L’altermondialisme un mouvement hétérogène

Comment dès lors définir l’altermondialisme? Le politologue et chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’altermondialisme et des débats sur la mondialisation, Eddy Fougier, détermine cinq caractéristiques communes aux mouvements composites de l’altermondialisme. La première est qu’ils sont tous issus de la société civile (ce qui exclut par exemple les partis politiques). La seconde est de s’opposer à « la mondialisation néolibérale », définie comme « le phénomène d’extension du capitalisme » (Laurent Carroué) d’une part, et, d’autre part, comme l’occidentalisation du monde. Les altermondialistes s’opposent notamment aux institutions et aux gouvernements qu’ils jugent responsables de la mise en place de cette mondialisation. La troisième caractéristique est leur refus de se limiter à une critique mais de proposer une alternative. La quatrième est qu’ils suivent le mot d’ordre écologiste « penser global, agir local » (mener des actions locales pour des enjeux globaux). Enfin la dernière est l’importance accordée aux Forum sociaux mondiaux.

Dans un premier temps, il est important de distinguer les différents acteurs du mouvement. Leur caractéristique commune est donc d’être issus de la société civile (on parle d’OSC : Organisation de la société civile). En revanche, Eddy Fougier délimite deux groupes. Le premier est constitué des mouvements nés en réaction à la mondialisation et dont le cœur d’activité est l’analyse critique de la mondialisation. On peut citer : ATTAC, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde ou Global Trade Watch.

ATTAC (l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne)

ATTAC a été fondée en 1998 en France et est aujourd’hui présente dans plus de 38 pays. L’idée d’ATTAC apparaît en 1997 dans un éditorial du numéro de décembre de 1997 du journal Le Monde diplomatique intitulé « Désarmer les marchés » dans lequel Ignacio Ramonet, ancien directeur du journal, constatant l’emprise toujours croissante de la mondialisation financière, appelle à la création d’une « taxe Tobin » sur toutes les transactions financières.

Le second partage avec les premiers, outre son origine civile, le même constat sur la mondialisation et les mêmes luttes mais diffèrent dans le sens où leurs activités n’est pas centrée sur l’analyse du phénomène mais dans la défense d’intérêts spécifiques. On y retrouve essentiellement des ONG à l’image de Greenpeace fondée en 1971 et luttant pour la défense de l’environnement, Amnesty International fondée en 1961 et luttant pour la protection des droits de l’homme, le Mouvement des Sans-terres au Brésil… Les plus connues dans le mouvement altermondialiste sont Oxfam et Via Campesina.

Via Campesina

Via Campesina est une association paysanne fondée en 1993 et forte de près de 200 millions d’adhérents dans le monde qui défendent notamment la souveraineté alimentaire ou la défense des petites et moyennes structures agricoles. Elle a notamment organisé six conférences à Mons (Belgique) en 1993, Tlaxcala (Mexique) en 1996, Bengalore (Inde) en 2000, São Paulo (Brésil) en 2004, Maputo (Mozambique) en 2008 et finalement à Djakarta (Indonésie) en 2013.

Oxfam 

Née dans sa forme actuelle de la fusion de différentes ONG en 1995, Oxfam lutte contre la pauvreté, les inégalités dans le monde et globalement pour le développement durable : commerce équitable, lutte contre la pauvreté, réglementation des armes, éducation pour tous … Oxfam soutient des programmes de développement dans près de 90 pays. Elle s’est par exemple illustrée en réussissant à faire plier Starbucks dans un contentieux qui l’opposait au gouvernement éthiopien. Oxfam accusait la multinationale américaine de priver les paysans éthiopiens de plus de 88 millions de $ en faisant du lobbying pour empêcher que le gouvernement dépose la marque de trois variétés de cafés réputés. (http://www.economist.com/node/8129387)

Ces mouvements se retrouvent dans l’organisation des forums sociaux mondiaux. Ces derniers sont des lieux de rencontre et d’échange qui sont indissociables du mouvement altermondialiste. Plutôt que de se placer dans une logique d’opposition parfois violente qui peut desservir l’image du mouvement, les organisations ont prôné l’échange et la réflexion intellectuelle à travers l’organisation de grands forums. Le premier Forum Social Mondial est organisé en janvier 2001 à Porto Alegre au Brésil, puissance émergente dirigée alors par le socialiste Lula. À la suite de premier rendez-vous est notamment rédigée la « Charte des principes du Forum social mondial » qui dicte les principales lignes du mouvement altermondialiste. Ce premier forum regroupe 20 000 personnes.

La Charte des principes du Forum social mondial, un « consensus de Porto Alegre » (Eddy Fougier) ?

