Alors que Paris profite de l’ivresse d’une victoire olympique après avoir obtenu l’organisation des Jeux de 2024, cette nouvelle ne fait pas que des heureux. Les polémiques attaquent principalement la difficulté qu’il y a à rentabiliser de tels mega-events aux coûts pharaoniques, ainsi que les recettes chimériques annoncées par les promoteurs du projet. En février 2017, le collectif « Non aux JO 2024 » a lancé sur Facebook une pétition critiquant le changement de position d’Anne Hidalgo quant à la promotion des Jeux. En août 2017, elle compte 23 000 signatures. Cette pétition souligne l’incapacité des villes précédentes à tenir le budget annoncé – 6,6 milliards d’euros pour Paris –, un gigantisme des Jeux qui ne correspond pas aux besoins réels de la population, et enfin la mise sous tutelle de la ville-hôte par le CIO, obligée de fournir des sommes exorbitantes qui auraient pu être utilisées à des fins sociales ou territoriales.

Bien que les enquêtes sur le coût réel de l’organisation des Jeux soient rares, on peut décomposer les différents postes de dépenses et de recettes d’un tel évènement, et analyser leurs faiblesses.

Un évènement rarement rentable

Bien que les recettes puissent sembler importantes, les Jeux Olympiques sont souvent considérés comme des gouffres financiers. À tort ou à raison ? Les chiffres montrent que la rentabilité financière des JO est limitée, certains ayant généré de lourdes pertes comme les Jeux de Montréal en 1976 dont le remboursement a duré 30 ans. Le principal problème est la minimisation des coûts par les organisateurs et le dépassement quasi-systématique des budgets prévisionnels. Ainsi les 4,8 milliards d’euros estimés en 2005 par la ville de Londres pour les Jeux de 2012 ont été dépassés à hauteur de 11 milliards d’euros. Le budget de Paris 2024, fixé à 6 milliards, est tout aussi susceptible d’augmenter fortement.

Dans l’enquête Les « retombées » des évènements sportifs sont-elles celles que l’on croit ?, le maître de conférence Patrick Bouvet évoque une « malédiction du vainqueur », qui fonctionne de la façon suivante. Le CIO choisit principalement une ville qui dispose d’une bonne image et d’une supposée capacité d’organisation, en se focalisant peu sur la faisabilité du budget. Par conséquent, les décideurs publics ont tendance à survaloriser des projets toujours plus ambitieux, en sous-estimant les coûts et en gonflant les recettes. Le vainqueur doit ensuite financer ses propositions, souvent irréalistes, par une hausse du déficit public, une hausse des impôts ou une diminution des dépenses publiques.

Quels sont les principaux postes de dépenses et dommages collatéraux ?

Dans Going for the Gold : the Economics of the Olympics, Robert A. Baade et Victor A. Matheson identifient trois postes de dépenses principaux:

  • Les infrastructures générales : transports, logement.
  • Les infrastructures sportives spécifiques destinées aux compétitions.
  • Les coûts opérationnels : administration, sécurité, cérémonies d’ouverture et de clôture.

 Le premier poste de dépenses est un marqueur de la capacité d’accueil de la ville-hôte. Le CIO exige pour l’organisation des Jeux d’été 40 000 chambres d’hôtel disponibles et un village olympique capable d’accueillir 15 000 membres des délégations officielles. Ce cahier des charges n’est pas toujours rempli par certaines villes, comme Rio de Janeiro qui a dû construire 15 000 chambres d’hôtel supplémentaires pour les Jeux de 2016.

Ensuite, les infrastructures sportives sont rarement déjà présentes car trop spécifiques : la construction de vélodromes, de piscines voire même de stades de football aux normes est souvent nécessaire. La ville de Paris prévoit ainsi la construction d’un centre aquatique près du Stade de France et d’une salle de 7000 places à Bercy, bien que les promoteurs arguent que 70% des infrastructures nécessaires sont déjà existantes. Enfin, si certains coûts opérationnels dépendent de la volonté de gigantisme de la ville-hôte (si vous n’avez jamais visionné la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin 2008…), d’autres augmentent inévitablement comme les dépenses de sécurité. En 2004, le budget de sécurité des jeux d’Athènes s’élevait par exemple à 1,6 milliard d’euros.

Ce coût de la sécurité est fréquemment avancé dans le cas de Paris, qui a subi plusieurs attentats. Le dispositif de sécurité avait déjà mobilisé près de 50 000 policiers et gendarmes pour sécuriser les bureaux de vote pendant l’élection présidentielle, et dans le cas de l’Euro 2016, le budget de sécurité était passé à 24 millions contre 12 millions. Les frais d’encadrement d’une mobilisation internationale comme les Jeux ne devraient cesser d’augmenter d’ici 2024.

Certains postes de dépenses sont parfois exclus des calculs, comme les coûts d’aménagement du territoire. Ces investissements fonctionnels, liés aux Jeux, sont présentés comme structurels pour réduire la facture, par exemple dans le cas de la ligne TGV installée pour les Jeux d’Albertville en 1992.

