Quelques mots sur l’auteur et son ouvrage

  • Nous allons nous intéresser à un texte de G. W. Leibniz, philosophe allemand du XVIIe siècle et héritier de la pensée cartésienne, spinozienne et, entre autres, lockienne.
  • Les deux textes sur lesquels s’appuie notre analyse se trouvent dans Nouveaux Essais sur l’entendement humain. L’un est extrait de la Préface, de « Il semble que notre habile auteur… » à « même jamais de corps sans mouvements » puis de « D’ailleurs, il y a mille marques qui font… » à « mille riens ne sauraient faire quelque chose » et enfin de « Ces perceptions insensibles marquent » à « mais qui ne saurait durer toujours », et le deuxième est extrait du Chapitre 1, au § 11 et au § 12.
  • Leibniz répond à la thèse de Locke selon laquelle la mémoire est au fondement de l’identité personnelle et expose sa thèse sur l’absence de lien entre mémoire et identité personnelle.
  • C’est un texte compliqué et difficile d’accès, il faut passer par la théorie de la connaissance, qui est fine et subtile chez Leibniz, pour comprendre le rapport avec la mémoire et l’identité personnelle. L’idée fondamentale est que Leibniz anticipe la théorie freudienne de l’inconscient en tant qu’il comprend que la perception n’est pas toujours consciente.
  • Vous pouvez facilement trouver le texte sur ce site Internet ou dans le GF Corpus « La Mémoire » dirigé par Alexandre Abensour.

Le thème de ce texte 

  • Ce texte est une réponse au texte de Locke que nous avons analysé précédemment. Ainsi, le thème abordé par Leibniz est similaire : il s’agit d’interroger les liens qui existent entre la mémoire et l’identité personnelle. 

La question philosophique posée dans ce texte

  • Dans ces extraits, Leibniz pose la question suivante : la mémoire est-elle au fondement de l’identité personnelle ? 

La thèse défendue par Leibniz

  • À cette question, Leibniz répond que non. Ce n’est pas la mémoire qui est au fondement de l’identité personnelle, mais le corps. En effet, d’après lui, nous conservons notre identité personnelle car nous conservons la même substance, que l’on s’en souvienne ou non.

I – L’existence de petites perceptions inconscientes…

1) Le virtuel et l’actuel : la perception est à la fois consciente et inconsciente

  • Leibniz va montrer que Locke a tort de prétendre que toute pensée est consciente. Il affirme que même Locke ne prend pas cette thèse au sens fort. Pour comprendre pourquoi, il faut expliquer ce qu’est la mémoire pour Locke.
  • Locke dit qu’il n’y a pas de stock de souvenirs : il n’y a que ce qui existe actuellement dans notre conscience. Comme pensée, il n’y a que la conscience de ce qui est actuel. Chez Leibniz, il y a du virtuel, c’est-à-dire un stock de pensées qui ne sont pas actuellement présentes.

2) Deux conceptions opposées de la mémoire

  • Pour Locke, la mémoire n’est pas un rappel mais une reproduction accompagnée du sentiment d’avoir vécu la chose. Qu’est-ce que ça veut dire ? Par exemple, si on se souvient avoir regardé la télé la veille, on ne va pas chercher un souvenir qui est dans notre mémoire mais reproduire la représentation de la télé avec le sentiment qu’on l’a déjà regardée. Pourquoi dit-il cela ? Cela permet d’expliquer que c’est bien un souvenir, donc que ça a eu lieu.
  • La mémoire pour Locke : c’est la faculté de produire des représentations avec le sentiment d’avoir déjà vécu les situations.
  • Leibniz dit que même Locke ne prend pas sa thèse au sens fort car il serait obligé de nier qu’il n’y a pas de représentation de la mémoire qui existe en dehors de la conscience. Or, c’est évident que lorsque l’on se souvient d’un événement, on ne le crée pas de toutes pièces : ce n’était pas de la conscience, mais ça vient de la mémoire.
  • Chez Leibniz, la mémoire c’est l’actualisation de représentations inconscientes, c’est-à-dire des états par lequel le corps est passé. Pour lui, lorsque l’on se souvient d’un événement qui s’est produit, on va piocher dans un stock qui est la mémoire et qui contient cet événement. Tandis que chez Locke, la mémoire n’est pas un stock mais la faculté de recréer cet événement avec le sentiment de l’avoir vécu.

II – … fait que la mémoire n’est pas au fondement de l’identité personnelle

1) Nous ne pouvons pas avoir conscience de tous nos souvenirs

  • Leibniz affirme qu’il y a une infinité de perceptions inconscientes qui nous affectent. Ainsi, il y a de toutes petites modifications dont nous ne nous apercevons pas. C’est en cela que nous pouvons dire que Leibniz anticipe l’inconscient freudien : il tient compte des infinies perceptions inconscientes qui nous traversent.
  • D’autre part, nous continuons à percevoir même durant notre sommeil, ce qui nous modifie à chaque instant.
  • L’ensemble de ces petites perceptions, qui nous modifient et dont nous n’avons pas conscience, font tout de même partie de notre mémoire.

2) Par contre, notre corps conserve, lui, le stigmate de tous ces changements infinitésimaux

  • Puisque nous ne pouvons pas avoir conscience de tout ce qui nous traverse, cela ne peut pas être la mémoire qui est au fondement de l’identité, si l’on considère que la mémoire est le stock de souvenirs conscients que nous avons.
  • Ainsi, ce qui fait l’identité chez Leibniz, c’est ce qui arrive au corps : tous les états par lesquels le corps va passer. En effet, la conscience chez Leibniz n’est qu’un éclairage porté sur une partie de ces états, ce qui signifie qu’une autre partie de ces états reste inconsciente. Donc, chez Locke, tout ce qui nous arrive est conscient tandis que chez Leibniz, seule une petite partie de ce qui nous arrive est conscient.

Pour résumer

Chez Locke, l’identité est produite par le souvenir. Chez Leibniz, c’est la liaison causale de tous les états successifs du corps qui fait l’identité et on peut ou non en avoir le souvenir, donc ce n’est pas le souvenir qui fonde l’identité.

Très simplement : on est le même parce qu’on se souvient (Locke) ; on est le même parce qu’on est la même chose, que l’on s’en souvienne ou non (Leibniz).

À mobiliser dans un sujet de dissertation

La mémoire du corps : le corps est-il le support de la mémoire ?

  • Leibniz : oui, car c’est le corps qui fait le lien entre le passé et le futur, il y a une mémoire du corps ; le corps est le fondement de la mémoire et pas seulement un support.
  • Locke : non, ce n’est pas le corps qui se souvient mais il peut y avoir dans le corps une mémoire qui fait l’identité personnelle. Elle peut cependant exister dans un autre corps.

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