Plus de 25 000 milliards de dollars sont évaporés dans les paradis fiscaux de nos jours… Il faut savoir que c’est plus que le PIB combiné des Etats-Unis et du Japon. Le scandale des Panama Papers révèle ainsi un trou noir qui existe dans l’économie mondiale. On peut noter que la délinquance économique et financière n’a pas attendu la mondialisation pour se développer. Cependant, la globalisation financière des années 1970 lui a ouvert de nouvelles opportunités en matière de blanchiment d’argent sale. On remarque à travers l’exemple des Panama Papers que les réglementions nationales sont, en effet, devenues inopérantes face à la fuite fiscale. Nous allons dans cet article analyser ce phénomène qui aujourd’hui prend de l’ampleur et pose de nombreux problèmes, d’un point de vue économique, social et éthique!

I) Le cas des Panama Papers, une fuite sans précédent.

Le 3 avril 2016, 109 médias du monde entier dévoilaient les résultats d’une enquête sur la plus grosse fuite de données de l’histoire, les Panama Papers. Mais que révèle cette fuite?

Les Panama Papers, c’est la fuite de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats Panaméen, Mossack Fonseca, soit 2600 Go de données, soit environ 1621 épisodes de House of Cards…

C’est un lanceur d’alerte dont nous ne connaissons pas l’identité qui a donné au quotidien Allemand Süddentsche Zeitung ces informations sur l’existence d’une fuite fiscale sans précédent. Quand l’un des journalistes du quotidien le questionne sur ses motivations, sa réponse est très simple : « I want to make these crimes public » …

Ce quotidien allemand a joué un rôle essentiel dans cette histoire. C’est lui qui va contacter l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) pour demander de l’aide, et c’est pourquoi 109 médias travaillaient sur cette fuite, dont Le Monde.

Ainsi, les Panama Papers, ce sont 214 488 structures offshores, rien que ça … Ces sociétés offshores se trouvent dans des paradis fiscaux (pays ou territoire à fiscalité réduite ou nulle, c’est à dire avec un taux d’imposition qui est jugé très bas par rapport aux niveaux d’imposition existant dans les pays de l’OCDE : on peut y retrouver des pays tels que la Suisse, Jersey, Hong Kong, Panama, les îles caïmans etc etc etc …)

Ces documents concernent donc l’existence de sociétés extraterritoriales – dites offshore – que le cabinet Panaméen a aidé à créer auprès de ses clients. Nous pouvons souligner que le problème n’est pas l’existence d’une société offshore, qui elle, est en soit légale. Le problème, c’est l’utilisation frauduleuse que celles ci permettent. Elles permettent en effet la fraude fiscale en dissimulant des capitaux aux autorités fiscales nationales, ou bien à blanchir de l’argent sale.

Cette affaire a fait beaucoup de bruit car elle touche des personnalités du monde politique comme par exemple Salmane Al Saoud, le roi dArabie Saoudite, Mauricio Macri, le président de l’Argentine, Petro Porochenko, président de l’Ukraine, le premier ministre de l’Islande, notre Platini national, Jerôme Cahuzac, certains proches de Poutine et j’en passe…

Pour approfondir cette fuite, je conseille grandement le visionnage du « Cash investigation » avec Elise Lucet disponible sur YouTube s’intitulant : Cash Investigation -« Panama Papers » Paradis fiscaux: le casse du siècle.

De plus, voici un moteur de recherche que l’ICIJ a mis en ligne (https://offshoreleaks.icij.org) dans lequel vous pouvez voir si votre voisin est concerné par cette fuite fiscale.

Pour conclure, nous pouvons dire que c’est une affaire historique de par son ampleur, qui met la lumière sur un sujet de plus en plus problématique, les paradis fiscaux. Retour sur un phénomène qui prend de l’ampleur dans un monde de plus en plus mondialisé financièrement !

II) La définition et le problème de l’existence des paradis fiscaux

Pour l’OCDE, un territoire est considéré comme étant un « paradis fiscal » si celui ci remplit ces 3 conditions :

  1. Mise en place d’une concurrence fiscale à travers des taux d’imposition insignifiants.
  2. Absence de transparence sur le régime fiscal mis en place sur le territoire concerné.
  3. Absence d’échanges de renseignements fiscaux avec les autres Etats.

L’existence des paradis fiscaux soulève plusieurs types de problèmes : on peut y voir la une concurrence fiscale déloyale entre les pays (il est vrai qu’une entreprise a intérêt à se domicilier en Belgique plutôt qu’en France en 2016). De plus cela pose un problème dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des organisations criminelles (Daech et Al Quaida par exemple utilisent des paradis fiscaux pour y cacher leurs capitaux). C’est ainsi très problématique, de plus l’opacité des paradis fiscaux compliquent la lutte contre le blanchiment d’argent, notamment issu de la drogue et du grand banditisme. 

Enfin ce phénomène a un impact sur la stabilité du système financier international.

Les paradis fiscaux pèsent donc sur l’économie mondiale. Notons qu’en 2008, d’après l’avocat fiscaliste Edouard Chambost, spécialiste du sujet, plus de 55% du commerce international et environ 35% des flux financiers transitent par les paradis fiscaux. D’après lui « c’est bien la preuve qu’ils constituent aujourd’hui un rouage essentiel de notre économie » et cela serait plutôt positif.

