Du patriotisme économique aux échanges internationaux, des accusations de corruption aux négociations entre chefs d’Etat, de la compétition internationale aux « alliances stratégiques », l’industrie aéronautique rassemblent toutes les caractéristiques mais également tous les paradoxes de la mondialisation. Cette industrie ne représente qu’un pourcentage infime de la production industrielle mondiale, elle fait pourtant couler beaucoup d’encre, notre « fleuron » Airbus en premier lieu, tantôt fierté nationale, tantôt scandale de corruption. Comprendre les enjeux de cette industrie hautement stratégique aussi bien pour l’Occident que pour les émergents, c’est comprendre les tenants et les aboutissants de la mondialisation.

L’industrie aéronautique, à la fois prélude et aboutissement au processus de mondialisation

En 1978, le keynésianisme est à bout de souffle, après le premier choc pétrolier en 1973, les politiques de relance par la dépense publique ne fonctionnent pas. Les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest entrent en récession, il faut trouver un nouveau modèle pour sortir les pays capitalistes de la crise. Les économistes prônent la libéralisation des secteurs régulés par l’Etat pour créer de la concurrence et donc plus d’offre. Le secteur du transport aérien est entièrement régulé par l’Etat c’est pourquoi Jimmy Carter, alors Président des Etats-Unis décide de libéraliser ce secteur. En conséquence, le transport aérien civil connait un essor considérable et mécaniquement cette croissance se répercute sur l’industrie aéronautique. L’industrie aéronautique est donc fille de la « mondialisation contemporaine ».

Si l’industrie aéronautique est un des aboutissements de la nouvelle mondialisation, elle est également un prélude à cette dernière. En effet, être capable de transporter des hommes et des marchandises rapidement est une condition nécessaire au développement des échanges et donc de la mondialisation. L’industrie aéronautique a donc permis à la mondialisation de voir le jour. Bref, cette industrie aussi large (civile, militaire, spatiale) que singulière joue un rôle structurant dans notre économie.

La dimension politique et géopolitique va de pair avec ce rôle économique. La construction d’aéronefs est encore (et pas pour longtemps) presque exclusivement faite par les « anciens pays industrialisés ». Le quasi duopole Airbus-Boeing totalise 86% de part de marché, loin devant le québécois Bombardier. Le seul constructeur non-Occidental est brésilien, il s’agit d’Embraer avec à peine 4% du marché.  Bien qu’à la pointe de l’innovation, l’industrie aéronautique est structurée selon une base ancienne : les pays du Nord inventent, produisent et vendent aux pays du Sud qui, en s’enrichissant, ont une demande croissante d’avions. Les pays Occidentaux tentent donc de conserver et de protéger cette industrie et pour cause, cette industrie est hautement stratégique pour les technologies qu’elle utilise et ses liens avec la Défense.

Avec un chiffre d’affaire de 60,4 milliards de dollars (+4.1%) en 2016, l’industrie aéronautique française est puissante et en pleine croissance à tel point que l’aéronautique est considérée comme le point fort de l’économie française. A ce titre, la France dispose avec l’Allemagne d’un champion mondial, Airbus. La firme, fruit de la collaboration entre différents pays européens double régulièrement Boeing en nombre de ventes depuis le début des années 2000 (pour la première fois en 2001). Ainsi l’entreprise Airbus est-elle un fleuron français, une véritable fierté nationale en pleine croissance. Pourtant, malgré les ventes records du salon du Bourget de 2017, l’avionneur semble avoir du plomb dans l’aile, rentabilité en baisse, retards de livraison, scandales de corruption, le groupe traverse une zone de turbulences.

Une compétition acharnée entre les grandes puissances mondiales

La réussite fulgurante d’Airbus a été possible grâce à d’importants sacrifices. L’émergence de nouvelles compagnies aériennes, les compagnies low-costs, ainsi que celles du Golfe et d’Asie du Sud-Est, a placé les Etats Occidentaux face à un choix. Soit les Etats (actionnaires d’Airbus et premier client de Boeing) acceptent que les avionneurs vendent des avions à ces nouvelles compagnies et bien que cette décision permette aux constructeurs aéronautiques de croître, elle signifie aussi le déclin des compagnies nationales qui se retrouvent concurrencées. Soit les Etats restreignent la vente d’avions aux nouvelles compagnies pour sauver les compagnies nationales. Le choix est somme toute assez simple, est-il préférable de privilégier les compagnies aériennes ou les constructeurs aéronautiques ? La décision a été très claire, non seulement les nouvelles compagnies aériennes sont devenues des clients importants pour les industriels mais ce sont également les Etats qui aident à la signature de ces contrats, Emmanuel Macron aide par exemple à la signature de la vente de 50 Airbus A321 Neo lors de sa visite au Qatar le 7 Décembre 2017. La croissance de l’industrie aéronautique dans les pays Occidentaux se fait donc aux dépens des compagnies aériennes nationales.

La récente croissance des ventes d’avions est essentiellement due à l’essor des nouvelles compagnies aérienne et la compétition pour capter ces nouveaux clients est rude entre Airbus et Boeing. Malgré tout, les deux concurrents ont fini par se partager assez équitablement le marché, le titre du numéro un étant remis en jeu chaque année. Mais un nouvel arrivant vient bousculer cette hiérarchie et annonce une nouvelle guerre industrielle dans le secteur aéronautique. Il s’agit de Comac, un constructeur chinois créé de toute pièce en 2008 dans l’unique but de rivaliser à terme avec le duopole Airbus-Boeing. L’entreprise fait beaucoup parler d’elle depuis 2015, date à laquelle on dévoile au public son premier prototype, il s’agit d’un avion de ligne moyen-

courrier aux normes occidentales, le Comac 919. Ce dévoilement présage d’importants changements de hiérarchie dans la filière à moyen terme, Airbus et Boeing vont devoir s’adapter.

Vers un retour au protectionnisme ?

Les Etats-Unis et l’Europe craignent que leurs champions soient concurrencés dans ce domaine d’excellence, on assiste alors à la mise en place de mesures protectionnistes et à la signature d’alliances pour protéger les constructeurs emblématiques. Les Etats-Unis accusent par exemple le constructeur canadien Bombardier de dumping (car Bombardier reçoit des subventions publiques), aussi, le gouvernement fédéral américain a-t-il décidé de taxer les avions canadiens à 300%. Airbus, qui n’est pas très performant sur les petits avions, a ensuite signé une alliance avec Bombardier, ceci permet au constructeur européen d’élargir encore sa part de marché pour être leader sur presque tous les segments de marché, et le constructeur canadien peut, quant à lui, continuer de vendre des avions aux Etats-Unis.

Fille de la déréglementation, mère des échanges, habituée à la concurrence mais enclin au protectionnisme, l’industrie aéronautique présente toutes les caractéristiques de la mondialisation, ses exploits, sa grandeur mais aussi ses excès et ses limites.