A la suite du premier Forum Social Mondial, le Comité d’organisation décide la rédaction du Charte des principes qui doit servir de ligne directrice pour les futurs Forum Sociaux Mondiaux. Constituée de 14 points, on y retrouve notamment l’affirmation du caractère civil du mouvement (Point 5) ainsi que la définition des ambitions du mouvement altermondialiste. La critique porte sur la mondialisation néolibérale créatrice d’inégalités et de précarisation des populations, mais aussi responsable de la marchandisation des biens communs. Les altermondialistes contre-proposent donc une mondialisation reposant sur un nouvel ordre économique plus équitable et plus régulé, assurant l’accès équitable aux biens partagés (eau, air, cultures, … ainsi que les services fondamentaux comme l’éducation, la santé ou la culture). Ce nouvel ordre économique doit être régi par une nouvelle forme de démocratie.

Au total douze forums ont eu lieu. Le quatrième forum a lieu à Mumbai en 2004 et a vu des personnalités de premier ordre s’y prononcer: Joseph Stiglitz (Prix nobel d’économie) ou Chirine Ebadi (Prix nobel de la paix). En 2006 est organisé un forum polycentrique qui a lieu successivement à Caracas (Venezuela), Bamako (Mali) et Karachi (Pakistan) mais c’est avec le forum de Nairobi en 2007 que l’on considère que l’altermondialisme est présent réellement partout sur le globe. Le forum de Montréal en 2016 est le premier à avoir lieu dans un pays du Nord mais déçoit par sa participation: 35 000 personnes uniquement contre des chiffres allant de 80 000 à 120 000 habituellement. Le forum social mondial a donné naissance à des forums continentaux à l’image du Forum social européen depuis 2002, ou des Forums sociaux africains, américains et asiatiques. Ponctuellement ont également lieu des forums régionaux comme le Forum social de la Méditerranée en 2005 à Barcelone.

Les différents FSM depuis 1996. Source : Atlas de la Mondialisation (Presse SciencesPo, 2012)

Néanmoins, le premier mode d’action des altermondialistes a été celui de la lutte le plus souvent pacifiste mais parfois violente. Ainsi si les révoltes du Chiapas sont un des moments fondateurs du mouvement, c’est avec les manifestations à l’occasion du sommet de l’OMC à Seattle en 1999 que le mouvement bénéficie d’une forte couverture médiatique et prend fortement de l’ampleur. Les manifestants réussissent alors tout bonnement à bloquer l’organisation du sommet. En dépit d’une majorité non-violente, on note l’organisation de Black Bloc (mouvement ponctuel visant à s’attaquer aux symboles de l’Etat et la société capitaliste) contre les bâtiments de plusieurs multinationales. Ce type de manifestations sera organisé à l’occasion de la plupart des rencontres internationales entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000. En juillet 2001, à Gênes (Italie), des manifestations altermondialistes menées aussi bien par des syndicats, des groupuscules d’extrême gauche, des militants écologistes ou du mouvement « black bloc » dégénèrent et font plus de 600 blessés. Elles se feront plus discrètes et moins violentes suite au 11 Septembre.

Enfin depuis les années 2010 surtout, les mouvements citoyens ont eu davantage d’importance. Deux mouvements principalement ont eu un large écho à l’échelle du globe. Le premier et le plus important est le mouvement « Indigné ». Ce dernier est inspiré par l’ouvrage du français Stéphane Hessel Indignez-vous ! publié en octobre 2010 dans lequel il appelle notamment à s’indigner face au creusement des inégalités. Traduit en 34 langues et vendu à 4 millions d’exemplaires, l’ouvrage de 30 pages a rapidement inspiré de nombreux mouvements locaux. Les premiers à s’en revendiquer sont les « Indignados » espagnols issus des manifestations de mai 2011 à Madrid et dans toute l’Espagne en réaction notamment à la crise financière qui a sévèrement touché l’Europe en particulier à travers la crise de l’Euro. Le second mouvement est le mouvement new-yorkais Occupy Wall Street né à New-York en Octobre 2011 et dont la principale revendication est « Ce que nous avons tous en commun, c’est que nous les 99% qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1% restant », mouvement clairement opposé au capitalisme financier dont le symbole est la bourse de New-York, Wall Street. Dans cette lignée, et bien que ne pouvant être considéré comme faisant partie du mouvement altermondialiste selon la définition de la Charte de Porto Alegre, de nombreux partis politiques, souvent qualifiés d’extrême-gauche, ont repris les thèses altermondialistes parfois avec succès. On peut citer par exemple le parti espagnol PODEMOS fondé en 2014 et devenu la 3e force politique du pays avec près de 20% des suffrages aux élections générales de 2015 et de 2016.

Occupy Wall Street, 2011, New York

Histoire complète de l’altermondialisme (1/3)

Histoire complète de l’altermondialisme (3/3)