Les prémices de la crise :

Après des années de difficultés, des mouvements de contestation se sont répandus au Maghreb Moyen-Orient, on parle d’un Printemps Arabe. Une majorité de la population revendiquait la possibilité d’avoir accès à une certaine liberté économique et de mettre fin aux pouvoirs corrompus et à l’autoritarisme politique. La cause principale de ces manifestations est donc économique. Le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi est l’illustration de ce désespoir, il s’est en effet immolé le 17 décembre 2010. Mohamed Bouazizi possédait une entreprise informelle de vente de fruits et légumes en Tunisie, il lui était trop onéreux d’avoir une entreprise formelle (environ 3 000$, soit un an de revenu pour lui). Les charges financières et administratives l’obligeaient donc à travailler dans l’illégalité pour subvenir aux besoins vitaux de sa famille. Lorsqu’il se fit confisquer sa charrette ainsi que sa balance il comprit qu’il ne pourrait pas les récupérer. Il décida de se suicider, exposant de fait au monde entier la détresse d’une population opprimée et proie à une véritable crise économique accentuée après 2008. La jeunesse souhaitait donc mettre à fin aux ségrégations qui gangrénaient la société, l’économiste péruvien Hernando De Soto parle en 2011 « d’apartheid économique » pour décrire la situation de l’Egypte sous l’ère Moubarak. Les élites de nombreux pays du monde arabe étaient pro-business mais pas pro-marché, elles ont instauré un « capitalisme de copinage » (Emmanuel Martin) qui creusait les inégalités. Ainsi la crise économique s’est transformée en une crise identitaire car le monde arabe ne disposait pas véritablement de leader charismatique et majoritairement apprécié. L’Occident paraissait alors intrusif. Le peuple est donc descendu dans la rue afin de revendiquer son accès légitime au pouvoir politique et surtout à la liberté économique.

La crise :

Un mois après l’immolation de Mohamed Bouazizi qui « préfère mourir que vivre dans la misère », les affrontements gagnent la capitale, Tunis. Le président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, fuit vers l’Arabie Saoudite. Quelques jours plus tard, les premiers manifestants se rassemblent sur la Place Tahrir au Caire et le président Moubarak quitte le pouvoir après 30 ans à la tête de l’Egypte. Les manifestants de Benghazi seront quant à eux aidés par une coalition qui met fin à l’ère Kadhafi. Toutefois, il existe des endroits où le Printemps Arabe n’arrive pas à s’enraciner, on pense par exemple aux monarchies pétrolières qui continuent d’acheter la paix sociale, ou encore au Maroc, à la Jordanie, à Bahreïn, en Algérie et au Liban. Les résultats aussi sont différents ; si les gouvernements égyptien, tunisien, libyen ou yéménite sont renversés au profit d’élections libres ou du chaos, en Syrie, Bachar Al-Assad, soutenu par les gouvernements russe et chinois, reste aux commandes du pays.

Le Printemps Arabe remet en question les politiques occidentales mises en place dans les années 80 et 90. Dans Géopolitique du monde Arabe, Frederic Encel pointe les réactions contradictoires des Occidentaux qui manquent de coordination : ils interviennent vite en Libye mais attendent en Syrie par exemple.

Cette période est aussi révélatrice des transformations sociétales, celles-ci se traduisent par la prédominance des réseaux sociaux qui ont joué un rôle majeur. Le nombre de tweets en Egypte a été 100 fois plus important la semaine suivant la chute de Moubarak par rapport aux mois précédents. Cette thématique a été étudiée par Mounir Bensalah dans son ouvrage Réseaux sociaux et révolutions arabes ? où il montre l’importance des nouveaux outils pour la jeunesse qui aspire à davantage de liberté.

