Luc Ferry est un philosophe et ancien ministre ; il a écrit de nombreux ouvrages traduits dans une quarantaine de langues. Dans ce dernier, il démontre que ce n’est pas la croissance mais l’innovation qui va nous sauver. L’innovation est à la fois angoissante, destructrice et déstabilisatrice à toutes les échelles, mais elle apparaît comme vitale et formidable dans le même temps. L’auteur se penche tout particulièrement sur le cas français. Car si “dans cet univers de compétition universelle qu’on appelle la mondialisation, les investissements innovants sont devenus vitaux pour nos économies”, la France innove de moins en moins et se désindustrialise de plus en plus, ceci expliquant cela” Tu trouveras ici une partie de la thèse qu’il présente et qui pourra t’être utile en tant que préparationnaire ; cependant je n’aborde volontairement pas certains chapitres qui présentent une réflexion de qualité mais dont je doute de l’utilité pour une dissertation de préparationnaire.

De la nature des freins à l’innovation (selon le discours patronal)

En France les deux causes les plus souvent évoquées sont la peur (cause intellectuelle et morale) et la fiscalité écrasante “de plus en plus envahissante” (cause matérielle).

En ce qui concerne la peur, elle est a priori absurde, comme “ [inscrite] dans la Constitution” à travers le principe de précaution.  Pour l’auteur il s’agit bien du  “symbole d’une société cédant peu à peu à l’idéologie funeste du risque zéro. Merci l’écologie ! ….”. Il constate ainsi qu’ “il est vrai que notre continent semble tétanisé par l’angoisse. Nous avons peur de tout : du sexe, de l’alcool (…) de la Turquie ….”, une liste à la Prévert finalement assez exhaustive au regard de la société. Luc Ferry dénonce entre autres les films éco catastrophiques comme vecteurs caractéristiques de cette prolifération des peurs généralisées.

Or  “ la peur est mauvaise conseillère” : nous devrions affronter nos peurs pour “devenir une grande personne” pour parler comme le Petit Prince de St Exupéry.  Néanmoins la peur n’est plus aujourd’hui un symbole de puérilité (p11) mais de sagesse. Pour l’auteur il est absurde de saluer la peur comme un élément salutaire permettant la prise de conscience (en géopolitique, environnement etc…) comme le fait  Hans Jonas dans son Principe de la responsabilité, dans le chapitre  “Heuristique de la peur “ (du grec  heurisko : “découvrir”) très cité par les écologistes allemands. Il met en avant le fait que lorsque l’on  est frappé de phobie, on est incapable de réflexion sensée et tenté par le repli sur soi. Il vaudrait donc mieux agir “en Ulysse”. L’auteur évoque à la suite de cela  Schumpeter, un des plus grands économistes du 20e siècle et qui nous voue à la logique perpétuelle de l’innovation  (donc de la rupture, donc du risque).

Les deux croissances : “relance par la consommation” et “destruction créatrice”

Il existe deux mécanismes de croissance dans l’économie moderne : une croissance “schumpétérienne” et une “keynésienne” (du nom des deux économistes les plus marquants du 20e).

  • Croissance “keynésienne” :

Elle consiste en une augmentation du nombre de consommateurs (et si possible de « l’épaisseur de leur portefeuille »). Elle génère l’adhésion de la gauche, friande de “relance par la consommation” évoquée par Keynes. Toutefois il existe une limite double au raisonnement keynésien : les marges bénéficiaires des entreprises ne sont pas infinies et la concurrence liée à la mondialisation est bien réelle. On pourra penser à l’ouverture à des concurrents comme la Chine ayant des coûts de production 25 à 30 fois inférieurs aux nôtres (l’absence d’Etat-providence  permet des plages horaires plus importantes,  des bas salaires, de faibles charges…). Pour rivaliser il faudrait “envoyer d’urgence la CGT en Chine”.

  • Croissance “schumpétérienne” :

Le vrai moteur de la croissance n’est autre que l’innovation qui rend obsolètes les reliefs du passé : produits, techniques, modes de vie, etc. Elle est pertinente dans le contexte actuel, surtout sa théorie de “destruction créatrice”. C’est d’ailleurs dans les secteurs où la France fut capable d’innover –le TGV, l’Airbus, notamment- qu’elle tire son épingle du jeu”.

L’innovation permanente, nous pousse à toujours consommer  (il suffit de regarder nos téléphones et nos voitures).

