Depuis la crise de 2008, les projecteurs sont braqués sur les paradis fiscaux. Le récent scandale des Panama Papers (2016) n’a fait que confirmer l’ampleur du phénomène. Quel est l’avancement des mesures depuis la crise ?

Quelques notions

Paradis fiscal : territoire caractérisé par 1) une fiscalité très attractive pour les entreprises ; 2) une législation favorable au secret bancaire ou des affaires ; 3) des infrastructures en communication et technologies de l’information développées ; 4) une politique de communication active auprès des investisseurs en tant que centre financier offshore ; 5) une bonne gouvernance qui assure aux fonds logés dans les paradis fiscaux d’y être en sécurité. Les 4 derniers critères sont aussi cruciaux que le premier. Par exemple, la Hongrie, qui offre un taux d’imposition sur les sociétés de 9%, n’est jamais retenue comme paradis fiscal parce qu’elle ne respecte pas les autres critères (et notamment celui de la bonne gouvernance, en raison d’une forte instabilité politique). La détermination des paradis fiscaux est toutefois sujette à controverse, tant ces critères sont flous (les seuils retenus sont arbitraires).

Fraude fiscale ou optimisation fiscale ? Dans tous les cas, on parle d’évasion fiscale. Si cette évasion fiscale est « légale », on parle d’optimisation fiscale. Si elle est illégale, on parle de fraude fiscale.

En bref, comment cela fonctionne-t-il ?

Les FTN ont recours à des prix de transferts. Cela signifie qu’entre des différentes filiales d’une FTN, les marchandises sont échangées à des prix très faibles, couvrant tout juste les coûts de production. Or, cela permet aux FTN de faire apparaître leur profit à l’endroit qu’elles souhaitent, et notamment dans un endroit où la fiscalité est très élevée. Par exemple, supposons qu’une FTN possède sa maison mère dans un pays A, une unité intermédiaire dans un pays B (avec une fiscalité très faible) et une unité productrice dans un pays C. L’unité du pays C peut revendre la marchandise au coût de production à celle du pays B, et ce faisant, la FTN ne fait apparaître aucun profit dans le pays C, et y paiera peu d’impôts. Puis, l’unité du pays B revend sa marchandise à un prix plus élevé au pays A (qui commercialisera le produit au prix où elle l’a acheté à l’unité du pays B). Le profit apparaîtra alors dans le pays B, qui possède une fiscalité avantageuse : finalement, la FTN a payé très peu d’impôts, beaucoup moins que si elle avait fait apparaître son profit dans le pays A.

Quelques chiffres

Gabriel Zucman (2014) a évalué qu’en 2013, environ 20% des profits américains, étaient logés dans les principaux paradis fiscaux, que 10% de la richesse des ménages européens y était placée et qu’au total, c’était 10% du PIB mondial qui y séjournait. Il également estimé qu’environ 8% du patrimoine financier des ménages dans le monde en 2008 était détenu dans les paradis fiscaux, et que les ¾ de ce patrimoine ne seraient pas déclarés.

Selon les études de Lane et Milesi-Ferretti (2011), approximativement 40% des investissements directs étrangers dans le monde passeraient par des paradis fiscaux. Par exemple, en 2011, 30% des IDE vers l’Inde venaient de l’île Maurice et 60% des IDE vers la Chine venaient de Hong Kong et des îles vierges.

Les mesures récentes

En décembre 2012, sous la pression de la société civile, et à la suite de la crise, le G20 s’est réuni au Mexique et a donné son soutien à l’OCDE et à son plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices des multinationales. Le programme consiste en une série de 15 actions précises reposant sur une coopération multilatérale entre gouvernements, afin que l’impôt soit collecté à l’endroit où l’activité économique a vraiment lieu.

Cette initiative a permis quelques avancées concrètes :

  • Une directive européenne a rendu obligatoire, depuis 2015, la publication par les banques européennes d’un rapport annuel d’activité par pays qui renseigne sur le nombre de filiales, et le nombre d’employés et le chiffre d’affaires de chaque filiale. Cette exigence de transparence ne concerne toutefois toujours pas les multinationales non financières, qui mènent une résistance active. Ainsi, en France, le 8 décembre 2016, le conseil constitutionnel a retoqué la directive européenne obligeant les multinationales française a publier leurs données financières, jugeant qu’elle portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
  • L’OCDE cherche également à rendre obligatoire pour chaque entité des FTN le dépôt d’une déclaration sur leur activité à leur administration fiscale de résidence (aujourd’hui, les autorités fiscales n’ont aucune visibilité sur l’activité des filiales dont la maison mère est dans leur pays). Ces informations sont ensuite transférées entre tous les pays dans lequel le groupe est implanté, dans le cadre d’accord bilatéraux. Les premiers « échanges automatique d’informations » (AEOI) ont eu lieu en septembre 2017 entre 56 pays (42 pays supplémentaires à partir de 2018). Toutefois, certains auteurs critiquent ces accord, estimant que cela serait inefficace, car les transferts seraient simplement redirigés vers des paradis fiscaux n’ayant pas signé ces accords bilatéraux.
  • Les pays ont également recours à une « liste noire » et une « liste grise » informelles sur les juridictions non coopératives dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (depuis 2000). Mais elle est jugée peu efficace dans l’influence des comportements des FTN.
  • La mesure qui pourrait se révéler la plus efficace est celle initiée par la Commission européenne en 2011, et relancée en 2016 : l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt (ACCIS). Les sociétés multinationales ayant une activité dans l’Union et dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros par an ne rempliraient qu’une seule déclaration fiscale consolidée pour l’ensemble de leurs activités dans les différents pays de l’Union où elles sont installées. Ensuite, les résultats imposables seraient répartis par pays en fonction de l’activité du groupe dans chaque pays, c’est-à-dire en fonction des ventes réalisées, du nombre de salariés, ou des actifs détenus par pays. L’objectif est encore une fois de taxer les bénéfices là où ils sont vraiment réalisés et non là où la fiscalité est la plus favorable. Mais certains membre opposent de fortes résistances, comme l’Irlande et le Luxembourg, qui n’ont pas intérêt à cette consolidation des bénéfices. Or, dans l’UE, une réforme fiscale nécessite l’unanimité des membres.

La route est encore longue

Les mesures restent clairement insuffisantes. Tout d’abord, il faut que l’exigence de transparence s’applique aussi aux secteurs non financiers. Pour l’instant, la volonté politique n’est pas suffisante, notamment à cause de la pression de certains acteurs (les FTN) et de la réticence de certains Etats à mettre en place des mesures fortes. Le chantier est encore ouvert pour la lutte contre les paradis fiscaux.

Pour approfondir

Un article Major-Prépa sur le scandale des Panama Papers et le problème des paradis fiscaux

Un article du Point sur l’actualité du projet d’ACCIS

Et du Figaro

Un autre sur l’AEOI

L’excellent ouvrage qui a appuyé ce résumé d’article

Réalisé à partir d’un article original d’Anne-Laure Delatte.

Révise efficacement ton ESH avec nos autres articles 🙂