L’Asie, ce continent qui fascine autant qu’il agace, est de plus en plus au centre de l’actualité. Depuis une vingtaine d’années et son ouverture effective, ce territoire polarise les flux en tout genre, jusqu’à devenir aujourd’hui le continent le plus riche en termes de PIB. C’est d’ailleurs pour cette raison que Mahbubani (diplomate singapourien) publiait en 2008: « the new asian hemisphere, the irresistible shift of global power to the East », afin de souligner ce basculement, ce glissement vers l’Asie opéré lors des dernières années. Dès lors, il est plus que légitime de se demander si ce continent est naturellement prédestiné à une telle réussite. Ce continent, le plus grand du monde (44,6 millions de km²), a par sa taille assez naturellement tous les attributs de la richesse. Symbole de cette richesse, il a été au cœur des enjeux coloniaux pendant la première moitié du XXe siècle, puisqu’il recelait de nombreuses matières premières dont les Européens étaient dépourvus. Nous verrons donc dans un premier temps que l’atout majeur de ce continent n’est autre que sa population, pour ensuite étudier les nombreuses ressources que recèle ce vaste territoire. Enfin, on se posera la question inverse : l’Asie ne serait-elle pas pauvre par tant de richesses ?

Il n’est de richesses que d’hommes  en Asie… 

Jean Bodin s’est longtemps laissé définir par cet aphorisme : « Il n’est de richesses que d’hommes. » Ce dernier prend tout son sens en Asie, région la plus peuplée au monde depuis de nombreux siècles. Le poids démographique asiatique est considérable et il suffit de lire quelques chiffres pour s’en convaincre : 4,5 milliards d’habitants dont 1,35 milliard pour la Chine et 1,25 milliard pour l’Inde. Mais réduire l’Asie à ces deux mastodontes serait insultant, on peut donner quelques exemples : on décompte ainsi environ 250 millions d’habitants en Indonésie, 182 millions au Pakistan, 160 millions au Bangladesh, 127 millions au Japon ou encore 100 millions aux Philippines. C’est pour cela que l’on résume régulièrement l’Asie à cette Asie des foules ou des masses. Cependant, il ne faut pas se méprendre, ce territoire est également d’une très grande hétérogénéité démographique et de nombreux pays se caractérisent en opposition à ces derniers par une faible population (Brunei, Timor Oriental, Mongolie).

L’Asie qui nous intéresse ici est cette Asie des foules, car la démographie est à de multiples égards un facteur clé de richesse et de développement de nos jours. G-F. Dumont, démographe français reconnu, ne nous contredira pas, puisque selon lui l’un des facteurs de richesse et de poids géopolitique sur la scène internationale n’est autre que la loi du nombre. Il est en effet fort difficile d’exister géopolitiquement sans une population d’envergure. C’est d’ailleurs pour cela que le poids démographique constitue un enjeu de puissance. Une forte population permet ainsi à un État d’être reconnu à l’international et constitue une force géopolitique indéniable en cas de conflit par exemple, puisque aujourd’hui encore, une guerre ne se gagne qu’avec des hommes et non des drones.

De plus, le poids démographique d’un État constitue l’élément le plus fondamental de son insertion dans la mondialisation et la DIPP, en particulier en Asie. Ainsi, l’extraordinaire croissance de la puissance asiatique couplée à quelques principes sociaux comme le respect de l’ordre établi, le confucianisme ou les multiples consensus gagnants de travail (le toyotisme au Japon par exemple) ont fait de l’Asie un gigantesque marché de croissance pour les firmes locales et les multinationales étrangères et ont permis à ce continent de devenir un espace incontournable de l’ « économie-monde ». Que rêver de mieux dans un monde frappé par la recherche du meilleur rapport coût-avantage que d’une population nombreuse, peu revendicative et peu onéreuse ? Les États asiatiques disposent donc d’un « capital humain » très important justifiant de facto les nombreuses délocalisations dans la région au cours des 35 dernières années. C’est donc dans le sillage de ces délocalisations que l’Asie littorale va se développer pour devenir aujourd’hui l’un des pôles de la mondialisation contemporaine. Le poids du nombre permet également grâce à la multiplication des universités dans les grandes villes de disposer de plus en plus de cerveaux qui seront les moteurs de la croissance de demain.Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont insufflé la formidable croissance du Japon et des Dragons durant les Trente Glorieuses (Fourastié) puis les Vingt Piteuses.

