La deuxième place du Diplo d’Or BNP Paribas 2016 a été décernée à Soline !

        « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers l’exploitation des mers que les ambitions des Etats chercheront à dominer afin d’en contrôler les ressources » prédisait déjà en 1969 Charles de Gaulle. Le rapport « Osons la mer » de 2013 a débouché sur l’adoption par le Parlement français, en juin 2016, d’une loi sur l’ « économie bleue ». Son objectif ? Augmenter les bénéfices de l’économie maritime, tout en préservant les ressources.

        Les mers et les océans recouvrent 70,8% de la surface terrestre. En 2011, le chiffre d’affaires du secteur maritime s’élève à 1500 milliards de dollars. Avec la mondialisation et la maritimisation de l’économie qui l’accompagne, ce « sixième continent » et les richesses qu’il renferme sont plus que jamais au cœur des convoitises et des jeux de puissance.

       L’intérêt croissant pour les espaces maritimes s’explique en partie par les immenses ressources qu’ils recèlent

        Tout d’abord, les ressources halieutiques. Les océans regorgent de poissons et de crustacés qui, avec l’essor démographique et la modification des habitudes alimentaires, constituent une source d’alimentation non négligeable. Le poisson représente ainsi 40% des denrées alimentaires échangées. La pêche de 100 millions de tonnes de poissons et crustacés chaque année a généré un chiffre d’affaires de 122 milliards de dollars en 2010. La biodiversité marine, encore largement inconnue, suscite aussi la convoitise des industries cosmétique et pharmaceutique.

      Ensuite, les ressources énergétiques et minérales. Les progrès techniques et la raréfaction des ressources terrestres ont favorisé l’exploitation des fonds et sous-sols marins. Des prospections ont par exemple permis d’évaluer les réserves sous-marines d’hydrocarbures à un tiers des réserves prouvées et, aujourd’hui, l’offshore constitue le tiers de la production mondiale. Les fonds marins possèdent aussi 84% des réserves de minerais mondiales. Les nodules polymétalliques (riches en cobalt, cuivre, nickel, platine), les amas sulfurés (cuivre, zinc, plomb) et les encroûtements sont très convoités, notamment dans l’électronique. Les terres rares, estimées à 90 millions de tonnes dans le Pacifique, font de cet espace un lieu stratégique, convoité par les puissances. Le Japon étudie aussi la possibilité d’exploiter les hydrates de méthane.

      Les perspectives qu’offre l’économie bleue sont donc très attractives. C’est pourquoi s’opère depuis plusieurs années une véritable « course à la mer ».

          Les océans sont devenus des espaces de projection pour les puissances mondiales. En effet, ce désir d’en contrôler la surface, les ressources halieutiques, mais aussi les fonds et les sous-sols, se traduit par une militarisation des océans. Pour l’amiral Mahan, les puissances maritimes ont vocation à l’emporter. Si l’US Navy domine, toutefois, d’autres Etats, notamment des émergents, renforcent leur marine de guerre afin de défendre leurs intérêts stratégiques : depuis 2011, l’investissement dans le budget naval a augmenté de 57% en Chine et de 69% en Inde.

       Grâce à la puissance maritime ainsi acquise, les Etats tentent de s’approprier les ressources de ces espaces, en grande partie déterritorialisés. La guerre des Malouines, qui opposa en 1982 l’Argentine et la thalassocratie britannique, l’illustre parfaitement : le contrôle de cet archipel leur permettrait un accès à ses larges ressources halieutiques. Et en 2012, la richesse du sous-sol conduit à un regain de tensions aux Malouines. Pour les mêmes raisons, les îles Spratley, Paracels et Senkaku-Diaoyu en Mer de Chine font l’objet de féroces convoitises. Et l’inégale répartition de ces ressources renforce les revendications.

        Le droit maritime tente donc de règlementer les velléités des Etats sur la domination des espaces maritimes. Le principe de la liberté des mers a longtemps prévalu. Mais en 1982, la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM), dite de Montego Bay, entérine le découpage des espaces maritimes en différentes zones. Pour autant, le nombre de dépôts de dossiers à la Commission pour les Limites du Plateau Continental (CLPC) ne cesse d’augmenter. En effet, les puissances cherchent à étendre toujours davantage leur zone économique exclusive et ainsi leur accès aux ressources maritimes. L’année dernière, la France, grâce au projet Extraplac, a par exemple obtenu de la CLPC un agrandissement de son plateau continental de 500 000 km². Cependant, les Etats-Unis n’ont pas encore ratifié la CNUDM et la haute mer – 64% de la surface maritime – n’est sous contrôle d’aucune juridiction nationale.

