Major-Prépa s’associe avec Diplo’Mates et publie les articles lauréats du Diplo d’Or 2015. Diplo’Mates est une initiative étudiante nouvellement créée à l’EMLYON, qui propose aux étudiants des évènements et du contenu multimédia en rapport avec les affaires internationales. Palais de l’ONU, porte-avion Charles de Gaulle, participation à des simulations de négociations ou encore articles sur leur site, il y en a pour tous les goûts ! Leur dernier évènement, le concours d’écriture Diplo d’Or BNP PARIBAS, a réuni près de 150 inscrits en 2015. Cet article écrit par Théo Mantovani, étudiant à l’ESCP Europe, a obtenu la 4ème place du concours.

L’Afrique est innervée d’allégeances au secours d’intérêts souvent contradictoires. Ses ressources naturelles sont frénétiquement convoitées, tant par les élites que par les occidentaux, laissant pour compte les populations. Leur répartition — figée en 1884 par la conférence de Berlin et confirmée dans les principes fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine en 1963 — est débattue, source de conflits. Elles assurent à ceux qui les contrôlent un pouvoir d’autant plus précieux que la résurgence des revendications ethniques à la fin de la Guerre Froide, ainsi que les évolutions structurelles du continent ont fait vaciller la légitimité des jeunes institutions démocratiques. Si de nombreux facteurs menacent les perspectives de son développement, des initiatives semblent pouvoir laisser poindre un nouvel espoir.

Force est de constater que la démographie constitue un enjeu crucial de l’avenir africain : les projections tablent sur une population de 2,4 milliards d’habitants en 2050 et de 4 milliards en 2100. Outre les problèmes d’infrastructure, sanitaires et sociaux, la démographie africaine paraît ralentir les effets de la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie. Si la croissance du PIB africain s’établissait autour de 4,5% en 2014, celle du PIB par habitant est bien moindre, stagnant à 1,6%. A cause de la forte polarisation des sociétés et la prégnance des inégalités sociales, il demeure difficile pour les populations d’en tirer partie.

Cette croissance est également réduite par les pressions exercées par les puissances occidentales. Nombreuses sont en effet les entreprises européennes qui s’arrogent les terres arables en vertu du principe libéral de l’allocation optimale des capitaux. Énoncé par la banque mondiale en 2008, il organise l’expropriation légale des petits producteurs au profit d’exploitations à grande échelle, plus productives. C’est ainsi qu’en Éthiopie 3,6 millions d’hectares de terres ont été transférés à des investisseurs dont la production, presque exclusivement destinée à l’exportation, a participé de la paupérisation des populations.

La subordination de l’Afrique, dont ces pressions sont l’une des conséquences, a pris un nouveau tournant au début du XXIe siècle. A l’euphorie relative aux politiques d’investissement destinées à la soustraire à son rôle d’exportateur de matières premières au moment des indépendances, ont succédé des difficultés nombreuses accrues pendant les années 1980 et entérinées par les fonds vautours entre 2000 et 2008. Cette situation économique a rendu pressante la nécessaire intensification d’une aide financière internationale. Et voilà le cercle vicieux initié : en échange de la réduction ou de l’effacement des dettes des États dans le cadre des programmes d’ajustements structurels, ceux-ci sont sommés de se plier aux règles du libéralisme et du libre-échange qui restreignent encore davantage leur autonomie politique.

C’est de fait l’assise de la démocratie que menacent ces politiques : l’appel à l’aide internationale alimente le ressentiment des citoyens africains envers leurs dirigeants dont ils critiquent l’incapacité et l’illégitimité à se maintenir au pouvoir. Comment la souveraineté populaire peut-elle s’incarner et la population se reconnaître dans ses institutions quand Paul Biya se maintient à la tête du Cameroun depuis plus de 23 ans et tend à satisfaire les cénacles parisiens davantage que les souhaits de son peuple ? La faiblesse des dépenses publiques, et des budgets des services sociaux et collectivités locales — 3,5 % en moyenne du PIB des Etats africains, dont 85 % sont employés à répondre à des besoins de fonctionnement — entérine cette frustration. Devant la faiblesse de l’Etat, se développent des liens féodaux qui revêtent un caractère clanique et sapent une nouvelle fois la

définition de la nation au profit d’allégeances locales qui entrent souvent en conflit avec l’intérêt général des populations.

