Le 1er juillet 2018, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a été élu Président du Mexique. A la tête du Mouvement de Régénération Nationale (MORENA), il a su convaincre les Mexicains avec un programme ambitieux dans des domaines-clés tels que la lutte contre le trafic de drogue, les violences, la pauvreté, la corruption… Son investiture, ce 1er décembre, peut donc radicalement bouleverser la société mexicaine et les relations internationales. Une mise au point s’impose.

Qui est AMLO ?

Un parcours ancré à gauche de l’échiquier politique

  • 1976-1989 : militant de l’aile gauche du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). Mais, le parti s’oriente de plus en plus vers une idéologie néolibéraliste de centre-droite.
  • 1989 : participe à la création du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), issu d’une scission avec le PRI.
  • 1996-2000 : président du PRD, qui devient alors la 2ème force politique du pays et s’impose dans la ville de Mexico.
  • 2000-2006 : chef de gouvernement de la ville de Mexico.
  • 2012 : fonde MORENA pour soutenir sa campagne lors des présidentielles. Le vaste mouvement populaire obtient le statut de parti politique en 2014. AMLO le veut indépendant, honnête et démocrate.

Plusieurs tentatives aux présidentielles

  • 2006 : candidat de la Coalition pour tous (PRD, Parti du Travail et Convergencia). Il perd de très peu les élections, après plusieurs litiges et controverses. Felipe Calderón (PAN) devient alors président du Mexique.
  • 2012 : candidat du Mouvement Citoyen (un parti progressiste). Il termine, à nouveau, deuxième des élections derrière Enrique Peña Nieto (PRI).
  • 2018 : candidat à la tête de MORENA, il est élu avec un score historique de 53,2%. Les Mexicains, n’ayant pas vu leur quotidien de violence et de corruption changé, ont décidé de miser sur un programme disruptif : celui de AMLO. En effet, il a fait preuve de lucidité en proposant une approche différente pour résoudre les problèmes endémiques auxquels le Mexique fait face.

Quelles perspectives pour les propositions d’AMLO ?

La lutte contre le trafic de drogue et la violence

Les gouvernements mexicains ont longtemps été accusés d’attentisme face au trafic de drogue. Toutefois, avec l’élection de Felipe Calderón en 2006, la donne a rapidement changé. Le président de l’époque envoie, dès son investiture, plus de 5 000 militaires dans l’État du Michoacán. La “guerre de la drogue” est alors lancée : l’armée est pour la première fois directement impliquée dans cette lutte. La militarisation croissante des opérations est justifiée par le corruption systémique des forces de l’ordre fédérales, qui empêche l’éradication du trafic et des cartels. Peu à peu, les conflits éclatent dans tout le pays et les morts se multiplient. L’opinion publique fait, logiquement, pression sur les autorités tandis que le nombre de morts s’accroît de façon alarmante et touche toutes les couches de la société civile. Sous le mandat de Peña Nieto, la violence ne faiblit pas malgré l’arrestation de plusieurs dirigeants de cartels (El Chapo en 2014 par exemple).

AMLO a remarqué que répondre à la violence par la violence ne fonctionnait pas au Mexique. Les problèmes ne faisaient que s’amplifier, les cartels s’essaimaient et cela générait encore plus de violences, une guerre civile perpétuelle… Il a donc ouvert le débat de la légalisation de la drogue et de la création d’une période “de transition” vers la paix. Ainsi, dans le but d’apaiser la société et reprendre le contrôle des territoires gangrenés par les violences, le futur président a proposé une amnistie, des réductions de peine pour les condamnés, la création de commissions d’investigation… et a surtout insisté sur la démilitarisation progressive du pays (lorsqu’il s’agit de questions de politique intérieure). Pour AMLO, combattre efficacement le crime se ferait par le biais d’une politique sociale forte. L’idée n’est pas de faire un pacte avec les cartels (ou le diable ?) mais d’engager un processus de réconciliation nationale qui aboutirait à un consensus social réfléchi. Etre clément avec ceux – mulas (qui transportent la drogue), halcones (qui font le guet), paysans producteurs de pavot… – ayant été oubliés par les lois et les réinsérer dans la société, en somme. Alfonso Durazo, futur secrétaire à la sécurité publique, aura la dure tâche de coordonner ces politiques.

Officieusement, il est clair qu’AMLO a compris que tant que la demande sera présente, les flux de drogue, qu’ils soient légaux ou non, se maintiendront inévitablement. Comme violence et drogue sont intrinsèquement liées, la question de la légalisation du cannabis et du pavot à opium se pose. Toutefois, le débat n’est pas nouveau : des propositions avaient été formulées au début des années 2000 et l’utilisation du cannabis à des fins médicinales a même été autorisée en 2017. Dans l’Etat de Guerrero, des discussions ont déjà été entamées dans cette direction. La légalisation de la production permettrait aux paysans qui ne peuvent vivre que de ce revenu – et qui le font, aujourd’hui, dans l’illégalité et sous la pression des groupuscules criminels – de régulariser leur situation, en plus de réduire la pauvreté et de renforcer l’économie locale. Cette mesure, couplée à l’amnistie, pourrait à terme désengorger les prisons et donc réduire les dépenses publiques.

