Quelques mots sur l’auteur et son ouvrage

Nous vous présentons cette fois-ci une référence originale, mais toutefois classique en anthropologie, qui saura faire la différence dans une copie. Celle-ci provient de l’ouvrage du célèbre anthropologue Jack Goody intitulé “Mémoire et apprentissage dans les sociétés sans écritures. La transmission du Bagré”.

A travers l’exemple du Bagré, mythe transmis oralement dans une région du Ghana, Goody s’intéresse aux processus d’apprentissage et de transmission des mythes dans les sociétés avec et sans écriture.

Le texte est disponible gratuitement sur Internet : le voici ICI.

Question philosophique posée dans ce texte :

L’anthropologue se pose la question suivante : l’invention de l’écriture a-t-elle eu un impact sur la mémoire, plus précisément sur le processus de mémorisation et de transmission du savoir ?

Thèse

Goody oppose une remémoration créative, propre aux sociétés à tradition orale, à une remémoration mécanique, propre aux sociétés avec écriture. Selon lui, l’écriture est une technologie cognitive qui a des effets sur les structures cognitives et sur la manière de penser, et plus particulièrement, sur la mémoire

Dans chaque type de société, la transmission de mythe nécessite un certain type de mémoire et cette transmission s’opère de façon différente, selon qu’une société possède ou non l’écriture. 

1) Le mythe du Bagré : la remémoration créative des sociétés « orales »

Le mythe du Bagré : transmission créative

L’article de Goody porte sur le mythe du Bagré, qui est transmis au Ghana (en Afrique de l’Ouest), chez les LoDagaa, une ethnie qui se caractérise à la fois par l’oralité et par le fait qu’elle ne connaît pas l’écriture. Ce mythe raconte l’origine du monde, et les liens unissant les hommes aux divinités naturelles. Celui-ci est récité à l’occasion de cérémonies religieuses, de rites d’initiation, qui initient les jeunes filles ou garçons et qui  leur permet d’accéder à l’âge adulte. La particularité du mythe du Bagré est sa longueur : il contient plus de 10 000 vers, ce qui rend particulièrement difficile sa transmission orale.

Lorsque Goody interroge les LoDagaa sur le mode de transmission du mythe, ces derniers affirment qu’il s’agit d’un mythe fixe, répété mot à mot, parfaitement fidèle à la « version originale ». S’ils insistent autant sur le caractère fixe du mythe, c’est parce que celui-ci possède une fonction sociale importante : il raconte l’origine de leur peuple, et se doit ainsi d’être immuable.

Mais Goody constate, à partir des enregistrements qu’il réalise lors des cérémonies où le mythe est raconté, qu’il y a autant de variations du Bagré que de récitations. Même dans la courte invocation du début, partie sur laquelle les LoDagaa insistent particulièrement pour dire qu’il n’y a pas de variations, l’anthropologue en constate toutefois. C’est le constat de l’écart entre les déclarations et la pratique qui le mène à s’interroger sur la forme de mémoire propre à cette société à tradition orale. 

Les variations du mythe viennent d’une mémorisation créative

Le mythe du Bagré se compose de deux parties : l’une est le bagre blanc, l’autre le bagre noir. Il y a une différence entre le bagre blanc, qui est un rituel, et le bagre noir qui est discursif, et ce dernier est plus instable que le premier. Le premier associe geste et discours, ce qui lui permet d’être stabilisé ; le second évoque des faits fluctuants, et est donc plus instable.

La comparaison des versions du Bagré suggère à Jack Goody que sa transmission ne passe pas par un apprentissage oral mot à mot, autrement dit par une mémorisation mécanique, mais par une remémoration constructive, concept qui renvoie aux travaux de F. Bartlett (premiers travaux en psychologie de la mémoire : Remembering, 1932). Cette remémoration créatrice se définit par le fait qu’elle laisse une place à la variation individuelle : le récitant est dans la situation à la fois de narrateur et de créateur, ce que pour notre part, nous avons distingué dans nos sociétés occidentales.

2) La remémoration mécanique des sociétés avec écriture

 

Les effets cognitifs de l’invention de la mémoire

A l’origine de ses travaux, Goody se demande quelles sont les différences entre les civilisations écrites et sans écriture, et les effets cognitifs de la littératie, à noter que l’OCDE définit littératie est l’aptitude à lire et à écrire. Il s’aperçoit que l’invention de l’écriture a un impact très fort sur la mémoire  : l’écriture est une technologie cognitive, un support matériel de la pensée. Ainsi, l’écriture donne accès à de nouvelles formes de pensée et de savoir. 

Comme nous l’avons vu, les sociétés à tradition orale sont caractérisées par une mémoire créative : on n’exige pas la connaissance rigoureuse d’un texte long car l’oralité ne le permet pas. L’écriture, quant à elle, brise la continuité orale et permet des réarrangements, le médium écrit permet une décontextualisation et une abstraction bien plus forte que la parole orale. 

La mémoire mécanique est l’essence des sociétés à écriture 

C’est dans les sociétés qui possèdent l’écriture que la mémoire mécanique se développe. La copie exacte d’un texte est la forme écrite de l’apprentissage orale du mot à mot, celle-ci est propre à la culture des scriptes et de manière générale, à celle qui a pour fondement les manuscrits. La mémoire mécanique devient moins indispensable avec l’essor de l’imprimerie puisqu’il est moins nécessaire de recopier, même si le « par coeur » subsiste. En effet,  l’école continue à valoriser l’apprentissage du « par cœur » car il crée un lien significatif entre des connaissances éparses.

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