Enfin, le poids démographique de l’Asie lui permet de s’affirmer culturellement sur la scène internationale. Cette population véhicule dans le monde entier les valeurs asiatiques telles que le confucianisme, les arts martiaux, l’entertainment local (cinéma, jeux vidéo, mangas…) ou certains produits culinaires pour n’en citer que quelques-uns. Dans un monde où le soft-power est un autre élément de puissance, l’Asie réussit donc à propager sa culture dans le monde entier par le biais de ses diasporas. La prolifération d’instituts Confucius en Europe en est le meilleur exemple. Cette force démographique se traduit même par une peur d’un « péril jaune » dans de nombreux pays occidentaux, dans lesquels une frange de la population se sent envahie par les touristes asiatiques, les produits, firmes asiatiques et la culture asiatique. 

Un territoire très riche en ressources et matières premières

Cependant, il ne s’agit pas de réduire la richesse asiatique à sa seule population. D’ailleurs, une population nombreuse sans ressources suffisantes ne serait pas un atout mais plutôt un handicap. Si l’Asie a réussi à faire de sa population un tel atout, c’est tout d’abord parce que le continent dispose de ressources suffisantes pour nourrir l’ensemble de cette population. Face à la croissance exponentielle de cette dernière, le continent asiatique a rapidement fait le choix de la riziculture irriguée et systématisée pour la nourrir. Mais il ne faut pas s’y méprendre, l’Asie n’est pas qu’une « civilisation du riz », puisque de nombreuses autres céréales ou denrées alimentaires y sont cultivées afin de subvenir aux besoins de la population locale.

On pourrait faire une longue énumération de toutes les ressources dont dispose l’Asie dans sa globalité tant ce continent est bien pourvu. A contrario, tentons plutôt d’en étudier quelques cas en particulier. Parmi les ressources qui font la richesse de l’Asie, on trouve par exemple les ressources minières et énergétiques. La Chine est ainsi depuis son ouverture dans les années 80 le premier producteur mondial de charbon. Wen Jiabao, premier ministre de Hu Jintao affirmait en effet : « Le charbon est la colonne vertébrale du développement chinois. » L’Indonésie est l’autre pays riche en charbon de la région puisqu’il en produit environ 100 millions de tonnes par an depuis le début des années 2000.

Une autre richesse primordiale propre à la Chine en ce XXIe siècle n’est autre que les terres rares. Patrice Christmann, directeur adjoint et responsable de la stratégie ressources minérales au sein du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) en a donné une définition très intéressante, symbole de l’importance de ce produit, dans une revue en 2013 : « Nos arrière-grands-parents, au début du XXe siècle, consommaient à peine une petite dizaine de métaux différents. Ils étaient entourés de fer, de cuivre, de zinc, de plomb. L’aluminium en était encore à ses balbutiements. Cent ans plus tard, nous utilisons, au quotidien, pratiquement la totalité du tableau de Mendeleïev. Aujourd’hui, le moindre téléphone portable renferme environ quarante substances minérales, en allant du calcaire broyé en charge de plastique, aux métaux les plus rares. » Ces terres rares sont aujourd’hui produites à plus de 90% par la Chine, illustrant ainsi la richesse du sous-sol chinois.

L’Asie est enfin souvent comparée à un territoire pourvu de nombreuses richesses naturelles. D’ailleurs, on utilise souvent l’image du château d’eau pour définir l’Asie puisque l’on y trouve un vaste réseau de grands fleuves : le fleuve Jaune, l’Indus, le Gange, le Brahmapoutre et le Mékong pour n’en citer que quelques-uns. Les puissances asiatiques étaient ainsi des siècles durant des empires hydrauliques. On aurait pu le préciser plus tôt mais c’est notamment grâce à cette richesse en eau que l’Asie a réussi à développer cette irrigation qui la caractérise. On pourrait également développer la richesse floristique et faunistique du continent (nombreuses forêts, culture de l’huile de palme à Bornéo, bambous, pivoines, camélias, mandariniers…) tout comme les richesses maritimes dont il dispose (richesses halieutiques, pétrole off-shore, nodules…).