Il faudra, prochainement, être attentif aux mesures relatives à la sécurité publique qu’AMLO continue de dévoiler au compte-gouttes.

La pauvreté

Avec une faible redistribution des richesses, le taux de pauvreté mexicain n’a quasiment pas évolué depuis 20 ans. Malgré les programmes sociaux mis en place sous le mandat d’Enrique Peña Nieto, les inégalités socio-spatiales n’ont quasiment pas diminué. Pire encore, de nombreuses études montrent que l’augmentation des salaires au Mexique est beaucoup plus lente qu’en Chine, à tel point que le salaire moyen chinois dépasse déjà le salaire moyen mexicain. D’un autre côté, les disparités de richesse influent grandement sur le système éducatif. Selon le très récent rapport PISA 2018 (OCDE), ces inégalités diminueraient au Mexique mais représenteraient encore une différence équivalente à 2 années de scolarité.

Plusieurs facteurs expliquent ces phénomènes : corruption et capitalismo de cuates (crony capitalism ou capitalisme entre “potes”). Jonathan Heath, nommé sous-directeur de la banque centrale mexicaine par AMLO, a pris en considération ces problèmes et compte les combattre. Ainsi, il prévoit d’augmenter “agressivement mais pas de façon illogique” le salaire moyen, de s’inspirer de modèles de transition comme, par exemple, le modèle chinois pour augmenter le pouvoir d’achat aujourd’hui très bas…

Les relations internationales

Les relations avec les États-Unis ont été plus que tendues ces dernières années, depuis l’arrivée de Trump au pouvoir.

Après plus d’un an de négociations, l’AEUMC a été conclu. Très proche de l’ALENA, ce nouvel accord illustre la domination des États-Unis dans les rapports de force internationaux. Un point est, cependant, particulièrement alarmant. Les États-Unis ont réussi à inclure une clause qui empêche le Mexique et le Canada de conclure tout accord commercial avec un pays dont l’économie n’est pas “de marché”. Par conséquent, Trump a gardé la mainmise sur les relations économiques de ces associés, aux dépens de la Chine. Le Mexique pourra-t-il encore compter sur l’Alliance du Pacifique (Chine, Chili, Colombie, Pérou) pour approfondir les relations trans-pacifique et l’intégration de ce nouveau bloc commercial ?

AMLO a formulé son point de vue sur les relations mexicaines vis-à-vis des États-Unis. Lors des rencontres entre les délégations des deux pays, AMLO a fait comprendre que les Etats-Unis devaient coopérer avec l’Amérique Centrale. Néanmoins, il refuse tout type de mesure coercitive telle que la barriérisation de la frontière tant attendue par les électeurs de Trump. Il considère qu’elles ne vont résoudre aucun problème, simplement les repousser voire les intensifier. Par conséquent, il a appelé les Etats-Unis à participer au développement de la région via des investissements et à approfondir la coopération en matière de trafic de drogue. La première proposition solutionnerait le problème de l’immigration clandestine puisqu’elle créerait des opportunités aux populations d’Amérique Centrale. Ainsi, AMLO se détache de la politique de son prédécesseur, Enrique Peña Nieto, qui avait renforcé les contrôles et la politique sécuritaire à la frontière américaine. Mais, les tensions ont été ravivées par la récente entrée sur le territoire mexicain de la “caravane” de migrants en provenance du sud. Plus ces 3000 migrants avancent vers les Etats-Unis, plus Trump menace de fermer la frontière, d’envoyer des forces armées et d’annuler l’AEUMC. Une “crise migratoire” selon les hommes politiques états-uniens face à une volonté de faire valoir les droits de ces personnes de l’autre côté…

De l’art de nuancer (matizar) ses propos aux concours

Pour éviter une potentielle idéalisation du personnage qu’est AMLO, voici quelques remarques à prendre en compte :

  • la tentation de modifier la Constitution à l’image d’Evo Morales en Bolivie. En effet, la Constitution mexicaine empêche les présidents de se présenter à nouveau pour un deuxième mandat. AMLO pourrait être tenté de la changer. Ce risque est d’autant plus crédible qu’AMLO est le premier président à détenir la majorité au Sénat et à la Chambre des Députés.
  • sa popularité ne justifie pas ses actions. La critique est un procédé nécessaire en démocratie. Sans elle, la société tomberait dans l’euphorie d’un président idéalisé, au point de créer un malaise social à long terme. AMLO doit agir par le consensus. Pour l’instant, il le promet. Qu’en sera-t-il plus tard ?
  • les fonctionnaires mexicains privilégiés sont-ils prêts à changer et délaisser une partie de leurs avantages ? AMLO a promis de combattre la corruption et donc de s’attaquer aux fonctionnaires qui touchent de l’argent illégitime. Aura-t-il la force de changer la culture et la tradition de tout un service ?

Attention à ne pas trop spéculer. Les cartomanciens n’ont généralement pas beaucoup de succès aux concours.