 

          Arrêtons-nous un instant sur le cas de l’Arctique, futur enjeu géopolitique pour ses Etats riverains. Contrairement à l’Antarctique, sanctuarisé en 1959, aucun moratoire sur l’exploitation n’existe pour cette région. Les coopérations sont multiples, comme en témoigne le Conseil de l’Arctique fondé en 1996. Mais le statu quo dont bénéficiait jusqu’ici l’Arctique pourrait être menacé. En effet, la fonte de la calotte polaire permet d’envisager d’une part un nouvel axe maritime NordEst, reliant Rotterdam à Tokyo en seulement 13 500 kilomètres contre 21 000 aujourd’hui par le canal de Suez, et, d’autre part, l’exploitation de gisements d’hydrocarbures, estimés au quart des réserves mondiales. Dès lors, on comprend aisément pourquoi la Russie, le Canada et le Danemark revendiquent chacun la dorsale de Lomonossov comme prolongement de leur plateau continental. En 2007, une expédition russe plante un drapeau au pôle Nord et la Russie continue de bloquer le projet d’Aires Marines Protégées (AMP).

  Néanmoins, si l’océan est immense, il n’est pas infini

C’est pourquoi une gestion durable des ressources maritimes est nécessaire. Par exemple, l’utilisation du sable pour la fabrication du verre, des microprocesseurs ou encore du béton, endommage les mangroves et participe à l’érosion des littoraux. De même, l’exploitation des hydrocarbures n’est pas non plus sans risques, comme l’a rappelé l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du Mexique. Une gestion plus durable des ressources passe notamment par le développement d’énergies renouvelables telles que les énergies houlomotrice, hydrolienne, marémotrice et thermique.

       La surpêche menace également les espaces maritimes. Un tiers des espèces péchées ont vu leurs effectifs baisser de 90% depuis 1950. Les techniques telles que filets dérivants, pêche à l’explosif, chaluts et radars augmentent les capacités de pêche. Aussi, en 1983, une politique européenne est-elle mise en œuvre pour favoriser le renouvellement des espèces. La production aquacole est également multipliée par douze en trente ans et fournit aujourd’hui 40% de la consommation mondiale. Plus récemment, le 14e Objectif du Développement Durable adopté par les Nations Unies pour la période 2015-2030 vise à protéger la faune et la flore aquatiques. Si les AMP ne représentent pour l’instant qu’1% de la surface maritime, néanmoins, la situation évolue. En septembre 2016, le président américain Barack Obama a inauguré la plus grande AMP au monde à Hawaï : la pêche commerciale sera désormais interdite dans 60 % des eaux territoriales autour d’Hawaï, ainsi que les forages miniers en eau profonde.

      Selon Nicolas Baverez, « le contrôle de la mer assurera le contrôle des ressources et du commerce, qui assurera le contrôle de la mondialisation. », bien que cela reste à nuancer. Ainsi, l’extension de l’emprise des Etats sur les espaces maritimes, la découverte de nouvelles ressources énergétiques offshore et l’intensification de l’exploitation des ressources halieutiques sont devenues des enjeux géopolitiques majeurs, sources de tensions inévitables, voire de conflits entre puissances, que seule une coopération internationale pourrait enrayer. Sans parler des autres enjeux capitaux autour du contrôle des espaces maritimes : points nodaux et routes commerciales, piraterie, littoralisation des activités, flux migratoires, d’information (câbles sous-marins)…

  Soline Toussaint, CPGE à Henri IV

Sources bibliographiques et iconographiques:

Livres

  • The Influence of Sea Power upon History, Alfred Mahan, 1890

  • Mare Oceanus Nostrum, Nicolas Baverez, éditorial du 07/07/2011 in Le Point

  • La Mondialisation contemporaine, rapports de force et enjeux, Nicolas Balaresque et Daniel Oster, Nathan, 2012

  • Géopolitique des mers et des Océans. Qui tient la mer, tient le monde. Pierre Royer, PUF, 2014

  • Diplomatie hors-série n°13, AREION Group/Capri, Paris, août-septembre 2010

  • Cartes : Dico atlas des mers et des océans, Pierre Royer, 2013

Sites Internet

  • Rapport       « Les      enjeux des         espaces                maritimes           français »            (IHEDN) : www.ihedn.fr/userfiles/file/debats_fond/publications/ARTICLE%20MARITIMISATION.pdf

  • http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/06/07/la-proposition-de-loi-sur-l-economiebleue-definitivement-adoptee_4941565_823448.html

  • http://www.lyceedadultes.fr/sitepedagogique/documents/HG/HGTermL/livret_hg_TermLES/Ter mL_G07_T2_Q2_C3_Les_espaces_maritimes_approche_geostrategique_version_eleves.pdf

  • http://www.marine-oceans.com/les-grands-dossiers-de-marine-et-oceans/3734-les-trente-ansde-la-convention-des-nations-unies-sur-le-droit-de-la-mer-10-decembre-1982-10-decembre2012-partie-2

  • http://www.liberation.fr/futurs/2013/02/03/arctique-la-conquete-glaciale_878977

  • http://www.ileri.fr/la-maritimisation-enjeux-geopolitiques-de-la-mer/

  • http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/09/26/les-etats-unis-creent-la-plus-grandereserve-marine-au-monde_4494608_3244.html

  • https://fr.wikiversity.org/wiki/Approche_g%C3%A9ostrat%C3%A9gique_des_espaces_maritimes _d%27aujourd%27hui

  • http://www.senat.fr/rap/r11-674/r11-674_mono.html

  • Sites de l’ONU, de la FAO et de la CNUDM

  •  ihsnews.net