Peu connu en France, l’Ouganda est un pays qui possède des atouts considérables : ressources abondantes, place stratégique sur la Corne d’Afrique, etc. Dans son article datant de 2008, Sonia Le Gouriellec met en avant le potentiel du pays à devenir un véritable moteur pour l’émergence du continent africain malgré des fragilités évidentes.

Analyse de l’article

Pour bien analyser la situation de l’Ouganda à l’époque, il est très important de rappeler une caractéristique fondamentale commune à tous les pays d’Afrique noire : le découpage colonial a laissé place au moment de l’indépendance à de violents conflits entre ethnies, et l’Ouganda n’a pas été épargné. Le pays est situé à une position ultra-stratégique, là où s’arrête la zone d’influence arabe et où commence la zone d’influence du christianisme. Il est donc pour les Occidentaux situé aux portes de l’influence islamique en Afrique, rendant sa géolocalisation des plus importantes. Le manque d’unité et les nombreux conflits entre un sud catholique et un nord protestant semblait toujours promettre un avenir compliqué pour le petit pays de la Corne d’Afrique, tout particulièrement avec le climat régional qui est encore aujourd’hui l’un des plus instables au monde.

Mais le pays a su tirer son épingle du jeu : dès l’arrivée de Museveni à la tête du pouvoir en 1986, de multiples réformes et mesures sont entreprises pour créer une démocratie stable et préserver la paix. La politique économique se tourne peu à peu vers le libéralisme en raison de la situation géopolitique mondiale : l’URSS est au bord de l’implosion et la logique veut que le gouvernement choisisse de se tourner vers le monde capitaliste. Le pays bénéficie énormément de ce changement, et voit sa croissance exploser dans les années 90 et au début des années 2000 : 7,3% de moyenne sur cette période. Les secteurs de la construction et des matières premières font la force du peuple ougandais. Comme nous l’avons vu plus haut, son positionnement stratégique attire également beaucoup les grandes puissances occidentales qui n’hésitent pas à l’aider : en 2008, l’Ouganda est le 1er receveur d’aides britanniques et est l’un des pays africains possédant le plus de relations avec les Etats-Unis, qui cherchent à diversifier leurs importations en énergies fossiles. Ce développement a même permis à l’Ouganda de devenir un acteur géopolitique important dès le début des années 2000 : fort de son armée de 45 000 hommes et 1800 para-militaires pour 3,3 millions d’habitants (à titre de comparaison, le Nigéria ne possède « que » 75000 soldats pour une population 4 fois plus importante), l’Ouganda participe à d’importantes missions de stabilisation, comme celle de l’AMISOM en Somalie dans le cadre de l’Union Africaine en 2007.

Mais Sonia Gouriellec identifie déjà à l’époque des difficultés structurelles à l’organisation politique et économique du pays. Des difficultés qui noircissent l’avenir de l’Ouganda. Notons déjà par la perte de vitesse du pays sur plusieurs fronts. Le développement n’est pas assez « visible » dans le pays, les disparités entre régions sont dantesques, et une bonne croissance ne fait pas tout. Le pays a petit à petit perdu l’attention des pays occidentaux, concentrés sur les conflits moyen-orientaux. Seuls les quelques ennuis nationaux avec des mouvements de rébellion nationale ont fait l’objet d’un attention particulière par l’Occident et la Cour Pénale internationale en 2005 : la situation avec les rebelles étant très compliquée, Sonia Gouriellec met en avant l’instabilité notable du pays, ce qui n’est en rien bon pour les affaires.

La perte de vitesse du pays se fait également sur son soft-power et son influence régionale. Plusieurs accusations vont ébranler le gouvernement ougandais et son armée, comme les rapports Kassem de 2000 et 2003 à l’initiative d’un panel d’experts et qui révèlent le pillage des ressources à l’Est de la République Démocratique du Congo par les forces ougandaises. Et Sonia Le Gouriellec rappelle que toutes ces affaires sont accompagnées par une criminalisation grimpante du système étatique : par exemple, l’Etat prend désormais en compte le pillage de l’or congolais dans son calcul du commerce extérieur. L’armée, principale outil de ce pillage, s’enrichit de manière exorbitante et cela pourrait déboucher sur une situation complexe pour Museveni. Il subit la pression de la communauté internationale qui demande le retrait des troupes, alors qu’il sait parfaitement que des représailles des grands officiers suivront ce même retrait, tant les rentrées d’argent de ce pillage sont colossales pour l’armée.

Si Sonia Gouriellec montre son optimisme, elle insiste une nouvelle fois dans sa conclusion sur le manque chronique de cohésion nationale du pays qui selon elle l’empêchera totalement de jouer son rôle de moteur de la construction régionale en Corne d’Afrique.