Ces multiples richesses posent en réalité de nombreux défis à ce continent

Le premier défi important auquel fait face l’Asie est assez naturellement lié à la taille et à l’emplacement géographique de son territoire. En plus des nombreuses questions d’aménagement, l’Asie de l’Est, située sur une dorsale avec la Ceinture de Feu, fait face à de nombreux aléas climatiques : séismes, typhons, tsunamis… Ayant une forte population concentrée sur les littoraux, elle est donc d’autant plus vulnérable. On pense naturellement au tsunami de 2004 qui a causé la mort d’environ 230 000 personnes dans l’Océan indien.

Notion actuellement en vogue, le dividende démographique ne semble être qu’un doux mirage pour la majeure partie des États asiatiques actuels, contrairement à l’Afrique. Dès lors, un collapsus démographique est annoncé dans de nombreux pays asiatiques. Le Japon semble être l’exemple canonique des difficultés démographiques actuelles avec un vieillissement de la population qui fragilise l’ensemble du système. Cette situation préoccupe également la Chine qui après avoir mené une politique antinataliste durant de nombreuses années (politique du Wen Xi Shao puis de l’enfant unique), tente d’encourager une reprise de cette dernière pour ne pas se trouver en situation de déséquilibre d’ici quelques années. De graves tensions inter-générationnelles et financières menacent donc l’équilibre du continent.

Cette forte démographie pose également de nombreux autres défis au continent. Parmi ceux-ci, on pense par exemple aux inégalités de genre. En effet, les sociétés asiatiques sont très patriarcales : l’union indienne par exemple a un ratio de 120 garçons pour 100 filles, ce qui symbolise les inégalités de genre et pourrait poser de nombreux défis à l’avenir. De même, le continent fait face à de nombreuses difficultés liées à son aménagement, au dépeuplement des campagnes au profit des villes qui sont par conséquent surpeuplées, à la prolifération des bidonvilles et d’habitats précaires, au réchauffement climatique, etc. Ainsi, le poids démographique asiatique, facteur de croissance économique, peut aussi se transformer en réel handicap empêchant les populations de s’enrichir et ralentissant le développement notamment humain.

Enfin, l’exemple africain suffit également à illustrer l’insuffisance des ressources naturelles pour faire d’un continent un continent riche. En effet, l’ensemble des pays africains disposant de ressources minérales ou énergétiques semblent aujourd’hui souffrir de dutch disease du fait de la mauvaise organisation de la société basée sur la corruption, le népotisme, etc. De manière analogue, les multiples ressources asiatiques peuvent très rapidement poser problème et ce à de multiples égards. En effet, la question de la redistribution équitable des richesses se pose. Or, bien que le continent soit bien fourni, de nombreuses tensions et contentieux se développent notamment concernant le partage de l’eau ou certaines ressources pétrolières. L’État singapourien, dépourvu de ressources, est donc prêt à tout pour que son approvisionnement en eau soit respecté et a donc développé une hydro-diplomatie avec la Malaisie basée sur la dissuasion grâce à une force armée. De même, afin d’accroître leur ZEE et donc d’accéder à des gisements de pétrole off-shore, de nombreux États asiatiques s’affrontent aujourd’hui en mer de Chine méridionale. On pense naturellement au conflit sino-japonais pour les îles Senkaku ou aux îles Spratleys et Paracels au centre des intérêts régionaux (6 États s’y affrontent).

Par conséquent, l’Asie dans son ensemble doit réussir à correctement gérer sa croissance démographique et le partage des ressources par des mesures politiques et diplomatiques si elle veut pouvoir en jouir pleinement et non subir le contrecoup d’une richesse mal exploitée…

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