècles de l’Etat, ce qui laisse à penser que leurs identités sont indépendantes de celui-ci.
  2. L’Etat n’est pas matériel, or je ressens ses effets ; ce qui signifie qu’il joue un rôle sur ce que je suis.
  3. Je forge autant l’Etat qu’il ne me forge.

Développement

I. Les sociétés se sont passées, et se passent encore pour certaines, de l’Etat depuis des siècles. Ce qui laisse à penser que l’existence de l’Etat n’est pas un élément déterminant de mon identité.

A) Généalogie de la pensée de l’Etat (on prouve dans cette partie que l’Etat est une fiction théorique)

  • Conception née au XVIème siècle avec Jean Bodin, puis avec Hobbes (naissance de la conception de l’Etat moderne). C’est donc un concept qui apparaît très tardivement dans l’histoire de l’humanité. La construction d’un Etat ne se fait pas naturellement, elle est le fruit d’une volonté politique (en Italie par exemple, on peut citer Lorenzaccio, en France par l’intermédiaire de Richelieu, etc.)
  • Jusqu’ici, d’autres formes d’organisations sociales peuvent faire droit. C’est le cas des cités, des tribus, de la famille, etc. Ce sont des organisations sociales dans lesquelles s’inscrivent les individus mais qui se passent de l’Etat.
  • On pourrait donc, de ce fait, s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’Etat nous apparaît aujourd’hui nécessaire. En réalité, il n’est que le produit de l’histoire dont les sociétés humaines se sont passées durant des millénaires et qui continuent, pour certaines, à s’en passer.

B) Un Etat uniforme qui produit une myriade d’individus différents

  • L’Etat est un concept théorique dont les actes sont uniformes. Comment se fait-il qu’il produit des êtres différents ?
  • Comment est-ce possible que nous devons tous ce que nous sommes à l’Etat, alors même que nous sommes tous différents ? Les individus sont pluriels tandis que l’Etat n’est qu’un.
  • Comment expliquer l’existence de groupes sociaux qui s’opposent au sein d’un même Etat si chacun de ses membres sont le fruit de cette même entité ? (Théorie des classes sociales : Weber, Durkheim et Marx plus particulièrement, qui insiste sur la partialité de l’Etat).

C) Comment penser que tout ce que je suis je le dois à l’Etat s’il est possible de le renverser ?

  • Il est aisé d’admettre que l’Etat, par le biais des institutions, traverse mon existence.
  • Or, mon existence ne peut se réduire à cela. Comment des révolutions ont-elles pu voir le jour dans ce cas ? Si je dois tout ce que je suis à l’Etat, cela signifie qu’il faudrait accepter que je dois à l’Etat de le renverser, ce qui est absurde.
  • Si je devais tout à l’Etat, on ne ferait pas droit à la falsabilité de cette entité, c’est-à-dire, à la possibilité de changements de régime ou des vicissitudes de la vie politique et sociale.
  • L’individu ne peut être entièrement déterminé par l’Etat sous peine de tomber en contradiction avec l’histoire politique effective, qui est dynamique. La révolte part d’un sentiment d’injustice qui marque mon vécu affectif, moral et est irréductible à la domination que veut exercer l’Etat sur moi. La révolte est le signe de ce que l’on ressent, une inadéquation entre ce que veut m’imposer l’Etat et ma propre singularité. L’individu peut donc se différencier de l’Etat, voire être en rupture avec celui-ci (la figure du révolté).

II. Mais si l’Etat n’est qu’un concept, il n’a alors aucune existence matérielle et de ce fait, n’est pas censé influencer mon existence. Or, je ressens ses effets, j’en fais l’expérience au quotidien.

Par ce biais, on sort de l’impasse de “comment pourrais-je être redevable de ce qui est le produit de ma volonté ?”.

A) L’Etat est le principe unificateur et régulateur d’un ensemble d’institutions

  • Ces dernières sont les organes d’un corps politique dont l’Etat est le système nerveux. Il est donc impossible de dire que l’Etat n’existe pas, dans sa matérialité : on ne peut le réduire à une fiction théorique.
  • Ce n’est pas parce que l’Etat n’est pas matériellement “palpable” qu’il n’existe pas. Si l’Etat n’existe pas en tant que tel, il est ce par quoi toutes les institutions existent. Il y a ainsi une effectivité de ce qui n’existe pas en tant que tel matériellement.

B) L’Etat façonne mon existence

  • Il l’a façonne par le fait qu’il est un élément fondamental de ma socialisation. Je me rends à l’école (l’éducation), je me soigne dans ses hôpitaux (santé),etc. L’Etat n’est plus seulement l’Etat régalien conçu par les libéraux, il devient l’Etat providence qui se charge de mon individualité tout au long de ma vie.
  • L’Etat norme les relations sociales, les connaissances, les activités productives, de la naissance à la mort de l’individu, de père en fils.
  • L’Etat traverse l’environnement de l’individu, par un ensemble juridique notamment. Il façonne toutes les institutions auxquelles je suis confronté au cours de mon existence. La loi légifère les actes, contrôle l’existence, entraîne de sanctions sociales et pénales. D’un Etat répressif, on passe à un Etat normatif qui contrôle d’autant plus la vie des individus par le moyen de normes que l’on a interiorisé. 

C) L’Etat conforme les individus

  • Il met en charge différentes institutions pour répondre à des besoins pluriels.
  • Il n’y a pas de contradiction à penser les individus dans leur pluralité de qualités, un Etat qui réponde à une multiplicité de besoin. (On pense ici l’Etat comme un corps organique)
  • Orwell, 1984 : peinture des dérives d’un Etat qui conforme entièrement les individus par l’outil de la propagande, des institutions, du contrôle de la vie privée des individus, etc.

III. Je forge autant l’Etat qu’il ne me forge

A) Une rétroaction possible de l’effet sur la cause : je forge l’Etat.

  • C’est ma volonté qui fait exister l’Etat, mais l’Etat lui-même prend part à la détermination de ma volonté autant que je le forge.
  • Il serait faux de penser, comme on le faisait au départ, que l’Etat n’est que le fruit de ma volonté, et qu’il suffirait que l’on décide collectivement de sa non-légitimité pour qu’il s’évanouisse. Cette affirmation n’est vraie que pour les générations qui ont décidé de fonder l’Etat, mais pas pour les suivantes qui sont nées avec lui et ses institutions. L’Etat est la condition même de la possibilité de notre réflexion. 

B) L’Etat requiert des sujets

  • L’Etat travaille un fond qui n’a pas intrinsèquement besoin de lui (voir la partie I). L’Etat cependant, a besoin lui, pour exister de ses sujets.
  • Il faut différencier sujets et individus : le premier renvoie à une production sociale et par là, étatique ; le second est irréductible au premier, ce par quoi on devient sujet. On ne peut réduire le second au premier, ce serait absurde, même dans une logique extrême où l’Etat me forge, il ne peut pas lui revenir toute la latitude pour ce qui est de ma définition (exemple : mon vécu affectif).
  • Sans individus, il n’y a pas de sujets, et sans sujets il n’y a pas d’Etat. Il y a un lien inextricable entre ces deux institutions (qui passe par la conflictualité, etc.)

Conclusion

Il aurait été rigolo de considérer le verbe “suis” à la fois comme étant le verbe “être” conjugué à la première personne du singulier, mais également, le verbe suivre ! “Tout ce que je suis, je le dois à l’Etat” signifierait dans cette perspective : tous les idéaux auxquels je souscris, je le dois à l’Etat. Il aurait été intéressant d’analyser cette piste, mais là, ce n’est plus une colle mais une dissert’ !