Quelques mots sur l’auteur et son ouvrage

  • Nous allons nous intéresser à un texte de Sigmund Freud, psychanalyste autrichien du XXe siècle, extrait de son ouvrage Malaise dans la civilisation.
  • Notre analyse s’appuie sur un extrait de la Section I, tiré du GF Corpus « La Mémoire » d’Alexandre Abensour. Vous pouvez également le retrouver gratuitement sur Internet ICI.
  • Extrait : Freud, Malaise dans la civilisation, Section I, § 8, de « […] sommes-nous en droit d’admettre la survivance » à « Bornons-nous donc à formuler qu’en ce qui concerne la vie psychique, la conservation du passé est plutôt la règle qu’une étrange exception. »

La question philosophique posée dans ce texte

Freud pose la question suivante : « En quoi la faculté de conservation de la mémoire est-elle spécifique ? »

La thèse de l’auteur

Freud met en lumière l’existence dans la vie psychique d’un organe – la mémoire –  qui permet de tout conserver, de ne rien perdre de la vie psychique qui se déroule dans notre cerveau. Tout est conservé, et peut un jour resurgir au cours de la vie de l’individu.

I – La spécificité de la mémoire : de la difficulté à se représenter la vie psychique

1) Analogie avec l’espace géographique : une image d’Épinal remise en cause

  • Freud propose une première analogie pour expliquer les capacités de la mémoire à conserver les faits passés : l’individu est traversé tout au long de sa vie par une multitude d’impressions psychiques qui sont toutes conservées dans sa mémoire – qu’il en soit conscient ou non. Il commence par utiliser une analogie géographique pour tenter de prouver l’existence d’un tel phénomène.
  • Il utilise alors l’image de la conservation des différentes étapes de la construction de la ville de Rome. Il explique ainsi que, comme la mémoire, les lieux peuvent conserver le souvenir de toutes les étapes de construction de la ville. Cependant, il met rapidement au jour le fait qu’il est impossible, dans un lieu donné, de retrouver les différents bâtiments liés aux différentes époques de sa construction, puisque certains ont été remplacés par d’autres, puis d’autres, puis encore d’autres, jusqu’à mener à la Rome actuelle.

« […] la même unité de lieu ne tolère point deux contenus différents. »

  • Dès lors, il apparaît clair que la représentation visuelle de cette propriété de la mémoire est extrêmement complexe, ce qui montre d’autant plus la difficulté à l’expliquer clairement. Ici, Freud tente de comparer un organisme à un lieu, ce qui empêche une telle analogie de fonctionner.

  2) Analogie avec le fonctionnement de l’organisme/théorie darwinienne de l’évolution

  • Freud a donc cherché un autre moyen pour illustrer sa théorie, en recherchant une analogie qui serait plus proche de l’organisme humain. Il s’oriente alors vers un rapprochement avec la théorie darwinienne de l’évolution. 

  • Il explique que la science actuelle considère que chez toutes les espèces animales que nous connaissons aujourd’hui, et que nous considérons donc comme la forme la plus évoluée, il est possible de déceler une trace des animaux d’origine, des formes animalières passées. Cela lui permet donc d’étayer sa théorie en prouvant que toute trace du passé peut subsister dans le temps et jouer un rôle dans le présent.

« Dans celui [le domaine] de l’évolution animale, nous nous en tenons à la conception que les espèces les plus évoluées sont issues des plus primitives. »

  • Cependant, là encore, il reconnaît la limite de cette analogie ; chez la quasi-totalité des espèces, les animaux qui ont participé à l’évolution jusqu’à aujourd’hui ont disparu, et pour ceux qui ont survécu, ils ne sont en réalité que peu souvent les véritables ancêtres primitifs. 


II – La conservation du passé : règle de la vie psychique ?

1) Les impressions du passé conservées

  • On peut ainsi affirmer que la vie psychique ne fonctionne ni comme la vie animale, ni comme un lieu géographique : dans la vie psychique, le phénomène de conservation du passé semble bien plus présent que chez les animaux ou dans la construction d’une ville.

« Nous devons donc nous en tenir à cette constatation que la persistance de tous les stades passés au sein du stade terminal n’est possible que dans le domaine psychique, et que la claire vision de ce phénomène se dérobe à nos yeux. »

  • Freud en arrive alors à la conclusion que la vie psychique n’a aucun objet de comparaison assez fidèle qui permettrait de prouver toutes les théories que l’on peut construire à partir de l’être humain : pour choisir un objet de comparaison valable, il faudrait en choisir un qui n’aurait subi aucun traumatisme, à l’image de la psyché.

« La thèse de la conservation totale du passé n’est applicable à la vie de l’esprit que si l’organe du psychisme est demeuré intact. »

  • Cependant, même s’il manque de moyens de comparaison, il affirme que sa théorie est incontestable dans la vie psychique : il existe bel et bien une conservation de notre psyché.

2) La question de l’oubli

  • Freud rappelle d’abord que l’oubli ne doit pas être considéré comme une désintégration de ce qu’il appelle les « traces mnésiques ». Il en donne au contraire une toute nouvelle définition : l’oubli n’est pas le signe qu’un événement s’efface de notre mémoire à jamais, mais le signe que cet événement a été enregistré et conservé sous une autre forme.

  • Il devient donc évident pour lui que tout ce qui se forme dans la vie psychique est conservé : il n’y a ni perte, ni destruction, mais seulement conservation de ce qui s’est formé. Dès lors, toutes ces formes de pensées peuvent un jour resurgir sous n’importe quelle forme.

« […] rien dans la vie psychique ne peut se perdre […] »

  • Freud rappelle qu’il est néanmoins important de nuancer la thèse initiale, en montrant qu’il existe peut-être des éléments qui jouent plus ou moins favorablement sur la conservation intacte de la vie psychique, mais il se rattache toujours à sa théorie et appuie une chose : dans la vie psychique, la conservation du passé est la règle.

« Bornons-nous donc à formuler qu’en ce qui concerne la vie psychique, la conservation du passé est plutôt la règle qu’une étrange exception. »

Que retenir ?

  • Dans cet extrait, Freud insiste sur deux points essentiels. D’abord sur le droit à considérer qu’il existe bien dans toute forme la plus évoluée une trace, ne serait-ce qu’infime, du passé, et que cette trace subsiste et peut être exploitée.
  • Dans un deuxième temps, il ne nie pas la difficulté à comprendre cette mémoire de la conservation du passé, mais la renforce en créant sa nouvelle définition de l’oubli.

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