Le génocide rwandais de 1994 continue d’incommoder les acteurs qui ont assisté, de près ou de loin, aux opérations de massacres récurrentes envers la population Tutsi. Autorités rwandaises, diplomatie française, communauté internationale… Malgré la fin progressive des violences, l’animosité est encore vive après cette sombre période de l’histoire riche en enjeux et en problématiques.

Le génocide de l’ethnie Tutsi est la conséquence d’une politique extrêmement agressive des Hutus au pouvoir au Rwanda après l’indépendance du pays en 1961. Ce génocide a lieu dans un contexte de guerre civile entre le Front Patriotique Rwandais (FPR) Tutsi de Paul Kagame qui lance en 1990 une offensive armée pour reprendre le contrôle du Rwanda depuis l’Ouganda voisin, et les Forces Armées Rwandaises (FAR) fidèles au gouvernement Hutu. Les radicaux de l’ethnie Hutu, qui représente 80% de la population, s’engagèrent dans des exactions contre la population Tutsi lors de cette guerre civile qui tourna malgré tout en faveur du FPR.

Genèse du conflit

Il existait déjà une animosité entre les deux principales ethnies du pays : les Tutsis, considérés comme supérieurs par les colons Allemands puis Belges, ont toujours eu la faveur de ces derniers. Cette discrimination sociale en faveur des Tutsis (meilleurs postes,…) dans les années 1940 et 1950 a nourri un sentiment de revanche chez les Hutus qui, une fois au pouvoir en 1961 et jusqu’à 1994, engageront une politique d’exclusion et de persécution chez les Tutsis contraints de fuir en masse vers les pays voisins où s’organisera la riposte. Plusieurs opérateurs occidentaux, dont l’ambassadeur français, alertent sur le fait qu’une répression massive est en préparation par les milices officieusement acquises au président Hutu Habyarimana depuis l’engagement du conflit par le FPR en 1990. Malgré les tentatives d’interposition de l’ONU via la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda), le conflit gagne en intensité et la propagande Hutu contre les Tutsi se fait croissante. La Radio Télévision Libre des Mille Collines (ou RTLM, ou « Radio Machette ») se fait le fer de lance de la propagande anti-Tutsi, donne des leçons de machette, et encourage à « abattre les grands arbres » (en référence à la grande taille et au physique élancé des Tutsis).

Cent jours d’extermination

L’avion du président Habyarimana est abattu alors qu’il s’apprêtait à atterrir à l’aéroport de la capitale Kigali, et cet événement est considéré comme l’élément déclencheur du génocide. Un colonel Hutu est nommé à la tête d’un gouvernement intérimaire qui va enclencher la répression des Tutsi en donnant ses ordres aux autorités locales, qui elle-même s’organiseront via des milices armées de machettes ou autres armes blanches. Les habitats ou autres lieux Tutsis sont détruits et les milices se livrent à des exactions sans nom. Les rares voix Hutu qui osent s’élever contre ces massacres ne font pas long feu, et sont considérées au même rang que les Tutsis. L’armée rwandaise y joue un rôle ambiguë car elle aurait appuyé ces milices anti-Tutsi alors même que certains officiers s’y seraient formellement opposés. Le bilan total de victimes Tutsis s’élève à près de 800 000 morts, auxquels il faut rajouter les 45 000 victimes Hutus dues à l’avancée militaire du FPR Tutsi, désireux de venger lui aussi ces massacres. Cette avancée Tutsi incite de nombreux Hutu à passer la frontière vers le Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo), protégée par les forces armées françaises, et à s’entasser dans des camps de réfugiés pour vivre dans des conditions insalubres (épidémie de choléra, 24 000 morts).

L’inaction de la communauté internationale

Beaucoup ont stigmatisé la démission de cette dernière et de l’ONU qui est restée passive pendant la préparation et la réalisation des massacres. Après l’échec des négociations au début du conflit entre le FPR Tutsi et les FAR Hutus, l’ONU se serait résignée en diminuant les effectifs de la MINUAR de 2500 à 250 personnes, laissant le champ libre aux protagonistes du conflit. L’ONU a même hésité, au début, à qualifier ces évènements comme un génocide. Si elle décide néanmoins d’un embargo sur les armes à destination du Rwanda, ce dernier est peu respecté et les deux camps du conflit continuent de s’armer, notamment auprès d’Israël et, dit-on, de la France. Les Etats-Unis sont restés extrêmement passifs à cause notamment du fiasco de leur récente opération militaire en Somalie. La France a été le pays le plus actif dans les tentatives de résolution du conflit et a obtenu l’autorisation des Nations Unies d’envoyer ses forces armées du 22 juin au 22 août 1994 pour s’interposer entre les protagonistes, sans parti-pris. Cette Opération Turquoise a été vivement critiquée par la suite.

L’Opération Turquoise française

Soupçonnée d’avoir financièrement et logistiquement soutenu le régime Hutu auteur des exactions, la France décide d’intervenir militairement dans le conflit à des fins de pacification et d’interposition. Elle établit une zone de sécurité à la frontière entre le Zaïre (ex-RDC) et le Rwanda, et une frontière d’interposition entre les forces gouvernementales en repli et l’armée du FPR en progression. La France qui aurait apporté un soutien officieux aux FAR Hutu, aurait permis la fuite de représentants du gouvernement intérimaire auteur des exactions. Elle se retrouve ainsi coincée dans une situation extrême, située entre les Tutsis victimes qui progressaient et les auteurs de massacres désirant se replier. Enfin, elle avait la charge de la gestion des camps de réfugiés rwandais au Zaïre qui se seraient transformés en base arrière de reconquête du Rwanda par des forces et milices anti-Tutsi. Dix ans après, des femmes Tutsis portèrent plainte pour viols et tentatives de viols de la part de l’Armée française. Les relations diplomatiques sont aujourd’hui tendues entre la France et le Rwanda de Paul Kagame, depuis au pouvoir, qui souhaite que la France reconnaisse son soutien officieux de l’époque au gouvernement en déroute.

Paul Kagame, ancien général du FPR et actuel Président du Rwanda

Les jugements

Le Tribunal Pénal International pour la Rwanda est créé fin 1994 pour juger les principaux auteurs du génocide, et quelques personnes ont été condamnées même si des procès sont toujours en attente. La justice rwandaise étant trop lente à juger les grands auteurs, des tribunaux locaux (« gacaca ») ont été instaurés pour accélérer les jugements. 22 ans ont passé mais les tensions restent encore vives.