« La France ne peut être la France sans la grandeur » nous disait dès 1954 Charles De Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. Fière d’un arsenal militaire à la pointe de la technologie (d’où la vente de 24 rafales à l’Egypte début février) ou encore avec le récent engagement du porte-avion Charles de Gaulle dans les opérations de la coalition contre Daech, il semblerait que la France n’ait guère renoncé à la puissance en termes de politique internationale. Cependant on aurait tort de qualifier de gaullienne la pratique actuelle du pouvoir. En effet la politique extérieure française est nettement plus portée sur le multilatéralisme eu égard au discours de François Hollande devant l’ONU où le président français prônait un système géopolitique mondial multilatéral.

Mais c’est que dans La puissance et la Faiblesse, véritable évangile de la puissance américaine selon Robert Kagan, l’auteur conservateur américain qualifie le multilatéralisme « d’armes des faibles » ; des puissances sur le déclin en somme… Dans ces conditions nous sommes en droit de nous demander : En quoi la France contemporaine est-elle toujours « une grande puissance moyenne de rayonnement mondial » (Valéry Giscard D’Estaing) ?

I/ Entre hard power certain (A) et gold power contesté (B) en passant par un soft power à la française (C), il est clair que la France dispose des attributs de la puissance.

(Facteurs de la puissance)

A)     La France dispose du hard power, principal outil de l’autonomie militaire et propre à toute grande puissance géopolitique de premier plan

La France, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, détient une influence certaine sur la scène géopolitique mondiale grâce à son hard power. Déjà, la France possède le nucléaire civil (responsable de 80% de l’électricité consommé en France et garant d’une électricité à faible coût) et militaire (la bombe atomique). Mais la France c’est surtout le 6ème budget militaire mondial et un arsenal assez impressionnant (le porte-avion Charles de Gaulle, un matériel à la pointe de la technologie avec les Rafales, les Mirages ou encore les 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engin [vocation : la dissuasion nucléaire] et les 6 sous-marins nucléaires d’attaque, et enfin des FTN performantes en termes de défense telles que Dassault, Airbus Group, Thales ou même Eurocopter entre autres).

Le territoire français est également un outil de pouvoir. En effet la France possède la 2ème ZEE mondiale (zone économique exclusive, en d’autres termes, eaux qui appartiennent à la France) derrière les USA. Cette ZEE lui permet d’avoir une grande projection de puissance et des relais d’influence un peu partout dans le monde.

(Source : http://juliendaget.perso.sfr.fr/Alain/1085_France.png )

B)      Par ailleurs et en dépit d’handicaps réels tels que la fiscalité élevée qui nuit à la compétitivité de la société et du territoire français, la France dispose de véritables atouts économiques comme le démontre Pascal Gauchon dans sa Géopolitique de la France, Plaidoyer pour la puissance.

La situation économique française peut parfois paraître préoccupante (voir en exclusivité Major-Prépa la fiche complète sur La France sans ses usines: /)

Cependant la France possède en 2014 le 6ème PIB mondial et le 6ème budget en termes de R&D. L’Hexagone est placé au 6ème rang pour le commerce mondial en 2013, et était en 2012 le 4ème pays selon les stocks d’IDE. La France c’est également des FTN ultra-dynamiques dans les domaines de l’agroalimentaire (Danone), du BTP (Vinci, Lafarge, Bouygues), de l’industrie (Saint-Gobain, Michelin, Renault, L’Oréal, Alstom, Dior, LVMH, Airbus Group, Sanofi-Aventis, Veolia, Schneider Electric), des énergies (Total, Technip, EDF, GDF Suez), de la grande distribution (Carrefour, Casino G-P) et des services (Vivendi, France-Telecom, Sodexo, Alcatel). La France dispose par ailleurs du food power (5ème exportateur agricole mondial).

C)      Enfin le dernier outil de la puissance française réside dans son soft power qui se traduit à la fois par un pouvoir de séduction (puissance diplomatique) et une force d’attraction (puissance culturelle).

