2007 marque le début de la crise des subprimes. Dix ans plus tard, nous vous proposons une série afin de comprendre, en huit dates, l’enchaînement des événements qui provoquèrent cette crise, la « plus grave en un siècle » selon Greenspan.

« New York, July 10, 2007. Moody’s Investors Service today announced negative rating actions on 431 securities originated in 2006 and backed by subprime first lien mortgage loans. […] Of the 431 rating actions taken today, Moody’s downgraded 399 securities and place an additional 32 securities on review for possible downgrade. » 

Voici ce qu’indique le rapport de Moody’s du 10 juillet. Les journaux titrent que la note de 399 titres liés aux prêts suprime, émis par des groupes comme Citigroup, Morgan Stanley ou Merrill Lynch notamment, est abaissée par cette agence de notation. Une déclaration choc, un véritable séisme. Sept jours plus tard, Bear Stearns annonce que la valeur de ses fonds a fondu de moitié à cause des subprimes. Après cette annonce, nous assistons à un premier recul des bourses européennes. Les places boursières sont inquiètes.

Mais que s’est-il passé ? Pourquoi ces agences spécialisées n’ont-elles rien vu venir ? Et surtout, pourquoi n’ont-elles pas mesuré l’ampleur des risques ?

La banque de France, dans un article, souligne qu’ « une des fonctions essentielles des marchés est de contribuer au processus de détermination et de découverte du prix des actifs financiers. Or, tous les agents économiques n’ont ni la même capacité d’analyse du flot d’information disponible ni le même accès à cette information. […] les investisseurs sur les marchés n’ont généralement pas la capacité d’effectuer cette analyse détaillée et actualisée du risque de crédit et sont d’autant moins enclins à engager les frais importants de traitement des informations nécessaires à la mesure de ce risque que des professionnels indépendants, en l’occurrence les agences de notation, assurent cette fonction d’évaluation du risque de crédit. » Ce sont donc des acteurs essentiels des marchés financiers, dont l’influence fut croissante, voire trop croissante.

Concernant la titrisation, les agences de notation ont eu un rôle crucial. Pour rappel, la titrisation est définie comme une technique financière qui transforme des actifs peu liquides (pour lesquels il n’y a pas véritablement de marché) en valeurs mobilières facilement négociables, comme des obligations. Ainsi, les agences de notation permettent « aux investisseurs de disposer collectivement d’une information simple, lisible et synthétique sur le risque de défaillance d’un émetteur » (Banque de France).

            Dans le cadre de la crise des Subprimes, les agences de notation ont noté des  »paquets » de crédits titrisés, et les obligations émises en contrepartie, selon les différentes tranches de risque. Cependant, comme le souligne Michel Aglietta (La crise : Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? 2009) : « En revanche, dans le cas des crédits titrisés, les agences de notation notent et sont en même temps parties prenantes de la titrisation. La constitution du produit et la notation sont complètement imbriquées. »

Ce qu’il s’est donc passé réellement, c’est que les agences de notation ont accordé trop généreusement des notes AAA (donc les notes les plus élevées) sur les paquets titrisés. Evidemment, ces notes généreuses démontraient que les paquets étaient sûrs, qu’ils ne présentaient pas de risque. Au bout du compte, cela a contribué à la formation de la bulle spéculative. Certains experts affirment que sans la notation, le risque réel aurait pu être mieux appréhendé, ce qui, par hypothèse, n’aurait pas provoqué cette euphorie sur les marchés.

Mais le rôle des agences de notation dans la crise des subprimes ne se limite pas à la publication de ces évaluations erronées. En effet, lorsque le marché immobilier américain s’est retourné, les agences de notation n’ont pas dégradé de manière correcte et dans les temps les titres de créances hypothécaires. Elles ont en fait réagit trop tard et par des dégradations brutales, provoquant une panique sur les marchés financiers et dégradant le climat de confiance ; ce qui a, évidemment, aggravé la crise déjà entamée.

En clair, 93% des titrisations des produits hypothécaires commercialisés en 2006 avec la note AAA ont maintenant la note de « junk bonds », en français « obligation pourrie ».

