Quelques mots sur l’auteur et son ouvrage

  • Nous allons nous intéresser à un texte de Saint AUGUSTIN, philosophe du IVème siècle, héritier de la pensée platonicienne (et dont nous avons déjà parlé ici). C’est un texte qui se trouve dans son ouvrage le plus célèbre, Les Confessions, au Livre X, 8.
  • Il comporte trois paragraphes qui répondent chacun à une problématique particulière : nous étudierons l’extrait à partir de “Dans ce palais…” et jusqu’à ” et je sais ce qui s’est imprimé en moi, et par quel sens de mon corps.
  • Nous nous sommes appuyés sur l’extrait qui se trouve à la fois dans le GF Corpus d’Alexandre ABENSOUR et sur ce site internet. 

Le thème de ce texte

  • Ce texte porte sur le thème de la mémoire, et plus précisément, sur le contenu de la mémoire et ses fonctions.

La question philosophique posée dans ce texte

  • Saint Augustin pose la question suivante : en quoi la mémoire est-elle une faculté essentielle à la connaissance de la réalité ? 

La thèse défendue par Saint Augustin

  • A la fin de son célèbre ouvrage Les Confessions, Saint Augustin réalise un magnifique éloge d’une faculté de l’esprit, qui nous provient de Dieu : la mémoire. A rigoureusement parler, ce texte porte davantage sur l’intériorité et la puissance de l’esprit que sur la mémoire elle-même, qui n’est qu’une facette de cette intériorité

C’est en moi-même que se fait tout cela, dans l’immense palais de ma mémoire.”

  • La thèse majeure défendue par Saint Augustin dans ce texte est qu’il faut autant admirer les choses elles-mêmes, c’est-à-dire la réalité, que l’esprit qui les appréhende et qui les conserve en lui par sa mémoire. 

Le plan du texte

1) La puissance de la conservation de la mémoire : la mémoire comme réserve

2) La mémoire permet de manipuler l’image des choses même en leur absence : pour manipuler les choses, il faut les avoir en mémoire

3) La mémoire permet d’appréhender le futur : pour connaître le futur et de s’y projeter, cela se fait sur la base de connaissances du passé

Le développement

  • Dans cet extrait, qui se trouve à la fin du Livre X, saint Augustin fait la description et même l’éloge de la puissance de la mémoire, qui est une faculté de l’esprit. A travers cet éloge de la mémoire, il chante également les louanges de Dieu qui a doté les hommes de ce pouvoir.
  • Notre analyse ne va pas rigoureusement suivre le texte de manière linéaire : Saint Augustin se répète dans certains paragraphes, ou avance une idée nouvelle…

1) La puissance de la conservation de la mémoire : la mémoire comme réserve

1.1) Un palais ordonné en différent espaces liés à des sens

  • Dans ce premier paragraphe, à la fois très poétique et descriptif, Saint Augustin fait un éloge de la mémoire, qu’il compare à un palais pour exprimer sa grandeur et sa somptuosité. Il expose également les différentes manières de se souvenir, rattachées chacune à un de nos cinq sens.
  • Saint Augustin, en effet, distingue les différents sens : l’ouïe, l’odorat, la vue, le toucher et le goût, qui résident dans des organes distincts (oreille, nez, yeux, corps et bouche).
  • Or, la mémoire conserve chacune de ces sensations bien distinctes les unes des autres, à des endroits précis de ce palais.

Dans ce palais, distinctes et rangées par espèces, se trouvent conservées toutes les sensations qui ont pénétré, chacune par sa voie propre : ainsi la lumière, et toutes les couleurs et formes des corps, par les yeux; par les oreilles, les sons de tous genres; toutes les odeurs, par la voie des narines; toutes les saveurs par la voie de la bouche; et par le sens répandu dans tout le corps, ce qui est dur et ce qui est mou, ce qui est chaud ou froid, moelleux ou rugueux, lourd ou léger, que ce soit extérieur ou intérieur au corps.

1.2) La mémoire, un palais où se conserve les images des choses perçues

  • Augustin explique ensuite que, dans notre mémoire, nous ne conservons pas les objets perçus eux-mêmesmais seulement leurs images. Autrement dit, si vous avez vu hier une pêche, vous n’avez pas conservé la pêche elle-même dans votre mémoire, mais l’image de cette pêche.

Pourtant elles n’entrent pas elles-mêmes, mais ce sont les images des objets perçus qui sont là, prêtes à répondre à la pensée quand elle les rappelle.

  • Les différentes images conservées dans la mémoire se range en cinq catégories, qui correspondent au cinq sens : les images visuelles (images au sens strict), les images auditives (sons), les images olfactives (odeurs), etc. Notre esprit a la faculté de convoquer n’importe laquelle de ces images conservées dans la mémoire.

Ainsi des autres sensations que les autres sens ont ramassées et amassées, je me les rappelle à ma guise.

Ceci est un palais somptueux.