D’autres coûts non-économiques sont également à prendre en compte. Les déplacements forcés de population sont notamment une réalité des Jeux, avec 2 millions de personnes déplacées entre 1998 et 2008, et de nombreuses victimes du « nettoyage social » qui vise les prostituées, les sans-abris ou encore les quartiers en décrépitude à proximité des lieux festifs. La ville aux limites du site olympique de Sotchi s’est par exemple vue transformée en dépotoir illégal à ciel ouvert, avec un puits asséché alors qu’il alimentait la ville en eau. Enfin, des dommages environnementaux sont à noter, en lien avec l’utilisation massive des transports pendant l’évènement.

Quelles sont réellement les recettes à court terme ?

Les recettes à court terme des Jeux, souvent surestimées par les organisateurs, correspondent aux dépenses effectuées sur place pendant toute la durée de l’évènement par les touristes, ainsi que les produits dérivés.

Les droits de retransmission télévisées des jeux, qui bénéficient d’audiences télévisuelles incomparables, atteignent désormais des montants astronomiques : 2 569 milliards de dollars pour les Jeux de Londres en 2012. D’autres activités comme le sponsoring, le merchandising, la vente de billets ou encore de licences (par exemple avec Mario et Sonic aux Jeux Olympiques sur Nintendo DS) assurent en partie l’autofinancement et donc l’autonomie du CIO. Les marques rivalisent entre elles pour tirer le meilleur bénéfice de ces jeux : l’exemple le plus marquant est celui d’Adidas et Nike. Alors que Nike dominait le marché chinois, l’allemand Adidas a souhaité renforcer sa visibilité et a déboursé à cet effet près de 100 millions de dollars pour être l’équipementier officiel des Jeux de Pékin en 2008, et a sponsorisé Yao Ming, une célébrité locale du basket-ball.

Les recettes à court-terme sont surtout à examiner au niveau de l’activité locale et des emplois, et à nuancer. Tout d’abord, l’effet du tourisme est limité car l’afflux de spectateurs conduit à une éviction du tourisme traditionnel et d’affaires pendant une période – même s’il est évident que les spectateurs présents effectuent de nombreuses dépenses. Pékin a ainsi observé en 2008 une baisse de 30% du tourisme international et de 39% de la fréquentation hôtelière pendant le mois des jeux. Les bénéfices pour l’activité locale sont également à relativiser. Si on observe un regain d’activité pour les hôtels et restaurants, les autres types de commerce sont affectés et les recettes vont surtout à des actionnaires nationaux ou internationaux.

Enfin, la création d’emplois est souvent invoquée : des ouvriers pour la construction des stades, des policiers, des agents d’entretien… Les Jeux de Pékin ont ainsi créé 1,8 millions d’emplois, et ceux de Londres 200 000. Toutefois, la majorité est supprimée peu de temps après les jeux.

Des bénéfices sur le long terme difficilement quantifiables

Les bénéfices présentés sont de différentes natures, plus ou moins déterminables. L’héritage olympique est d’abord matériel, avec des infrastructures sportives ou de transport qui peuvent être réutilisées. Or, la reconversion des infrastructures très spécifiques est parfois difficile. Les coûts de maintenance élevés de ces éléphants blancs amènent parfois au simple abandon, qu’il s’agisse de stades, de la piscine de Rio 2016 ou encore du « nid à oiseau » à Pékin dont les coûts d’entretien ne sont pas couverts.

   Site olympique dédié au kayak pour les Jeux d’Athènes 2004 (en 2012)

Les infrastructures générales sont mieux considérées, car réutilisables. Certains affirment que les Jeux incitent les dirigeants à prendre des décisions pour l’aménagement du territoire laissées en suspens, les logements peuvent être reconvertis. Les villages olympiques d’Atlanta et Los Angeles ont par exemple été transformés en résidences pour les universités avoisinantes.

L’attractivité touristique sur le long terme – et non plus seulement ponctuelle – est également évoquée : en 1990, Barcelone était la 13e destination d’Europe. En 2010, elle était la 5e. Toutefois, cet argument est peu valable dans deux cas : les villes qui proposent peu d’activités en-dehors des jeux, et les villes déjà très touristiques (Londres, Paris).

Enfin, selon l’étude The Olympic Effect de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, les JO de Londres ont eu des retombées positives sur les exportations du Royaume-Uni. Ces effets ne se limitent pas au pays organisateur mais concernent aussi les candidats non retenus pour le CIO. Les Jeux peuvent contribuer à envoyer un message positif sur la santé économique du pays lorsqu’ils sont correctement réalisés, pour les entreprises et les consommateurs.

Pourquoi organiser les Jeux malgré ces coûts exorbitants ?

Certains insistent sur la valeur symbolique des Jeux. La fierté olympique est peu quantifiable, et pourtant elle existe. D’après une enquête BBC effectuée en 2012 juste après les Jeux de Londres, 80% des sondés ont dit être plus fiers d’être britanniques. Les bénéfices non-économiques incluent également le prestige, un moyen de faire état de sa puissance, comme par exemple les « Jeux de la démesure » à Pékin en 2008. Il est toutefois difficile d’évaluer la légitimité des dépenses concrètes engendrées par les Jeux par rapport à ces avantages très subjectifs.