            Un autre aspect du rôle des agences de notation dans la crise des Subprimes a été évoqué par Paul Krugman. Ce dernier évoque des potentiels conflits d’intérêts : « Dans un message, un employé de Standard and Poor’s explique qu’il faut organiser une réunion pour  »ajuster les critères de notation » afin d’évaluer des titres hypothécaires  »à cause de la menace actuelle de perdre des contrats ». Un autre message demande que les notes sur les produits financiers subprimes soient adoucies pour préserver les parts de marché de l’agence » (New York Times, 25 avril 2009).

Néanmoins, il est nécessaire d’appréhender l’annonce de Moody’s comme l’étincelle qui conduit à une crise de confiance généralisée sur les marchés financiers. Et, fatalement, la confiance qui règne sur les marchés, du moins l’absence d’incertitudes, est la pierre angulaire du bon fonctionnement des marchés et de la rationalité des comportements des agents. Attardons-nous sur une citation de Kindleberger (Histoire mondiale de la spéculation financière) : « n’importe quel incident qui écorne la confiance dans le système, conduit les gens à envisager une possibilité de faillite, et les pousse à liquider leurs positions, biens, les actions, l’immobilier, les lettres de change, les billets à ordre, les devises étrangères, ce peut être une faillite, un suicide, une révélation, un crédit refusé, une personne en vue qui change d’opinion… » S’il n’y a pas de confiance, le risque est grand d’assister à des actions et à des comportements irrationnels ; en d’autres termes, à une débâcle. Les esprits animaux, théorisés par John Maynard Keynes dans sa fameuse Théorie Générale, sont lâchés.

Keynes aborde longuement la question des comportements sur les marchés financiers, dans le chapitre 12 de la Théorie Générale, et du risque qu’ils présentent. Keynes présente la rationalité à l’oeuvre sur les marchés financiers comme spécifique : au travers de l’image du concours de beauté, il démontre en effet que la valeur d’un titre sur un marché financier ne dépend pas des fondamentaux de l’entreprise qui l’émet mais de l’opinion que se font les différents acteurs. Ainsi, la valeur d’un titre dépend de la spéculation généralisée des acteurs ; et, plus concrètement, par l’idée que se fait chaque acteur des opinions des autres. Keynes définit d’ailleurs la spéculation comme une activité qui consiste à « prévoir la psychologie de marché » : toute idée de rationalité est rejetée. Au final, ce sont les opinions et les représentations des acteurs qui importent. Ces croyances ou représentations sont fondées sur ce que Keynes appelle la convention financière : André Orléan la définit comme « une organisation sociale au travers de laquelle la communauté se dote d’une référence commune, produit d’une représentation commune qui fonde les anticipations individuelles » (1990). Dès lors qu’il y a un doute, une incertitude quant à la solvabilité d’un actif ou d’un acteur, le risque est grand. Michel Aglietta, en 2008, expliquait que « L’instabilité est inhérente à l’économie de marché parce que les prix sur les marchés des actifs financiers ne se forment pas de la même manière que les prix des bien ordinaires ». Il considère les actifs financiers comme « des éléments de valorisation de la richesse ». Dès lors, plus le prix d’un actif est élevé, plus la demande est forte, et plus sa valeur augmente. Potentiellement, la croissance d’un actif est infinie ; et l’équilibre financier ne peut exister. Ainsi, « l’instabilité est intrinsèque au capitalisme financier ».

Enfin, il est intéressant de s’attarder sur une citation de Caballero et Krishnamurthy (2008) pour appréhender ces effets cumulés : « Les instruments financiers et les structures de produits dérivés qui ont soutenu la croissance récente des marchés du crédit sont complexes […]. En raison de la prolifération rapide de ces instruments, les opérateurs de marché ne disposent pas de données sur longue période pour évaluer le comportement futur de ces structures financières en période de tension. Ces deux facteurs, complexité et absence de données historiques, sont les conditions préalables à une incertitude de grande ampleur.»

Un mois plus tard, le 9 août 2007, BNP Paribas gelait les retraits de ses clients dans trois de ses fonds monétaires. La crise atteint la France, bien que le 1er août, Baudouin Prot (directeur général) avait assuré que la liquidité de ses produits était « totalement assurée ».

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