Quel bilan de nos jours

La situation du pays aujourd’hui est bancale : de graves problèmes persistent à certains niveaux.

Au niveau politique, le peuple ougandais montre de plus en plus son mécontentement envers une élite politique qui ne semble pas disposée à quitter la tête du gouvernement : Museveni a une nouvelle fois « gagné » (ou acheté, comme tu préfères) les élections présidentielles en 2016. Il n’a donc pas quitté le pouvoir depuis… 1986. Une altercation a même tourné à la bagarre entre députés de la majorité et députés de l’opposition au parlement ougandais le 28 Septembre 2017, alors que les députés de la majorité souhaitaient modifier la constitution du pays pour permettre à Museveni de pouvoir se représenter en 2021 : il est écrit dans cette dernière que ne peut se présenter à la présidentielle toute personne âgée de plus de 75 ans. A l’heure actuelle, Museveni est âgé de 74 ans : je te laisse faire rapidement le calcul  dans ta tête. Cette altercation est bien évidemment le symbole d’un malaise dans le système politique ougandais.

Sur le plan social, alors que les occidentaux ont longtemps pensé faire du pays un pilier de l’Afrique et un point de départ pour le développement social africain, on assiste aujourd’hui encore à certaines mesures très controversées, comme la loi de 2014 qui avait pour but de renforcer la pénalisation de l’homosexualité. Cette loi allait à l’encontre des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et par ailleurs ratifiés par l’Ouganda. Elle a donc rapidement été abandonnée 6 mois après son entrée en vigueur, mais le simple fait de l’avoir votée montre que les progrès sont encore nombreux et nécessaires.

Sur le plan économique, l’Ouganda incarne encore aujourd’hui l’espoir africain, même si les inégalités persistent et s’accroissent, notamment à cause d’une des croissances démographiques les plus élevées du monde (3,3%). Son économie est aujourd’hui stable, et de grands projets ont été lancés, notamment dans les infrastructures hydroélectriques et de transport qui nourrissent le secteur de la construction, un secteur primordial pour le pays. Un accord signé en mai 2017, qui permet au projet de création d’un pipeline vers la Tanzanie de se lancer définitivement, est également porteur d’espoir.

Au niveau de sa politique étrangère régionale, l’Ouganda a maintenu une position dominante sur les Grands Lacs, et la session du Soudan en deux avec la création du Soudan du Sud lui a permis d’améliorer la sécurité régionale. Elle dispose également d’une petite diaspora au Soudan du Sud, qui contrôle une grande partie de l’économie du pays. L’Ouganda a également tenu son rang concernant la protection de la planète et de la biodiversité. Le pays est aujourd’hui à la pointe de la préservation des espèces et de la lutte contre le braconnage. Un exemple pour beaucoup à l’heure où la biodiversité est de plus en plus menacée.

Le bilan reste donc globalement positif : l’Ouganda est aujourd’hui un pays économiquement fiable qui se développe de plus en plus. Il est aussi un pays référence dans cette zone d’Afrique, qui, rappelons-le, a souvent été plus considérée comme la région la plus violente et dangereuse d’Afrique. Cependant, nombreux sont les problèmes qui subsistent : l’Ouganda n’échappe pas aux phénomènes qui touchent une grande majorité des pays de l’Afrique Noire : des dirigeants qui ne veulent pas lâcher le pouvoir, la corruption, etc… Le pays reste également très loin au niveau du classement des IDH, à la 163ème place en 2016. Autant dire qu’il reste encore beaucoup de défis à relever pour les ougandais, alors que la cohésion nationale n’est toujours pas réellement acquise. Mais au vu de la mise en perspective que nous venons de faire, l’Ouganda semble tout de même devenu un véritable moteur de la construction régionale africaine, et potentiellement un moteur africain.

Comment l’utiliser dans ta dissertation ?

Les sujets de concours sur l’Afrique sont en grande majorité tournés vers le développement du continent et sa potentielle émergence. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Maroc sont cités par tous les candidats (car ils en sont les meilleurs exemples). Avec un pays comme l’Ouganda, tu as donc la possibilité de te démarquer des autres candidats : on y trouve toutes les difficultés qu’ont vécu ou que vivent encore les pays d’Afrique Noire, et en plus un modèle de développement et d’émergence qui incarne l’espoir africain. Les difficultés du pays sont aussi très représentatives de ce que l’on peut observer aujourd’hui pour l’émergence des pays africains : elle est souvent freinée par un système politique bloqué et monopolisé par des élites visiblement peu préoccupée par l’intérêt national. C’est aussi un très bon exemple pour montrer que de petits pays sont très impliqués dans la protection de la planète et de la nature : les grandes puissances du monde n’ont pas le monopole de la défense de l’environnement.

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