De votre agrégation de géographie en 1989 à votre élection à la tête de l’APHEC en juin dernier, pouvez-vous nous relater succinctement votre parcours professionnel ?

J’enseigne en classes préparatoires économiques et commerciales au lycée Joffre de Montpellier depuis 15 ans après être passé par l’enseignement secondaire en Pays de Loire. Parallèlement, j’ai été successivement chargé de cours à l’Université d’Angers puis à l’Université Paul Valéry de Montpellier où j’enseigne toujours. J’ai également dirigé la collection Hachette Géographie Lycée pendant une décennie et je pilote désormais une collection pour les prépas aux éditions Foucher. A ce titre, je me permets d’ailleurs de signaler la sortie il y a quelques jours du dernier ouvrage que j’ai dirigé “Toute la géopolitique du monde” (éditions Foucher) et qui sera suivie en mai d’un manuel méthodologique pour les ECS. Enfin, j’ai une longue expérience tant des jurys de concours d’enseignement (CAPES d’histoire-géographie, Agrégation externe d’histoire) que d’entrée en école (ESCP-Europe).

Comment s’est passée votre élection ? Lorsque vous avez été nommé vice-président de la voie ECS il y a près de 5 ans, espériez-vous déjà présider l’association un jour ?

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J’ai été élu par le bureau de notre association le 11 juin 2016. Nous sommes une association de bénévoles qui, vous l’imaginez, ne s’organise pas autour de tel ou tel “plan de carrière” ! Ce serait évidemment ridicule ! Simplement, mon prédécesseur, Philippe Heudron, assurait la présidence depuis 16 ans et plusieurs de mes collègues m’ont fait l’honneur de me proposer de me porter candidat. Piloter une association de près de 1500 adhérents est une lourde responsabilité car nos collègues nous font confiance pour promouvoir et défendre notre filière dans un contexte où le paysage de l’enseignement supérieur est en recomposition rapide. Mon défi est de poursuivre l’œuvre considérable de Philippe Heudron (celui-ci  sera d’ailleurs nommé président d’honneur lors de notre prochaine assemblée générale et il garde la responsabilité d’un dossier stratégique, celui de l’internationalisation) tout en ouvrant de nouveaux chantiers pour adapter et pérenniser notre filière.

Quel regard portez-vous sur la classe préparatoire économique et commerciale actuelle ? Est-elle toujours en 2017 synonyme d’excellence académique ? d’égalité des chances ?

L’excellence académique offerte par les CPGE n’a pas d’équivalent dans le premier cycle français de l’enseignement supérieur. Cette excellence constitue notre identité, notre valeur ajoutée et la source de notre reconnaissance par les grandes écoles et les entreprises. Les professeurs qui enseignent en CPGE sont tous agrégés, le plus souvent docteurs, et se donnent pour mission d’offrir à leurs étudiants les enseignements les plus efficaces, utiles et intéressants possibles. Etre professeur de CPGE, c’est à la fois être enseignant, entraîneur, coach, conseiller : notre objectif n’est pas de formater mais bien de faire partager le plaisir d’apprendre et de découvrir, d’appréhender l’art de confronter les idées, bref de faire en sorte que chacun construise sa propre personnalité et puisse exercer grâce à sa culture toute sa liberté de pensée et de jugement.

L’égalité des chances est une condition indispensable à l’élitisme républicain. Les CPGE préparent les cadres – plus que l’élite – de demain et chaque jeune qui en a l’envie et les capacités, quelle que soit son origine sociale ou géographique, doit pouvoir intégrer nos classes. De ce point de vue, les classes préparatoires ont effectué un très gros effort de démocratisation : 30% de nos étudiants sont boursiers, le taux atteint même 46% en filière ECT. Cette évolution doit se poursuivre. Rappelons aussi que les CPGE sont quasi gratuites !

Alors que le monde de l’entreprise est en pleine mutation et que les Grandes Ecoles investissent dans des processus d’apprentissage innovants, pensez-vous que la classe préparatoire soit toujours la voie idoine pour les managers de demain ?

