Russie

Nous te proposons aujourd’hui un article détaillé, présenté sous forme de cours, sur l’URSS de Staline entre 1924 et 1941. Tu verras que l’enjeu de la période est l’amalgame historique entre construction du socialisme et mise en place du stalinisme bureaucratique et despotique. L’historien Martin Malia parle pour cette période d’un « chemin qui ne fut pas pris ». Cette fiche s’inspire notamment de son livre La Tragédie soviétique : histoire du socialisme en Russie (1917-1991).

I. Staline succède à Lénine en plein débat théorique sur l’avenir de l’URSS, patrie du socialisme

1. À la mort de Lénine en 1924, le Parti est scindé par le débat à propos du futur mondial de la Révolution socialiste

Deux prétendants se distinguent : Ioseb Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, et Léon Trotski. Les deux hommes et leurs partisans s’opposent sur l’avenir de la Révolution. Trotski, figure centrale d’octobre 1917 et de la guerre civile, est le théoricien de la « Révolution permanente ». Pour lui, le parti du prolétariat ne peut pas se contenter de réformes agraires et démocratiques. Il est opposé à la NEP (Nouvelle politique économique), qui introduit la libéralisation économique, et préconise une économie centralisée et militarisée.

Selon lui, il faut aller toujours plus loin dans le socialisme. Staline est en tous points opposé à Trotski. En 1925, il considère qu’il faut poursuivre la NEP, qui commence à porter ses fruits. En outre, il ne partage pas l’idéal internationaliste de Trotski. Il estime ainsi qu’il faut ajourner la Révolution mondiale pour se focaliser dans un premier temps sur « la construction du socialisme dans un seul pays ».

2. La fragile URSS de 1924 face à de nombreuses menaces

L’URSS reste en 1924 la patrie du socialisme, isolée dans un monde hostile. La révolution a échoué à s’étendre en Europe (en Allemagne et en Hongrie par exemple) et en Orient avec la Conférence de Bakou en 1920. Surtout, en 1927, Tchang Kaï-chek trahit les communistes chinois au sein du front commun. Cette menace extérieure est rendue plus inquiétante par l’impréparation économique du pays. La NEP, axée sur l’amélioration des conditions de vie par l’accroissement des biens de consommation, délaisse le développement de l’industrie de base (sidérurgie, énergie, transports), qui accumule les retards.

Le problème principal est l’absence de financement dans le pays. Cela tient à l’absence de surplus agricoles. La production étant autoconsommée par les paysans pauvres ou stockée par les koulaks en fonction du niveau des prix. En effet, la NEP fait naître une menace intérieure pour la patrie du socialisme. Cette menace est une classe de petits entrepreneurs capitalistes opposés à la socialisation de l’économie que le Parti enclenche en 1927.

Dans les campagnes, ce sont les koulaks, riches propriétaires opposés à la politique de prix plafond sur les marchés agricoles. Dans les villes, ce sont les nepmen, petits patrons du commerce et de l’artisanat qui protestent contre la concurrence des grands magasins d’État (Gatsronom).

3. La thèse du repli national et le pragmatisme de Staline choisis en 1924

Staline n’est pas le favori en 1924, puisque Lénine l’a écarté dans son Testament (1922). Trotski a l’avantage d’apparaître comme le héros de la Révolution. Mais Staline contrôle l’administration du Parti. En 1922, Lénine pense l’écarter du pouvoir en créant un poste administratif soi-disant anodin : celui de « Secrétaire général du Parti ». Staline se retrouve alors chargé des nominations et des épurations au sein du Parti.

Il constitue alors une toute nouvelle bureaucratie (la « promotion Appel de Lénine »). Il la forme à partir d’un manuel rédigé par ses soins. Staline joue sur le soutien des cadres du Parti et sur l’image d’authentique héritier de Lénine qu’il se crée pour faire condamner ses opposants pour fractionnisme. Il utilise dans un premier temps la « troïka », qu’il constitue avec Zinoviev et Kamenev pour évincer Trotski. Cependant, Staline ne compte pas maintenir le trio. Zinoviev et Kamenev ne partagent pas ses vues et Staline les fait condamner.

II. La fondation originelle du « stalinisme » autour du projet de bâtir une Union soviétique économiquement forte

1. L’objectif prioritaire de la politique de Staline : la modernisation du pays

La première raison qui pousse Staline à moderniser le pays est la menace extérieure. Il adopte l’idée que le seul moyen de résister aux puissances capitalistes est de doter le pays de moyens militaires et économiques équivalents aux leurs.

L’autre enjeu de la modernisation est la constitution future d’une véritable société communiste. Pour lui, Lénine a réussi la révolution prolétarienne, mais les conditions matérielles du passage au socialisme sont encore impossibles, car la persistance des structures agricoles archaïques empêche l’abondance matérielle qui fera émerger une société sans classe ni État, et rend possible le retour d’une classe bourgeoise contre-révolutionnaire.

2. L’adoption par Staline de l’idée du monopolisme socialiste

Staline adopte donc l’idée d’une modernisation du pays par la concentration du pouvoir étatique sur l’industrie. Cette modernisation repose sur trois principes qui forment le « stalinisme ». D’abord, l’économie est planifiée par le Parti. Elle est indispensable comme la régulation par le marché est récusée. Les plans quinquennaux répartissent les ressources humaines et matérielles, fixent les quantités et les prix. Ces objectifs, souvent idéologiques, prévalent sur la réalité matérielle, économique et sociale du pays.