La France est une puissance culturelle sans conteste, c’est d’ailleurs la première destination touristique au monde.

C’est également une puissance diplomatique avec plus de 163 ambassades dans le monde entier. Aujourd’hui il existe des sommets de la Francophonie. Précisons que la francophonie réunit tous les pays dont la langue officielle ou d’usage est le français. Le français est par exemple parlé en Afrique de l’Ouest (langue officielle dans toutes les ex-colonies) et du Nord (Habitants des pays du Maghreb maitrisent la langue), en Asie du Sud-est (Pondichéry en Inde), en Amérique du Nord (Québec), en Océanie (Nouvelle Calédonie), dans les Caraïbes (Guadeloupe, Martinique) et en Europe (Belgique, Suisse, Monaco,…).

II/ Par conséquent la France, qui a certes connu un déclin relatif par rapport à sa puissance d’antan (A),  conserve la volonté de « tenir son rang » dans le jeu des puissances aussi bien à l’échelle globale (B) que régionale (C).

(Aspect de la puissance)

A)     La France a connu un déclin relatif par rapport à sa puissance d’antan

La France était avant la 2nde Guerre mondiale une grande puissance coloniale (voir carte) et militaire. Mais quelques événements vont ternir sa puissance. Il s’agit tout d’abord de la défaite éclaire face à l’Allemagne en 1940 : en 3 semaines la France a été balayée par le IIIème Reich. Ensuite il s’agit de la débâcle de Diên Biên Phu en 1954 où l’armée française a été acculée par les Viet congs (guérilléros communistes du Parti Viet Minh) de Ho Chi Minh. Quid de la crise de Suez ? En 1956 après la nationalisation du canal de Suez par Nasser pourtant concession franco-britannique, la France, en collaboration avec le Royaume-Uni et Israël, s’était empressée de le récupérer. Mais sous les conjointes pressions de l’URSS (alliée de Nasser) et des USA (qui ne voulaient pas déclencher de guerre ouverte entre les deux blocs) la France a dû se retirer du canal. Cet épisode marque le duopole au sein duquel une France affaiblit n’avait ni sa place ni son mot à dire. S’en est suivi la décolonisation de l’Indochine (1954), du Maghreb (1956 pour la Tunisie et le Maroc, 1962 après la Guerre d’Algérie pour l’Algérie), et de l’Afrique Noire (1958 pour la Guinée Conakry et à partir de 1960 pour les autres pays). Telle était la situation française au début des années 1960.

B)      Cependant depuis l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, la France aspire à la puissance et cherche à tout prix à « tenir son rang » dans le jeu des puissances, aujourd’hui encore.

Selon De Gaulle, la France ne peut être la France sans la grandeur, c’est pourquoi le général a mené une politique extérieure décomplexée visant l’autonomie militaire. Ainsi, dès 1960, la France devient une puissance nucléaire, puis en 1966 la France tout en demeurant alliée des USA rompt avec la politique atlantiste de la 4ème République et sort du commandement intégré de l’OTAN. En Indochine De Gaulle fait un discours où il désapprouve la présence américaine au Vietnam, en Amérique Latine il exhorte les pays latino-américains de s’affranchir de la tutelle étatsunienne.

Les années Pompidou, Giscard et Mitterrand (jusqu’au discours de la Baule du moins) ont été marquées du sceau de la Françafrique. La France, véritable gendarme de l’Afrique s’ingérait dans les affaires de ces pays pour aider les régimes amis ou alliés et pour préserver ses intérêts, comme ce fut le cas en Côte d’ivoire. En effet dans Côte d’Ivoire: Le feu au pré carré, Judith Rueff rappelle qu’en 1970, alors que Felix Houmphouët-Boigny était en difficulté avec l’insurrection des Bétés et de leur leader Kragbe Gnabe, la France a sommé le 43ème bataillon d’infanterie de marine (actuelle force licorne) stationné à Port-Bouët (près d’Abidjan) d’intervenir avec l’armée ivoirienne pour maintenir l’ordre dans le pays.