Mais cela est contestable et contesté par de nombreux économistes, Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez dans Pour une révolution fiscale: un impôt sur le revenu pour le XXIè siècle (2011) contrent radicalement cette théorie, car d’un point de vue social, l’existence des paradis fiscaux est catastrophique et représente un manque à gagner fiscal énorme pour les gouvernements.

Les paradis fiscaux pèsent également sur la gestion des actifs. Selon les estimations de l’ONG Oxfam, environ 10 000 milliards de dollars d’actifs y sont gérés, et d’après le quotidien économique Français La tribune, les deux tiers des hedge funds seraient domiciliés dans des paradis fiscaux. D’un point de vue économique, c’est un énorme manque à gagner pour les nations.  On remarque d’ailleurs que le rôle des hedge funds domiciliés dans les paradis fiscaux durant la crise de 2008 était très important et permettait une grande instabilité à cause de la spéculation.

Pour Christian Chavagneux et Ronen Palan dans Les paradis fiscaux (2012), d’un point de vue financier, on estime la perte de recettes fiscales en France liée à l’évasion fiscale entre 60 et 80 Milliards d’euros. C’est un manque à gagner énorme qui pourrait être investi dans l’éducation, la recherche et le développement, ce qui serait plutôt positif pour relancer un taux de croissance qui peine à repartir. C’est environ 15 à 20% des recettes fiscales du pays qui partent en perte sèche du fait de la fraude…

Au niveau mondial, il est quasiment impossible de trouver un chiffre fiable, car qui dit paradis fiscal dit secret et opacité.

On peut enfin remarquer que socialement, les paradis fiscaux sont un désastre car comme le souligne Chavagnenx, « les paradis fiscaux fonctionnent essentiellement au profit d’une petite élite mondialisée, même si l’on constate une forme de démocratisation de l’exil fiscal. Dans tous les cas, cela renforce les inégalités, remet en cause le consentement à l’impôt et donc fragilise la démocratie. ».

III) Des solutions existent, mais nécessitent une collaboration internationale qui ne peut pas pour le moment se mettre en place

Des progrès ont été réalisés

Longtemps, les Etats sont restés sourds face à cette problématique financière. Aujourd’hui nous pouvons voir qu’un changement est amorcé. 

Le premier changement que l’on peut clairement voir remonte au lendemain du 11 septembre 2001. Les groupes terroristes, en effet, utilisaient les paradis fiscaux pour se financer. Les USA ont alors fait pression sur les places offshore pour qu’elles leurs communiquent des informations sur leurs clients.

Le second changement a eu lieu à l’occasion de la crise de 2008. Au G20 de Londres en 2009, les pays développés font pour la première fois état d’une volonté de contrôler la finance, notamment les Hedges Funds. Ainsi les USA signent en 2010 la loi « Facta » qui impose aux pays où des contribuables américains ont un compte de communiquer directement au fisc américain toutes les informations disponibles.

Cependant, les pays ne vont pas lâcher leur avantage fiscal comparatif si facilement: notons que l’Irlande est sortie de la crise de l’Euro en abaissant son taux d’imposition à 12,5%. Ainsi l’arme fiscale se révèle utile aux nations, plus que jamais en temps de crise.

Mais des obstacles subsistent

Si tous les pays semblent partager le constat et une même volonté, nulle juridiction internationale ne peut forcer les Etats à faire évoluer leur législation. Les places financières les plus innovantes ne veulent pas normaliser une activité économique générant richesse et emplois (mais surtout richesse…)

De plus les FMN (firmes multi-nationales) ne veulent pas la remise en question d’un système qui leur permet de réduire leurs impôts en localisant leur profit dans les pays ou la fiscalité est plus avantageuses par le jeu des « prix de transfert ». C’est pourquoi de nombreux obstacles subsistent.

Que faire contre les paradis fiscaux ?

Pour finir, nous allons nous appuyer sur un article d’Alternatives Economiques sur les paradis fiscaux. Pour Christian Chavagneux, cela passera à travers 3 points :

1- Une directive sur les prix de transfert : contrôler les prix auxquels les FMN s’échangent des biens et services. Cela consiste donc à établir une base fiscale consolidée au niveau européen entre les différentes entreprises.

2- Réformer les normes comptables : chaque firme devra rendre public la localisation géographique de ses profits, le montant de ses actifs ainsi de suite. Cela doit être contrôlé par le parlement Européen.

3- Partager les informations : les Etats doivent absolument partager les informations fiscales sur les contribuables qui y sont domiciliés: c’est l’objectif de la loi Facta aux USA après sa signature en 2010.

Ainsi, nous pouvons conclure en disant que la lutte contre la délinquance financière internationale passera par la volonté d’en finir avec les paradis fiscaux (on remarque que les Panama Papers font beaucoup de bruit mais provoquent peu de changement). Cette lutte doit trouver ses motivations dans des arguments moraux bien sûr, mais aussi dans des arguments économiques.