Ensuite, la priorité est donnée à l’industrialisation du pays. En effet, faute de moyens de production, l’industrie des biens de consommation est sacrifiée. En conséquence, le premier plan de 1928 y est entièrement consacré. Il fixe comme objectif principal d’augmenter de 50 % la production de l’industrie lourde nationale, en aménageant les grands bassins fluviaux et en recourant à l’aide étrangère. L’aide est notamment américaine, avec les tracteurs Ford, ou l’aide de l’ingénieur civil Hugh Cooper.

Enfin, la collectivisation obligatoire de l’agriculture est le corollaire de l’industrialisation du pays. La modernisation du secteur agricole doit permettre de financer les plans quinquennaux par exportation des produits et taxation des surplus. C’est l’autre grand pan du premier plan quinquennal, qui met un terme à la NEP en 1928, en réinstaurant le système des sovkhozes et kolkhozes.

3. Le bilan socio-économique du stalinisme à nuancer

Le succès industriel de la planification est indéniable. En 1932, les objectifs du plan de 1938 ont été largement atteints. L’industrie lourde progresse avec les deux autres plans quinquennaux jusqu’à la veille de la guerre, où l’URSS est devenue la troisième puissance industrielle mondiale.

La collectivisation est en revanche un désastre, selon l’économiste russe Barsov. En effet, la production de céréales régresse (de 20 à 25 %), ainsi que les têtes du cheptel (de 60 %). L’Ukraine, choisie pour essayer la collectivisation avant sa mise en place officielle en 1928, est ravagée par une terrible famine à l’hiver 1931-1932.

Le stalinisme aboutit quoi qu’il en soit au renouvellement des structures sociales. En effet, la mécanisation des terres provoque un gigantesque exode rural. Dans les villes, la population ouvrière triple sur dix ans et constitue un nouveau prolétariat urbain. Cette société naît dans des conditions matérielles extrêmement difficiles du fait des pénuries de nourriture, de biens de consommation et de logements.

III. La mise en place du régime totalitaire soviétique 

1. Staline devient le chef sans conteste du Parti

Il est le dirigeant qui fait du Secrétaire général du Parti le détenteur unique du pouvoir. Même si la Constitution de 1936 définit le Parti dans son ensemble comme le noyau dirigeant l’État, Staline accapare sa direction dès 1928. Il suspend le fonctionnement des instances et place ses organes exécutifs sous ses seuls ordres. Staline refuse toute concurrence au pouvoir et n’hésite pas à recourir aux purges pour asseoir son autorité.

Les années 1930 sont marquées par l’élimination des membres du Parti et de l’État menée par le NKVD. Les représentants économiques, les généraux de l’Armée rouge, les fonctionnaires en vue, et plus largement toute personne susceptible de lui faire de l’ombre, prennent part à un complot mythique impliquant les puissances capitalistes, monté de toute pièce.

L’épisode le plus marquant est celui des « Procès de Moscou » entre 1936 et 1938, qui aboutit à l’élimination des anciens Bolcheviks Kamenev, Zinoviev, Radec et Boukharine. Il légitime son despotisme sur la nécessité de conduire efficacement la modernisation et de protéger le pays de la menace étrangère. De même, le culte de la personnalité qui s’organise autour de lui porte cette image : « Staline » vient du mot russe « stal » qui veut dire « acier ».

2. Le Parti-État encadre la population

Le Parti s’impose dans les institutions sociales et politiques. La Constitution de 1936, « la plus démocratique du monde » selon Staline, établit des élections au suffrage universel auxquelles seuls les membres du Parti peuvent participer. Mais au-delà, émerge au sein du Parti une élite de fonctionnaires, la Nomenklatura, qui s’installe de façon permanente au sommet de la hiérarchie des carrières civiles.

L’égalitarisme au sein du Parti est oublié. Le militant n’est plus un ouvrier révolutionnaire, mais un technicien discipliné. La nouvelle classe ouvrière qui se constitue n’a plus rien à voir avec le prolétariat politisé de Lénine. C’est une classe ouvrière travailleuse et soumise à la discipline industrielle. Le « livret ouvrier » est remis en place et la durée minimum de travail hebdomadaire est étendue à 56 h.

L’État crée un état « d’émulation sociale », en recourant à une gamme de salaires incitatifs et en formant une élite ouvrière de choc, les oudarniks, chargés d’entraîner tous les travailleurs dans leur enthousiasme. La propagande s’intensifie, dressant le portrait de travailleurs héros, comme le mineur Stakhanov du Don, à l’origine du « stakhanovisme », ou la tractoriste Angelina.

3. L’idéologie justifie les répressions

Selon la Constitution de 1936, les libertés individuelles fondamentales sont garanties « sous réserve de ne pas nuire au développement du socialisme ». Elle définit en fait une « légalité socialiste » imprécise, que le Parti peut suspendre au profit de la terreur policière. Dans ce cadre naît la notion « d’ennemi du peuple », permettant alors de condamner sans autre jugement. La répression est particulièrement forte dans les campagnes.

La population paysanne s’oppose à la collectivisation des terres, le travail au kolkhoze leur rappelant le servage. Le koulak devient alors la bête noire de Staline. Le régime s’aliène la majorité du monde rural, qui ne s’intègre pas dans la société communiste, malgré la rédaction d’un Statut du kolkhozien en 37.

Au-delà des Procès de Moscou, la Grande-Terreur est une décennie obscure, où toute la population est inquiétée par les purges stalinistes. Soljenitsyne parle de « catastrophe ethnique » en évoquant la famine organisée en Ukraine en 1931, ou la déportation des koulaks en Sibérie.

C’est la fin de cette fiche. Tu retrouveras ici le chapitre précédent, abordant l’institutionnalisation de la révolution socialiste par Lénine. Si tu souhaites consulter d’autres articles de ce type, ou plus largement ayant un rapport avec la prépa littéraire, rendez-vous ici !