1.3) Des profondeurs mystérieuses de la mémoire…  

  • Après avoir exposé la capacité de la mémoire de conserver les images des choses que nous percevons, Saint Augustin exprime dans le troisième paragraphe, la difficulté que l’on éprouve pour parcourir l’ensemble de ce vaste palais qu’est la mémoire. 
  • Le philosophe montre, avec stupeur, ô combien la mémoire est vaste et grande. Notre esprit n’a pas la faculté de pouvoir saisir tout ce qui est en dedans-nous, autrement dit nous ne pouvons pas parcourir entièrement ce vaste palais. 

Elle est grande cette puissance de la mémoire, excessivement grande, mon Dieu ! C’est un sanctuaire vaste et sans limite ! Qui en a touché le fond ? Et cette puissance est celle de mon esprit ; elle tient à ma nature, et je ne puis pas moi-même saisir tout ce que je suis.

2) La puissance imaginatrice de la mémoire : la faculté de manipuler les choses

2.1) Manipuler l’image des choses

  • L’auteur a montré que la mémoire était un vaste palais ordonné, où les images des choses que nous percevons s’entreposent dans cette réserve. C’est grâce à cette capacité de conservation, qu’il affirme que notre mémoire a également la capacité de manipuler les images de ces choses et de les arranger les unes avec les autres comme elle le désire, même en en leur absence

Pour reprendre notre exemple avec la pêche que nous avons vu la veille, nous pouvons manipuler son image dans notre esprit en y ajoutant par exemple l’image visuelle de la mer en arrière plan…

  • Il faut bien comprendre que nous n’avons de pouvoir que sur notre intériorité et non sur l’extériorité : nous ne pouvons pas manipuler les objets extérieurs mais seulement leurs images qui se trouvent en nous. C’est l’intériorité qui nous confère ce pouvoir de manipulation sur les images des choses, et c’est la mémoire qui conserve une masse de représentations. 
  • Il n’est pas nécessaire d’avoir la perception en présence de la chose pour l’appréhender, la distinguer des autres, etc., mais il y a cette faculté qu’est la mémoire qui permet de rappeler la perception des choses en leur absence. La mémoire permet de rappeler le contenu de choses de genre distinct.

Je distingue l’arôme des lys de celui des violettes sans rien flairer; et je préfère le miel au raisiné, le poli au rugueux, sans rien goûter ni toucher en ce moment, mais en me souvenant.

2.2) Admirer les choses autant que la mémoire qui les conserve

  • Après avoir montré que l’homme était incapable de parcourir l’immense palais de la mémoire, Saint Augustin souhaite, dans ce passage, montrer que les hommes doivent autant admirer les choses qu’ils observent que l’esprit qui les saisit. Les hommes sont prompts à faire l’éloge de l’extériorité mais oublient de célébrer l’intériorité. 

 Les hommes s’en vont admirer la hauteur des montagnes,[..] Ils n’admirent point ce fait que, en parlant de toutes ces choses, je ne les voyais pas des yeux; et pourtant je n’en parlerais pas, si les montagnes, les vagues, les fleuves et les astres que j’ai vus, l’océan auquel j’ai ajouté foi, je ne les voyais à l’intérieur, dans ma mémoire, avec d’aussi vastes dimensions que si je les voyais à l’extérieur.

3) La mémoire permet d’appréhender le futur 

  • La mémoire permet à la fois de conserver les choses et de les manipuler, mais elle dispose également d’une troisième faculté : celle d’appréhender le futur.
  • C’est par la combinaison des deux premières facultés que nous pouvons appréhender le futur par la mémoire : c’est parce que nous pouvons conserver les images des choses, et les manipuler que nous pouvons connaître le futur et de s’y projeter. Nous ne serions pas capable d’anticiper l’avenir si notre mémoire ne pouvait ni conserver les images des choses, ni tisser des liens entre elles.

De la même abondante réserve, je tire également par ressemblance avec les choses dont j’ai fait l’expérience ou auxquelles, d’après cette expérience, j’ai cru, je tire d’autres et d’autres images; je les relie moi-même à la trame du passé et, de là, je tisse même celle de l’avenir, actes, événements, espérances; et je pense et repense tout cela comme si c’était du présent.

Pour résumer :

1) Notre mémoire peut transformer des objets extérieurs en images intérieures grâce aux organes des sens qui perçoivent ces objets. Chacune de ces images sensitives est conservée dans une réserve qui lui est propre, au sein du palais qu’est la mémoire. 

2) Grâce à cette faculté de conservation de l’image de objets extérieurs, nous pouvons également manipuler ces mêmes images entreposées dans notre mémoire. Ainsi, nous pouvons voir en notre intériorité des choses en leur absence et les lier les unes aux autres. Notre mémoire a une puissance imaginatrice illimitée qui la rend tout aussi admirable que les choses elles-mêmes.

3) La faculté de conservation et de manipulation de l’image des choses permet d’obtenir la faculté d’appréhension du futur. En effet, grâce aux images que nous conservons des choses, et notre pouvoir de les manipuler, nous pouvons tisser des liens entre nos expériences passées et anticiper le futur.

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