« Nous allons remporter la bataille contre la Chine », a lancé Donald Trump au sommet du dernier G7 à Biarritz. Ce genre de déclaration marque l’actualité depuis plus d’un an. En effet, Trump n’a pas attendu d’être président des États-Unis pour s’en prendre à l’empire du Milieu, c’est même un habitué de l’exercice. En 2016, il accusait Pékin « de violer les États-Unis » et d’être le « plus grand voleur de l’histoire du monde. »

Devenue en 2009 le premier exportateur de la planète, avant de ravir aux États-Unis son titre de première économie mondiale en 2014, la Chine semble se dresser entre Donald Trump et son désormais célèbre « Make America great again ». Le président américain n’a donc pas hésité à sanctionner la Chine en taxant certains produits arrivant sur le territoire. Depuis, les mesures bilatérales fusent…

Des mesures drastiques contre un échange dit inégal

Panneaux solaires, iPhone, soja, viande de porc, jouets, vêtements, pianos, pneus, rouges à lèvres… Des conteneurs chargés de biens en tout genre circulent sans interruption entre les deux pays. Or, le milliardaire ne cesse de répéter que cette relation est asymétrique. En commerçant avec la Chine, les États-Unis « perdent de l’argent », martèle-t-il. Pour contrer cette extorsion, les États-Unis ont entamé une guerre en taxant à hauteur de 25 % les importations d’acier et 10 % pour l’aluminium. Dans la foulée, Trump a ajouté que 1 300 produits chinois seront taxés. Pékin a contre-attaqué en dévoilant une liste de 128 produits américains taxés en retour. Huit d’entre eux à hauteur de 25 % (l’aluminium de récupération, les produits à base de porc…), tandis que le vin américain, les pommes, les baies ou encore les amandes prennent 15 %. Taxes et contre-taxes, voici le jeu des deux grandes puissances qui dure depuis plus d’un an.

Une croisade dénuée de sens

Dans les années 1990 et 2000, la croissance du commerce international s’explique par la fragmentation des processus de production. Ce déploiement mondial de la chaîne de valeur a été favorisé par la libéralisation du commerce et des investissements. Les pays industrialisés ont délocalisé dans les pays à bas salaires les tâches les plus intensives en main-d’œuvre, et les pays émergents se sont spécialisés dans l’assemblage de composants importés en franchise de droits de douane et transformés dans des zones franches d’exportation. Mais aujourd’hui, Donald Trump, avec ses mesures, vise à désintégrer la chaîne de valeur pour la réintégrer aux États-Unis. Il persiste à envisager des sanctions contre la Chine au nom de son déficit commercial colossal (environ 300 milliards de dollars).

Pourtant, prendre le solde commercial bilatéral comme une preuve de déloyauté n’a aucun sens. Seul compte le déficit avec le reste du monde, et celui-ci est avant tout imputable à l’excès de consommation des ménages américains, qui accroît les importations. Au niveau macro-économique, la balance courante d’un pays est en effet mécaniquement déficitaire lorsque l’épargne nationale ne suffit pas à couvrir à la fois l’investissement et le déficit budgétaire. Quelles que soient les mesures protectionnistes qui seront prises, ce déficit devrait s’aggraver avec le creusement attendu de son « jumeau », le déficit budgétaire. Le déficit avec la Chine ne se convertit ni en PIB ni en emplois perdus et la valeur ajoutée des exportations chinoises n’est pas uniquement d’origine chinoise. Elle intègre des composants et des biens intermédiaires non seulement américains, mais aussi japonais, coréens, allemands…

Un solde commercial qui serait calculé à partir de l’origine de la valeur ajoutée, et non de la valeur « brute » des exportations, diminuerait fortement le déficit bilatéral avec la Chine, grand importateur de biens intermédiaires (disques durs, circuits électroniques…) qu’elle assemble puis exporte. Le projet de taxer 50 milliards d’importations chinoises revient donc à taxer des produits intermédiaires originaires du monde entier (et même des États-Unis !) et pas seulement la production chinoise.