A ces difficultés s’ajoutent des problèmes sous-jacents aux relations inter-étatiques africaines. A l’Ouest, le trafic de cocaïne est organisé par l’armée et les groupuscules terroristes concurrents dans l’animation des réseaux clandestins dont l’activité a généré près d’un milliard de dollars en 2014. Au centre de l’Afrique, au Sahel notamment, se développent des « zones molles », autrement dit, des lieux où le pouvoir des Etats ne s’appliquent plus. C’est ainsi que Boko Haram et Mujao, deux courants de la mouvance islamiste radicale, pillent des territoires délaissés par les pouvoir publics, recrutant parmi leurs rangs les membres frustrés des populations marginalisées. Au Sud, les épidémies continuent de décimer la population et le SIDA de toucher plus d’un quart d’une population dont l’accès aux soins est limité par une industrie pharmaceutique avare de ses brevets.

 Des perspectives d’amélioration concourant à la définition d’une identité commune sont cependant notables. La politique de décentralisation conduite par l’ancien président malien, Alpha Omar Kararé a ainsi permis une meilleure appréhension par les populations des pratiques démocratiques. Au Sénégal, Macky Sall abonde en initiant la mise en place d’une couverture maladie universelle qui vise à couvrir 70 % de la population à horizon 2019. Ces initiatives sont concomitantes et complémentaires à l’émergence du concept de citoyenneté locale dont la matérialisation laisse à penser qu’elle est une clef de voûte de l’avenir de la démocratie africaine. A Madagascar, au Sénégal et au Cameroun où les démarches sont le plus abouties, certaines collectivités locales organisent l’élaboration citoyenne des budgets, permettant ainsi une meilleure allocation des ressources et favorisant la cohésion sociale entre centre et périphéries.

Les nouvelles technologies participent également de cette meilleur répartition des pouvoirs entre élites et populations. Ainsi la mobilisation des jeunes nigérians sur les réseaux sociaux a-t-elle empêché le président sortant, Jonathan Goodluck de modifier la Constitution à la faveur de sa réélection en 2012. Au Burkina Faso, c’est un collectif mené par deux rappeurs, « Le balai citoyen » qui a provoqué le départ de Blaise Compaoré et veillé au bon déroulement de la transition démocratique conduite par Michel Kalfando.

A un niveau macro-politique, la création en 2002 de l’union africaine, version actualisée et politiquement renforcée de l’OUA, constitue une avancée majeure pour l’avenir de la démocratie africaine. Si ses pouvoirs coercitifs et financiers sont encore limités, elle est un atout crucial dans la valorisation internationale des intérêts du continent et dans la coordination des pays pour la lutte contre le terrorisme. Ainsi a-t-elle lancé un plan de sauvetage de 60 millions de dollars pour la sauvegarde du lac Tchad dont la préservation est un rempart économique et social à l’extension de Boko-Haram dans la région.

Ces progrès demeurent cependant fragiles et rappellent que la tentation totalitaire et le spectre de la guerre civile ne sont pas étrangers aux régimes africains comme en témoigne la guérilla urbaine qui a rongé la Côte d’Ivoire en 2002. Il semble finalement que le principal défi de l’Afrique à l’horizon 2020 soit de parvenir, à l’abri de l’ingérence occidentale et avec le concours des femmes dont il faut favoriser l’éducation, à renouer avec des symboles et formes d’exercice du pouvoir qui correspondent à la réalité et aux traditions des sociétés africaines pour favoriser l’ancrage de la démocratie et lutter contre les maux qui la traversent. Pour cela, plus que d’hommes forts, l’Afrique a besoin d’institutions fortes dont elle seule peut-être à l’initiative. Comme l’écrit le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, « Personne ne viendra changer l’Afrique à notre place, il faut se lever pour changer tout ça, n’ayons pas peur de l’ouvrage, de tout reprendre à zéro. N’ayons pas peur, tournons la page, pour construire un monde nouveau ».