Ce ne sont pas seulement les produits qui ont évolué : il existe des mutations “multi-usages” bouleversant nos modes de vie et suscitant de nouvelles voies de production et consommation donc de croissance et emploi : exemple le plus frappant : Internet qui “change de fond en comble la donne économique (…) de la librairie au tourisme, de la publicité à l’information en passant par toute les formes de vente en ligne et de téléchargement légal ou illégal”.

Schumpeter parlait déjà de destruction créatrice dans les années 1940 notamment comme de la “donnée fondamentale du capitalisme” à laquelle toute entreprise se doit de s’adapter de son gré ou non.

Nicolas Bouzou : “On entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser

Cette citation résume parfaitement l’état d’esprit du siècle face à cette innovation destructrice. Les innovations techniques mettent au chômage ceux vivant dans l’ancien monde (par exemple le livre du temps de Gutenberg qui a entraîné la suppression des scribes à cause de l’imprimerie car un imprimeur peut remplacer 200 copistes; actuellement la mise en danger des libraires et disquaires avec le numérique). Mais ceux bénéficiant en premier d’une bonne formation en bénéficient : on observe alors “l’apparition de nouvelles inégalités : malheur aux non-diplômés quand le monde change !”. Ainsi “la destruction créatrice secoue le corps social en permanence. Plus la croissance est forte, plus le corps social est secoué”.

C’est parce que bien souvent, on oublie le processus de “Synthèse créative”, par exemple, la façon dont Internet change et facilite nos vies.

Il prend entre autres l’exemple des TMU (technologies multi-usages) : il s’agit de technologies ayant un impact dans leur secteur d’origine et l’ensemble de l’économie (électricité, vapeur, nanotechnologies…). Leur domaine d’application ne devient évident qu’après quelques décennies avec notamment l’apparition de secteurs secondaires générant croissance et création d’emplois et salaires.

N. Bouzou en parle comme d’un “moment magique” et comme de l’ouverture d’une aire de progrès incontestable.

L’art moderne ou l’innovation destructrice à l’état chimiquement pur

L’art contemporain se veut “destructeur”, subversif à l’égard du passé, voire révolutionnaire (mise en scène permanente de la rupture avec la tradition). Il est le versant voué à ce qu’Hegel appelait la “négativité” mais il s’affiche également positif, novateur, orienté vers l’ouverture et l’avenir.

D’un côté l’artiste contemporain se montre “bohème”, anticonformiste etc. mais il est en accord avec le capitaine d’industrie (financier ou banquier) en étant tourné vers la créativité et l’audace…

Sont cités en exemple Yasmina Reza, Schönberg (compositeur).

L’auteur rappelle enfin ce en quoi consiste le triangle de Kandinsky. Une métaphore qui selon lui aurait pu ravir Schumpeter tant elle illustre sans le savoir ni le vouloir, la logique capitaliste de l’innovation destructrice.

Kandinsky est père fondateur de l’art abstrait (un des plus grands théoriciens de l’art moderne). Il compare l’histoire de l’art à un grand triangle qui se déplace dans le temps en progressant  vers le haut, de sorte que la base viendra un jour ou l’autre prendre la place qui était auparavant celle du sommet qui lui est occupé par un être singulier : le génie (que Kandinsky définit par deux traits caractéristiques de l’individualisme libéral : la capacité d’innovation et de rupture avec la tradition ainsi que la volonté de s’affranchir des contraintes de l’art classique). Le sommet du triangle correspond au génie forcément solitaire car il est un point. Le créateur à la pointe est donc en avance sur son temps et incompris.

Boîte à idées

Voici quelques citations et précisions de chapitres que je n’ai pas abordés.

  • Attention à bien différencier la “destruction créatrice” (faire tomber l’Iphone 4 dans l’eau n’avance à rien) et “l’innovation créatrice/destructrice” (inventer l’iPhone 5 rend caduc le 4).
  • “Comme une espèce animale qui ne s’adapte pas est “sélectionnée” dans le monde de Darwin, une entreprise qui n’innove pas sans cesse est vouée à disparaître, à être avalée par le voisin”. Il ne s’agit plus comme le croyaient les philosophes du 18ème de chercher le bonheur, la liberté et le progrès humain mais de survivre, se battre et de gagner dans un monde de compétition féroce. Luc Ferry évoque d’autres difficultés auxquelles nous devons faire face en particulier le fait qu’alors que le marché est devenu mondial, nos politiques sont restées étatico-nationales !!!
  • L’Etat : “ Il est un peu pour la nation l’équivalent du cerveau pour un corps humain, le site de la conscience de soi”

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