Instauré par le Traité de Lisbonne (2007) sur le modèle américain, le discours sur l’Etat de l’Union est l’occasion chaque année au mois de Septembre pour le président de la Commission d’évoquer la situation de l’Europe et ses projets pour l’avenir. En 2015 et en 2016, Jean-Claude Juncker se désolait d’une Union désunie, minée par les divisions, et qui traversait une crise existentielle. Si les propositions du président de la Commission restent dans la continuité de celles de l’année dernière, le ton, lui, a changé.

Renforcer sa position dans l’économie mondiale

Ce qui rend Jean-Claude Juncker si optimiste, c’est d’abord le bilan économique de l’Europe : l’Union Européenne entame sa cinquième année de reprise économique avec une croissance à 2,2% (plus que les Etats-Unis à 2%). Surtout le chômage de masse et la crise de la dette ne semblent être plus qu’un lointain souvenir puisque l’UE affiche des chiffres records avec 7,6% de chômage et un déficit public de 1,6% (soit bien en-dessous des 3% du traité de Maastricht). D’autant plus que ces chiffres sont encourageants aussi dans le détail : seuls 6 États ont dépassé les 3% de déficit en 2016 (France 3,4% Royaume Uni 3% Espagne 4,5%) contre 12 à l’équilibre ou en excédent (Allemagne -0.8% Suède -0.9% et – record- Luxembourg -1,6%). Cette réussite est pour le président de la Commission fruit de l’action nationale mais aussi européenne notamment à travers plan de d’investissement pour l’Europe lancé en 2015 qui a permis de mobiliser 225 milliards d’euro pour 445 000 PME et 270 projets d’infrastructures.

 

« Nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange »

Cette bonne santé économique est une opportunité pour l’Europe de se maintenir comme pôle attractif de la mondialisation. L’Europe « a toujours été ouverte » et continuera à l’être ; en 2017, l’Union Européenne a signé un traité de libre-échange avec le Canada, un autre avec le Pérou, la Colombie et l’Equateur est entré en vigueur et un partenariat a été trouvé avec le Japon. Toutefois, l’Europe doit rester attentive et continuer à voir la mondialisation comme un moyen d’étendre ses normes. En aucun cas elle ne doit être « naïve ». Jean-Claude Juncker propose ainsi d’améliorer la transparence des projets étrangers visant des secteurs européens stratégiques (défense, contrats publics) à travers un nouveau cadre : le « Investment Screening ».

Protéger ses citoyens

Il n’y a pas que sur le plan économique que l’Europe doit se protéger. Si l’Union a souvent été en retard sur les enjeux contemporains, Jean-Claude Juncker souhaite accélérer les réformes concernant notamment le numérique à travers la création d’une Agence européenne pour la cybersécurité ; l’objectif est de pouvoir faire face aux virus dont l’actualité de 2017 a témoigné à la fois la prolifération (4000 attaques) et le danger (les virus Petya et Wannacry de type ransomware  (virus qui prend en otage des données et exige donc de payer une rançon pour être débloqué) ont paralysé des grandes FTN et des administrations publiques ).

Surtout, suites aux annonces notamment du nouveau président français Emmanuel Macron mais aussi des progrès réalisés à Bratislava en septembre 2016, puis au parlement européen entre octobre et décembre 2016 avec l’adoption de nombreuses mesures (budget commun pour du matériel militaire, création d’un Etat-major), Jean-Claude Juncker désire achever l’Europe de la défense d’ici à 2025. Néanmoins, cette idée reste ambitieuse car profondément clivante mais aussi car ces termes restent flous (dans ou en-dehors de l’OTAN ?).

Accélérer l’intégration européenne

Certainement l’année 2016-2017 a marqué un tournant pour l’Union Européenne. L’année dernière, le président de la commission soulignait les divisions toujours plus importantes entre les Etats-membres (vote pour le Brexit en Juin 2016, opposition du groupe V4 dans la crise migratoire) mais aussi la défiance croissante des citoyens avec la montée des populismes. Or l’instabilité générée par l’élection de Trump et la défection du Royaume-Uni a été le meilleur vaccin pour l’UE puisque les populistes ont été défait en Autriche (FPÖ), en France (FN) et aux Pays-bas (NPV).