J’en suis absolument convaincu ! L’un des atouts principaux des CPGE est celui de la pluridisciplinarité. Dans quelle formation supérieure les étudiants sont-ils amenés à explorer à haut niveau des disciplines aussi complémentaires que les mathématiques, la philosophie, les lettres, les langues vivantes, la géopolitique, l’économie ou le droit ? Les préparationnaires acquièrent en deux ans une culture générale – au sens large – incomparable. Mais il ne s’agit surtout pas d’une accumulation factuelle de connaissances. Bien au contraire, l’objectif est de faire de nos étudiants des acteurs critiques d’un monde complexe. Le philosophe Edgard Morin explique que pour aborder efficacement la complexité, il est nécessaire de croiser les approches de plusieurs disciplines. C’est bien le sens des enseignements en CPGE ! C’est d’autant plus important que nos étudiants vont pour beaucoup travailler à l’international : non seulement ils auront besoin des outils techniques du management, mais il leur faudra communiquer en langues étrangères, comprendre des cultures différentes, dialoguer avec des acteurs publics et privés divers, bref être capables de se situer dans le monde contemporain. Ajoutons que les professeurs encouragent de plus en plus les étudiants à mutualiser leur travail, à le rendre plus collaboratif, notamment dans le cadre des groupes de khôlles : ainsi, les préparationnaires appréhendent-ils les soft skills dont les grandes écoles et les entreprises sont si friandes.  La classe préparatoire, en amont des grandes écoles, offre donc le bagage indispensable pour pouvoir profiter des opportunités proposées par les business schools  et ainsi être en capacité d’entreprendre et d’innover.

Les préparationnaires seront-ils, un jour, amenés à effectuer un stage de découverte de l’entreprise, en fin de première année par exemple ?

Plutôt que de “stage”, je préférerais parler d’immersion dont la forme peut d’ailleurs être variable. Cela fait partie des pistes que nous étudions avec les grandes écoles. Quelques classes préparatoires expérimentent déjà des formules qui permettent de sensibiliser les préparationnaires au monde de l’entreprise vers lequel une majorité des futurs diplômés se destine. Pour autant, il n’est pas question de faire en CPGE ce que les écoles proposent déjà ! Mais on pourrait très bien imaginer une immersion d’une ou deux semaines en fin de première année, expérience qui servirait de support à l’épreuve d’entretien de personnalité et de motivation. Cette épreuve n’est pas satisfaisante pour de multiples raisons et nous constatons d’ailleurs que plusieurs écoles en modifient le format, à la recherche de la bonne formule pour évaluer le potentiel des candidats.

Peu après votre prise de fonction, vous avez affirmé votre volonté de travailler « en synergie maximale avec les grandes écoles afin de consolider le continuum au sein de la filière ». Pouvez-vous développer ?

Les classes préparatoires et les grandes écoles (GE) constituent une même filière en cinq ans vers le Master. Il est donc très important d’améliorer le continuum CPGE-GE. Cela passe par quelques adaptations, tant en classes préparatoires que pendant l’année pré-Master dans les écoles. Celles-ci sont très demandeuses de travailler avec nous sur ce sujet. Un groupe de travail associant l’APHEC et plusieurs écoles s’est mis en place, a déjà commencé à travailler et fera dans les prochains mois des propositions qui seront débattues par tous les acteurs de notre filière.

Autre enjeu de votre mandat, prévenir tant que possible la fermeture des classes prépa de proximité…

Les classes préparatoires dites de proximité jouent un rôle essentiel : elles offrent l’excellence académique dans tous les territoires et permettent à des jeunes de tous milieux d’effectuer une prépa près de chez eux. Il est quand même assez contradictoire de fermer de telles classes tout en reprochant aux CPGE de ne pas recruter assez dans les catégories socioprofessionnelles qui ne prédestinent pas forcément les jeunes à oser la classe préparatoire ! De plus, il faut laisser le temps à une CPGE de s’installer dans l’offre d’enseignement supérieur de telle ou telle région. Une réputation ne s’acquiert pas en une année ! La position de l’APHEC est simple : il doit y avoir une égalité des chances d’accès aux CPGE pour tous. Je rappelle combien cette égalité a déjà progressé, comme en témoigne le taux de boursiers en classes préparatoires économiques et commerciales que j’ai déjà cité.

Le marronnier de l’ouverture de classes préparatoires à l’étranger est-il sur le point d’aboutir comme on l’entend parfois ? On pense notamment à Raleigh !