En filigrane, c’est la fin de l’hégémonie américaine dont il est réellement question. Depuis 1980, trois points de croissance minimum séparent Pékin et Washington grâce au commerce extérieur, lui-même subventionné par la sous-évaluation du taux de change du yuan (de l’ordre de 50 à 60 %), pierre angulaire de la stratégie chinoise. De plus, la Chine est reconnue pour sa capacité à innover de façon incrémentale et pour ses cycles rapides de prototypage de développement produit. Les nouveaux géants, comme Alibaba, Tencent, Huawei et Haier continuent de gagner des parts de marché et sont plus attractifs que les firmes de la Silicon Valley. En bref, l’économie chinoise surpasse l’économie outre-Pacifique et cela n’est pas près de s’arrêter, même si les Américains luttent.

Une baisse du commerce mondial comme conséquence

Il est difficile de quantifier les effets des tensions commerciales sur les flux commerciaux effectifs étant donné qu’ils dépendent de la nature des mesures proposées et du fait de savoir si elles seront réellement mises en œuvre ou si elles ne sont que de simples menaces. Les annonces peuvent avoir de réelles incidences et déboucher sur un accroissement de l’incertitude et une baisse de l’investissement. Les économistes de l’OMC ont tenté de quantifier l’incidence économique à moyen terme d’un conflit commercial à plus large échelle, dans lequel la coopération internationale en matière de droits de douane s’effondrerait totalement et tous les pays imposeraient des droits de douane de manière unilatérale. D’après leur analyse, ce scénario du « pire » entraînerait un recul du PIB mondial en 2022 d’environ 2 % et une contraction du commerce mondial de quelque 17 % par rapport aux projections de base. À titre de comparaison, le PIB mondial a diminué d’environ 2 % et les échanges mondiaux ont perdu quelque 12 % en 2009 après la crise financière. D’autres risques pesant sur les perspectives commerciales sont plus difficiles à quantifier. Par exemple, les effets du Brexit dépendront de la nature de l’accord auquel pourraient parvenir le Royaume-Uni et l’Union européenne, mais devraient surtout se limiter à ces économies. Une baisse de l’investissement au Royaume-Uni est probable dans la plupart des scénarios prévisibles du Brexit, ce qui entraînerait une diminution de la capacité de production avec le temps.

Ce qui est sûr, c’est que les taxes américaines et chinoises ne freinent pas seulement les deux industries, mais bien l’ensemble de la production mondiale (en raison des chaînes de valeurs mondiales comme expliqué ci-dessus). Par conséquent, le volume des marchandises échangées croît plus lentement. Selon le rapport de l’OMC d’avril dernier, la croissance du volume des échanges de marchandises devrait tomber à 2,6 % en 2019, contre 3 % en 2018. La croissance du commerce devrait continuer à baisser – l’OMC prévoit 2,1 % pour 2020 – si les tensions commerciales persistent. La croissance du PIB mondial à 3 % témoigne également de ces tensions et de la contraction des échanges mondiaux. Si 3 % de croissance à l’échelle du monde semble être à première vue une belle performance par rapport à la croissance européenne, rappelons que celle-ci est en temps normal portée par les émergents et les grandes puissances industrielles au-delà des 4 % hors périodes de crise.

Conclusion

Avec une ORD (Organisation de règlement des différends) de l’OMC vide de ses membres et sans pouvoir, une relance de la croissance par la régularisation des comportements des géants de ce monde semble peu probable d’ici les trois prochaines années. Pourtant, la santé économique du monde entier dépend de ces conflits. Comme l’OMC le rappelle dans un rapport récent, « toute amélioration potentielle dépend d’une atténuation des tensions commerciales ». La bataille devrait désormais se poursuivre sur le partage du marché européen, terre d’expression des conflits du Pacifique.