Toutefois, plutôt que de se laisser porter par ces « vents favorables », l’Europe doit « hisser les voiles » et tirer au maximum profit de cette situation. Avant tout, les divisions n’ont pas été résolues en intégralité. Le président de la commission rappelle qu’une Europe unie est une Europe d’accord sur les valeurs qui la font vivre : liberté, égalité et Etat de droit. C’est donc un sévère rappel à l’ordre qu’adresse implicitement Jean-Claude Juncker à la Pologne, menacée de suspension depuis Juillet (en accord avec les mesures du Traité d’Amsterdam de 1997) suite aux réformes lancées par le Parti Droit et Justice qui visent notamment à réduire l’indépendance de la Cour Suprême. L’Europe doit donc d’abord être plus unie et cela passe par la disparition à terme des mesures dites opt(ing) out qui autorisent à un pays de ne pas participer à un accord (sur l’Euro, Schengen, la Citoyenneté Européenne). C’est-à-dire que zone euro, espace Schengen et Union européenne devront se confondre, et l’Europe doit aider les pays à aller en ce sens. Plus ambitieux, le président propose un socle européen social, souvent le point le plus difficile à harmoniser (réticence des pays qui pensent perdre en compétitivité). Aussi, pour être « plus inclusive », l’Europe doit replacer le citoyen au cœur de la prise de décision. Les élections européennes devront être plus longues, plus ambitieuses, plus proche des élections nationales (système de candidat tête de liste) et Jean-Claude Juncker laisse même entrevoir des listes transnationales.

Enfin, cela ne saurait être accompli si les Etats ne parviennent pas à coordonner leur action plus efficacement. Cela signifie, de manière sous-jacente, accélérer la prise de décision en préférant la majorité qualifiée à l’unanimité, le renforcement des pouvoirs du président de la Commission qui fusionnerait avec celui du Conseil européen.

Manque d’ambition concernant le réchauffement climatique et l’Euro

Malgré un discours ambitieux, Jean-Claude Juncker ne s’attarde pas sur le réchauffement climatique, rappelant simplement que l’Europe doit être avant-gardiste sur le sujet. Tout au plus il rappelle les réussites de l’Accord de Paris et condamne une nouvelle fois les méthodes des industriels européens (scandale Volkswagen). Mais tout cela remonte déjà à 2015 et Jean-Claude Juncker ne donne aucune ligne forte et réellement ambitieuse sur le sujet.

De même, la proposition de la création d’un poste de ministre de l’économie européen est un signe rassurant pour la politique de la Zone euro (mais pas de création de parlement comme le préconisait Emmanuel Macron) mais le président de la Commission ne donne pas d’espoir pour une politique budgétaire nettement plus ambitieuse au niveau de l’UE comme le recommande la plupart des économistes critiques de l’Euro. Autre annonce : un Fonds monétaire européen pour remplacer le MES mis en place suite à la crise de l’Euro. Son rôle devrait sensiblement se rapprocher de celui du FMI mais à l’échelle de l’Europe, en soutenant financièrement les Etats menacés de faire défaut.

« L’Europe n’est pas une forteresse et ne doit jamais le devenir ».

Finalement, c’est sur la crise migratoire que Jean-Claude Juncker est le plus éloquent. Regrettant les divisions européennes sur le sujet, le président de la commission se réjouit tout de même des progrès réalisés ; en dépit de la difficulté de son application et des tensions avec le gouvernement Erdogan, l’accord Turquie-UE signé en avril 2016 a permis de réduire de 97% les passages illégaux depuis la Méditerranée ouest. Au côté de l’effort remarqué de l’Italie et de la création d’une agence frontalière fin 2016, cela a permis de réduire la mortalité en mer – on compte tout de même encore 2500 morts. L’Europe, rappelle-t-il, « n’est pas une forteresse […] et ne doit jamais le devenir » : avec 720 000 demandes d’asile acceptées, l’Europe dépasse les Etats-Unis, le Canada et l’Australie combinés. Cependant, l’Europe doit renforcer sa politique au départ, en continuant notamment de soutenir l’Afrique à se pacifier et établir un climat économique favorable.

Que retenir de ce discours ?

En tant que discours, celui-ci est volontairement évasif. Il faut donc en retenir la trame globale : celle d’une volonté optimiste mais réaliste de renforcer l’Union Européenne. Accélérer l’intégration européenne et continuer de jouer un rôle normatif semble être les deux lignes de combat de l’UE pour les 18 mois qu’il reste à la commission Juncker (2014-2019). Pour résumer :

« Mais il ne faut pas, à l’heure où nous sommes, pécher par excès de prudence. Il ne suffit pas de réparer le toit. Nous devons commencer à terminer le travail maintenant. »