Si le Ministère avait débloqué les trois postes nécessaires, il y aurait des classes préparatoires à Raleigh depuis déjà quatre ans ! Malheureusement, le soutien politique n’a pas été au rendez-vous. C’est très dommage car il en va du rayonnement de la France à l’étranger. Aucun projet n’est abandonné, bien au contraire. Il y a aussi un vivier très important en Afrique de l’Ouest dont les pays sont très demandeurs, notamment le Sénégal. L’APHEC ne peut qu’apporter son expertise dans tous ces projets initiés par des grandes écoles françaises et des institutions locales. Mais notre association a changé de méthode. Au lieu de communiquer sur des projets incertains ou des espérances, nous ne le ferons à l’avenir que sur des réalisations concrètes. Il reste que rien ne se fera sans un minimum de soutien de la part du ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Nous y travaillons !

Le rapprochement entre la filière universitaire et la classe préparatoire, prôné par certains professeurs de votre association et déjà porté par quelques fillières (prépa Cachan D1, D2), va-t-il selon vous être approfondi dans les années à venir ?

Toutes les classes préparatoires ont signé des conventions avec des universités partenaires. Celles-ci reconnaissent les parcours des étudiants en CPGE ce qui facilite les passerelles et les éventuelles réorientations. Ces conventions sécurisent encore plus le cursus des préparationnaires si toutefois il en était besoin. Il faut en effet toujours avoir à l’esprit que les concours d’entrée dans les grandes écoles n’éliminent personne, elles classent les préparationnaires et les répartissent entre les écoles. La prépa, c’est la réussite assurée ! Rappelons également que les deux années de classes préparatoires valent 120 ECTS, exactement comme les années L1/L2 à l’université. L’APHEC est favorable à des synergies avec l’université mais dans le respect de l’identité, de l’indépendance et des particularités de chacun. Les CPGE et l’université ne sont pas en conflit et, nous l’espérons, pas en concurrence : les deux filières participent de la richesse de l’enseignement supérieur français. Des étudiants, en fonction de leurs profils et personnalités, réussiront mieux en prépa qu’à l’université alors que pour d’autres, ce sera l’inverse ! Des coopérations existent déjà : professeurs de CPGE chargés de cours à l’université ou intégrés dans des programmes de recherche, enseignants  de l’université assurant des khôlles et des conférences en prépa, etc. Opposer universités et prépas relève d’une posture idéologique que nous déplorons. Sur le terrain, les choses se déroulent généralement très bien. Les prépas Cachan D1 et D2 sont spécifiques et démontrent justement que l’université et les classes préparatoires sont complémentaires. En revanche, il est pour nous hors de question d’envisager une intégration des CPGE à l’université, c’est une ligne rouge absolue !

Pour finir, une question qui fera plaisir au professeur d’HGGMC que vous êtes : pouvez-vous révéler en exclusivité à nos lecteurs le sujet de l’ESCP 2017 ?

Désolé pour vos lecteurs … car je ne connais pas ce sujet !! Mais puisque vous parliez de marronnier, en voici un, très gros. Chaque année, des rumeurs circulent sur le fait que telle ou telle prépa aurait eu connaissance du sujet. C’est rigoureusement IMPOSSIBLE. Aucun membre du jury ESCP n’en a connaissance. François Bost, président du jury, élabore SEUL quatre sujets qu’il propose au directeur de l’école, Frank Bournois. Celui-ci effectue le choix final dans le secret de son bureau. Seules ces deux personnes sont donc au courant du sujet choisi. Affirmer qu’une prépa aurait été mise dans la confidence relève donc du mensonge. Mais soyons clairs : pendant deux ans, les professeurs traitent des dizaines de sujets de dissertation et de khôlles sur tous les chapitres. Donc, forcément, il y a toujours un sujet parmi tous ceux qui ont été traités qui se révèle plus ou moins proche de celui qui tombe. Il est alors facile de dire après coup “vous voyez, nous savions ce qui devait tomber !”. Je laisse chacun juge d’une telle affabulation… . Pour autant et c’est bien naturel, professeurs et élèves succombent toujours au jeu des pronostics, c’est le jeu des concours !

Major-Prépa tient à remercier Alain Joyeux pour le temps qu’il a passé à préparer cette interview !