Depuis 1990 et le discours de la Baule au cours duquel François Mitterrand a annoncé vouloir mettre un terme à la Françafrique, cette volonté d’exister sur la scène mondiale a perduré avec en plus la volonté de stabiliser les régions en proie à la violence. Ainsi la France a entrepris des interventions avec l’ONU (des casques bleus envoyés au Liban [FINUL], au Sahara occidental [MINURSO], en Côte d’Ivoire [ONUCI], en RDC [MONUSCO]), avec l’OTAN (envoi de forces au Kosovo [KFOR], en Afghanistan [ISAF], en Lybie [Harmattan]), avec l’U.E. (pour contrer la piraterie, envoi de contingents au large des côte somaliennes [Atalante] et dans le Golfe de Guinée [Corymbe]) ou encore toute seule mais avec le concours de l’ONU, de l’Union Africaine ou de la CEDEAO en fonction des cas (Tchad [Epervier], Mali [SERVAL], Côte d’Ivoire [Licorne], Centrafrique [Sangharis]). Notons également les bases militaires françaises réparties aux quatre coins du monde (voir carte ci-dessus). Ces interventions militaires témoignent de la performance de l’armée française mais également des rapports privilégiés que la France a conservé avec ses anciennes colonies.

C)      A la base de l’intégration européenne, la France a su s’affirmer comme une grande puissance régionale de premier rang, tournée vers l’UE. Elle fait néanmoins face à des difficultés aujourd’hui.

On insistera ici sur l’ouverture de la France sur l’UE. En termes de commerce par exemple la France réalise plus de 60% de son commerce avec des membres de l’UE. C’est une pièce centrale de la construction européenne en même temps qu’elle en a été à la base. Cependant elle perd de l’influence en Europe par rapport à son voisin allemand en raison des difficultés économiques hexagonales et des performances commerciales germaniques.

III/ Cependant avec les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’Hexagone (A) et les recompositions géopolitiques d’un monde dominé par des géants (B) ; la France est dorénavant dans l’obligation de redéfinir sa politique extérieure pour demeurer cette « grande puissance moyenne de rayonnement mondiale » (C).

(Limites de la puissance)

A)     La France est aujourd’hui une « puissance sous contrainte » [limites endogènes]

En effet la situation des finances publiques françaises est l’une des principales limites internes à la puissance française. Le déficit de la France s’élevait à près de 4,3% du PIB à la fin de l’exercice 2013 alors que la dette atteignait 93,5% du PIB. Or l’armée française trop peu soutenue par l’U.E. dans ses interventions, accusait début 2014 un sévère déficit. Le gouvernement ayant pour consigne de réduire ses dépenses publiques a donc effectué des coupes dans le budget alloué à l’armée française. Mais dès lors un problème majeur se pose. Car comme l’a démontré Paul Kennedy dans The Rise and Fall of Great Power (Naissance et déclin des grandes puissances) avec l’exemple de l’Empire Romain entre autres ; lorsque le « coût » de la puissance devient trop élevé, alors la décadence est inéluctable. Or en multipliant les interventions en même temps qu’en réduisant son budget alloué à l’armée, la France risque de ne plus pouvoir supporter ce coût de la puissance… Au total, si le déclin a jusque lors été relatif, la décadence est possible au sein de ce monde multipolaire.

