6 ans après le début de la crise de l’endettement grec, comment comprendre que cette crise soit encore loin d’être achevée ? Comment expliquer ce crépuscule de la Grèce ?

Une adhésion bien mal-acquise

Cette tragédie grecque d’un nouveau genre prend source à l’orée du XXIème siècle : la Grèce est alors dotée d’une économie précaire, caractérisée  par des failles institutionnelles, la corruption et le clientélisme. Le gouvernement voit de fait dans l’adhésion à l’UEM (Union Economique et Monétaire) naissante une occasion d’emprunter à bon compte sur les marchés grâce à l’aura supposé de la monnaie unique. Néanmoins, le dessin grecque d’abandonner la drachme fut compromis par les faiblesses du pays: celui-ci était incapable de répondre à certains critères émis par les instances européennes, censés garantir la viabilité économique des Etats engagés dans cette expérience supranationale inédite en son genre. Il faut garder à l’esprit que l’objectif final de la monnaie européenne était d’aboutir à une convergence des économies de l’UEM, ce qui suppose des situations économiques initiales relativement proches.

Le gouvernement choisit alors une option risquée : il falsifie les comptes du pays avec l’aide de la banque d’affaires Goldmann Sachs, et réussit à adhérer in extremis au projet d’unification monétaire. Dans les années qui suivent, l’euro agit comme un véritable écran de fumée : le poids de l’euro parvient à masquer les lacunes structurelles des Hellènes auprès de ses usuriers. La Grèce bénéficie des faibles taux d’intérêt des obligations souveraines (appelées parfois « bons du trésor ») qu’elle émet sur le marché. Cet afflux massif de liquidités disponibles facilite la consommation des ménages ainsi que l’investissement, notamment dans le secteur immobilier.

Une situation insoutenable

La crise de 2008 révèle le hiatus existant : en octobre 2009, au lendemain des élections, le nouveau premier ministre George Papandréou (PASOK) n’a d’autres choix que d’exposer au grand jour l’ampleur du désastre financier grec. Le déficit pour 2009 n’est pas de 6% comme annoncé précédemment, mais de 12,7%. Cet aveu provoque un tollé sur les marchés, et la Grèce ne se trouve plus dans les petits papiers des agences de notations qui rétrogradent la note du pays de mois en mois (autrement dit, elles considèrent que la probabilité que les créanciers de la Grèce ne voient jamais ou seulement partiellement leur argent augmente). Plus personne ne veut prêter à la Grèce, sauf à des taux exorbitants. La situation est intenable et la Grèce en appelle à la solidarité continentale le 23 avril 2010.

A cette date, les banques européennes se remettent tout juste de la faillite de Lehman Brothers. La situation économique est critique : la zone euro craint que le possible non-remboursement de la dette grecque entraine d’autres banqueroutes et, à terme, une faillite généralisée, tant le système bancaire mondial est interdépendant. Par ailleurs, le Portugal, l’Espagne et l’Italie (les fameux « PIGS » selon l’acronyme peu flatteur désignant les pays du Sud de l’Europe en difficulté à cette période) subissent de plein fouet le contrecoup de cette crise, encore embryonnaire, qui a poussé la frilosité des marchés à son paroxysme : en clair, plus personne ne veut prêter non plus à ces Etats qui ont désespérément besoin de capitaux pour boucler leur budget en temps de crise.

L’aide européenne

L’intervention européenne était donc indispensable pour juguler cette hémorragie financière. Le premier plan d’aide a consisté en un rachat massif de la dette grecque : celle-ci est passée des mains d’acteurs privés à celles de la BCE et du FMI. Par ailleurs, 110 milliards d’euros sont venus renfloués les banques helléniques.

Les plans d’aides à la Grèce se sont ainsi succédé, avec à chaque fois l’objectif chimérique que le pays se redresse dans de brefs délais. On peut néanmoins attribuer à l’Europe la rapide accalmie financière qui a suivi ce rachat massif de la dette. Le revers de la médaille est pourtant des plus problématiques, et pose avec force la question du caractère supranational de l’UE : à l’heure actuelle, 75% des 312 milliards d’euros que représente la dette grecque est réparti entre le FMI, la BCE, le fond européen de stabilité financière (FESF, créé en 2010 pour faire face à la crise de la zone euro), et enfin les Etats de la zone euro, l’Allemagne et la France en tête. En somme, la dette grecque est devenue l’affaire de tous les contribuables européens.

Du côté grec, la contrepartie aux plans d’aide a toujours été de sévères mesures d’austérité qui ont laminé les classes moyennes sans pour autant permettre de réduire significativement le poids de la dette ; Pire, elle atteint aujourd’hui 175% du PIB ! Ainsi, depuis 2009, le PIB a reculé de 26%, les revenues par foyer de 35%. 200 000 entreprises ont fermé à travers le pays et l’Etat fonctionne avec 25% de fonctionnaires en moins (160 000) qu’il y a 6 ans.

L’UE et la Grèce : une relation tumultueuse

A travers l’Europe, les eurosceptiques de tous bords amputent volontiers ce naufrage économique à l’intransigeance des décisionnaires de l’Europe (Angela Merkel pour ne citer qu’elle) qui ont asphyxié la Grèce afin de la contraindre à accepter l’austérité pourtant insoutenable et inefficiente. Dans un entretien accordé au journal Le Monde le mois dernier, Yanis Varoufakis, figure iconique de Syriza et ministre des finances grec pendant les négociations estivales avec les créanciers du pays, n’hésite pas à dénoncer la « volonté d’humiliation » de la « troïka » (le FMI, la BCE et la commission européenne). Par ailleurs, force est de constater que l’adhésion initiale de la Grèce à la CEE en 1981 n’a pas fait d’elle une économie pérenne : si le niveau de vie de la population s’est progressivement rapproché de la moyenne des autres pays de l’Union, le pays s’est lui montré incapable de soutenir la concurrence. Alors que l’Acte unique (1986) sonnait le glas de la libéralisation des échanges européens, la part de l’industrie dans le PIB grec est passée de 17% à cette date à seulement 10% à l’aune de la crise, ce qui est révélateur de la dépendance du pays aux produits manufacturés extérieurs.

Un échec monétaire ?

Plus généralement, la Grèce s’est malheureusement distinguée comme l’archétype de l’économie faible qui ne peut composer avec une monnaie forte. Privés du « policy mix », qui consiste en une harmonisation de la politique économique et de la politique monétaire, nombres d’Etat de la zone euro observent une hostilité sans précédent à l’égard de la monnaie unique, accusée d’être calibrée pour convenir d’abord à l’Europe du Nord.

En somme, le cas grec est peut-être le symbole de l’échec de la convergence économique: la viabilité de l’euro comme monnaie commune en dépend, et les inquiétudes sous-jacentes au vacillement de l’économie grecque –qui ne pèse pourtant que 2% du PIB européen- démontrent la précarité de la situation. Cette convergence apparaît ainsi des plus nécessaires, d’autant plus que la perspective d’un retour en arrière est balayée d’un revers de main par la majorité des économistes. Comme le dit non sans élégance l’ex-député européen Daniel Cohn-Bendit : « Revenir aux monnaies nationales, c’est comme essayer de récupérer des œufs dans une omelette, je leur souhaite bonne chance ».

Les récents développements seront expliqués dans la synthèse de l’actualité estivale.