Le bilan, 5 ans après :

Après avoir connu des semaines de manifestations où les espoirs et les doutes n’ont cessé de rythmer les journées des peuples revendiquant leur émancipation, le bilan que l’on peut dresser aujourd’hui semble teinté de déceptions. En effet, les idéaux et les objectifs qui ont animé les soulèvements pour mettre fin au despotisme et à la corruption n’auraient pas véritablement trouvé de réalisation concrète dans l’ère suivant le Printemps Arabe. Toutefois, un discours généralisant ne prend pas sens lorsque l’on essaie de dresser le bilan : le processus démocratique engagé en Tunisie est loin de la situation politique syrienne. Ainsi, du point de vue politique, les situations sont si variées et instables qu’il est pour le moment impossible d’établir un bilan général. Un processus a été mis en place, il faut lui laisser le temps de se dérouler afin que les situations politiques évoluent, mutent voire muent. Notons tout de même que l’autoritarisme a plutôt résisté, il a même su se réinventer de manière encore plus brutale dans certains pays comme en Syrie. Si le tableau politique est marqué par les différences, tous les pays semblent touchés par des difficultés économiques et financières. Ainsi, cette déception catalyse les frustrations des peuples qui revendiquaient une certaine liberté économique. Loin d’avoir disparus, la paupérisation croissante, le chômage endémique, l’économie sous-terraine et l’incertitude économique sont autant d’éléments qui nous font aujourd’hui penser que les désillusions sont multiples.

Si la dynamique endogène du mouvement a été impulsée par des motivations saines, de nombreux facteurs et acteurs endogènes ont pu jouer du Printemps Arabe pour assouvir leurs intérêts personnels. En effet, la période dite du « dégagisme » (Manifeste du dégagisme, Collectif) qui visait à déloger la personne ou le groupe de personnes au pouvoir a ouvert la porte à une période d’instabilité et donc à une lutte d’influences sur les espaces qui avaient pour vocation à devenir des territoires. Ces influences géopolitiques ont par exemple été mises en lumière par Hala Kodmani dans L’implication du Qatar dans les révolutions arabes : stratégie d’influence ou OPA ? (Confluences Méditerranée, 1/2013, N°84). L’auteur montre que le Qatar a profité de cette période de crise pour se projeter sur la scène internationale et augmenter sa visibilité. L’implication des puissances s’est aussi manifestée par l’intervention de certains États comme la France ou la Russie. Ainsi, ces révolutions ont eu une résonnance internationale, les peuples ont parfois pu se confronter aux volontés de puissances exogènes au rayonnement international. Dès lors, cette ingérence à été dénoncée par Noomane Raboudi, spécialiste du Moyen-Orient à l’université d’Ottawa qui affirme que « le bilan est plutôt négatif, mais ce n’est pas la faute au peuple. C’est la récupération de ces mouvements par les puissances régionales mais aussi mondiales. »

Conclusion :

Ainsi, le Printemps Arabes a été motivé par une préoccupation économique, comme lors des mouvements des Indignés ou d’Occupy Wall Street. Les peuples revendiquent une justice économique et souhaitent mettre fin aux inégalités galopantes qui gangrènent la société. Néanmoins, le bilan économique n’est pas à la hauteur des espoirs, comme le montre l’Indice de Liberté Economique. En effet le « Business Freedom » en Egypte est passé de 65% en 2010 à 68,3% en 2016 alors qu’il est de 85% aux Etats-Unis. Il est aussi important de ne pas porter un discours généralisant sur les mouvements et les résultats du Printemps Arabe, à tel point qu’évoquer une pluralité des Printemps Arabes semble plus légitime.

En somme, même si certains processus de mutations ont été mis en place, l’archaïsme n’a pas toujours laissé place au progrès, la dictature à la démocratie et le despotisme à la liberté. Les Printemps Arabes n’ont pas donné suite à un été marqué par un cocktail de réussites politiques et socio-économiques, au contraire, il semble plus honnête de se demander s’il n’a pas ouvert la porte à un « Automne islamiste » et un « Hiver djihadiste ».

Sources :

Encel Frédéric Géopolitique du Printemps arabe, PUF, 2014, 288p

Statistiques fournies par Héritage.org

Agence ecofin, Les prémices du printemps arabe étaient mesurables sur le web, 18 septembre 2011

Christine Bureau, 5 ans plus tard que reste-il du printemps arabe ? Ici-Radio-Canada, 30/01/2016

Béligh Nabli, Cinq ans après le départ de Ben Ali en Tunisie : quel bilan et quelles perspectives ? Iris-France, 15/01/2016

Nicolas Demorand, Il y a cinq ans en Tunisie : quel Bilan pour le Printemps Arabe ? France-Inter, émission du 17 décembre 2015

Stéphane Lacroix et Alain Dieckhoff, Le bilan des printemps arabes est clairement négatif, SciencePo centre de recherches internationales, 25/01/2016.