B)      Or la France doit également faire face à l’émergence d’un monde en perpétuel recomposition régi par une multipolarité conflictuelle et dominé par des géants [limites exogènes]

[A représenter graphiquement] Selon le FMI en 2012, la Chine pèse 1,3 milliards d’habitants (la France avec 65 millions d’habitants est 20 fois moins peuplée que la Chine), les Etats-Unis pèsent 16240 milliards de $ (un PIB 6 fois plus élevé que le PIB français alors de 2610 milliards de $), enfin la Russie possède une superficie de plus 17 millions km² (La France métropolitaine est 30 fois plus petite avec 552000 km²). Bien que la France soit loin d’être ridicule, elle est plongée dans un monde de géants, un monde multipolaire dans lequel elle a bien du mal à lutter seule. Par exemple en termes de guerre économique, le bras de fer qu’elle a engagé devant Bruxelles face à Pékin qui subventionnait ses panneaux solaires s’est soldé par un violent tollé. La Chine s’était accaparé depuis 2007 le marché du photovoltaïque par des procédés portant atteinte à la concurrence (Dumpings et subventions). Printemps 2014, Paris a voulu engagé un bras de fer mais très vite Pékin a menacé de boycotter les vins et autres produits de luxe français, tout en prenant soin de diviser l’U.E. (l’Allemagne pour qui la Chine est un partenaire essentiel, était derrière Pékin). La France n’a finalement pas obtenu gain de cause. Cet exemple témoigne de la puissance des nouveaux grands de ce monde (Chine, Etats-Unis, Russie, Inde, Brésil, Japon). Sans pour autant minimiser la puissance française, il est clair que pour peser de tout son poids la France doit repenser sa stratégie à l’échelle globale.

C)      Au total pour demeurer cette « grande puissance moyenne de rayonnement mondiale », n’a pas d’autre choix que de repenser sa politique extérieure en alliant savamment multilatéralisme, interventionnisme raisonné et pan européanisme tempéré

La stratégie française s’est donc adaptée au contexte. Déjà ses interventions militaires semblent plus raisonnées. Elle est parvenue, début septembre a formé une coalition internationale avec les USA. Cette coalition se décompose en plusieurs pôles. Le soutien militaire et/ou logistique est assuré par le Canada, les USA, la France, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, l’Albanie, la Pologne, le Danemark et l’Estonie ; le soutien financier et humanitaire est assuré par l’Arabie Saoudite et une quinzaine d’autre pays (Espagne, Japon, Suisse, Norvège,…) et le soutien politique et logistique est assuré par la Ligue Arabe, le Qatar, le Koweït, le Bahreïn, les Emirats arabes unis. A cet interventionnisme raisonné vient s’ajouter une promotion de la gouvernance mondiale et du multilatéralisme.

Cependant les effets de cette politique sont encore timorés et l’Union Européenne pourrait constituer « une caisse de résonnance » pour l’Hexagone. Car pour peser dans ce contexte de multipolarité conflictuelle, montrer les muscles est nécessaire pour obtenir gain de cause ou pour être considéré. Cela peut passer par des alliances structurantes (en ce moment un traité transpacifique est en négociation entre les USA et l’UE) ou par une consolidation de la construction européenne.

Conclusion: Le pouvoir français a certes décliné par rapport à ce qu’il était en première partie de XXème siècle, il n’en demeure pas moins conséquent à l’heure actuelle. Or c’est qu’en ce contexte de multipolarité conflictuelle, la France a intérêt à conserver les outils qui fondent son influence et font de la France cette grande puissance moyenne de rayonnement mondiale.

Et pour ce faire le pan européanisme tempéré pourrait être LA panacée. En effet tout en conservant des armées autonomes, l’U.E. aurait intérêt à se doter d’une vraie politique extérieure commune, pour que ses Etats membres puissent se projeter au lieu de se protéger telle des suzerains en leur forteresse. Car aujourd’hui plus que jamais, comme l’a si bien dit François Mitterrand à la veille du référendum sur Maastricht : « si la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». Pour tenir son rang dans la mondialisation il semblerait que le pan européanisme tempéré (armée autonome au sein d’une UE avec une véritable politique extérieure) soit une solution intéressante pour que la France demeure cette « grande puissance moyenne de rayonnement mondiale »… Mais désormais, la véritable question est de savoir si la France, les Français et les européens veulent ou non toujours jouer un rôle dans l’histoire. (Jacques Delors)

Ezékiel SEDAMINOU

Major-Prépa