L‘industrie nucléaire inclut l’ensemble des procédés de transformation et des acteurs industriels qui utilisent les propriétés du noyau atomique. Dans le domaine civil, elle regroupe les activités liées notamment à l’exploitation des mines d’uranium, la fabrication de combustible nucléaire (dont l’enrichissement de l’uranium) ou encore la construction et l’exploitation de centrales nucléaires.

La production d’électricité liée à ces centrales représentait en 2011 un peu plus de 12% de l’électricité mondiale, et 5,3% de l’énergie totale consommée dans le monde. Pour analyser les tendances du nucléaire civil, cet article va d’abord se focaliser sur la France, l’évolution du parc et les différents acteurs impliqués, puis sur le parc nucléaire mondial et les enjeux qui y sont liés.

Le nucléaire en France 

Les débuts

En 1939, les chercheurs français avec à leur tête par Frédéric Joliot-Curie au sein du collège de France déposent 3 brevets traitant de la production d’énergie à partir d’uranium et du perfectionnement des charges explosives. Pendant la seconde guerre, les travaux sont suspendus. Le stock d’eau lourde (du H3O, modérateur utilisé pour ralentir les neutrons et permettant la fission de l’atome d’uranium) est déplacé au Royaume-Uni et le stock d’uranium au Maroc.

Après la guerre, F. Joliot-Curie est directeur du CNRS puis haut-commissaire du CEA (Commissariat à l’énergie atomique créé en 1945). Il supervise la construction du premier réacteur nucléaire français : la pile Zoé en 1948.

La constitution d’un parc nucléaire

Après le succès des réacteurs expérimentaux de Marcoule, EDF est chargée de mettre en place le programme avec des réacteurs du même type : UNGG (Uranium Naturel Graphite Gaz). De 1966 à 1971, 6 réacteurs sont mis en service : 3 à Chinon, 2 à Saint-Laurent et 1 à Bugey. La puissance passe ainsi de 70MW pour le premier à 570MW pour Bugey. Puis sur décision du gouvernement en 1969, la filière UNGG est abandonnée au profit de la filière américaine REP (Uranium enrichi et eau sous pression). Deux sociétés vont alors s’affronter dans cette « guerre des filières » : Framatome exploitant le brevet Westinghouse et CGE exploitant celui de General Electric.

On observe suite au conflit israélo-arabe et au choc pétrolier une accélération du programme électronucléaire français, avec notamment le plan du premier ministre Pierre Messmer en 1974 qui prévoit la construction de treize réacteurs en deux ans, et fait ainsi le choix du tout-nucléaire. Les commandes sont d’abord réparties entre les deux fournisseurs mais suite à une augmentation du devis, EDF annule la commande à CGE pour ne retenir qu’un seul fournisseur. Parallèlement, le décret du 8 septembre 1977 autorise la création d’une usine d’enrichissement de l’uranium implantée sur le site nucléaire de Tricastin. Le combustible usé est retraité à la Hague, grâce à la modification de l’usine pour accueillir les déchets de la filière REP.

Quel parc nucléaire aujourd’hui ?

On dénombre en France 58 réacteurs en fonctionnement de type REP (Réacteur à Eau pressurisée) :

  • 32 tranches 900MW: les plus anciens réacteurs ont bientôt 40 ans.
  • 20 tranches 1300MW : les plus anciens viennent de passer 30 ans.
  • 4 tranches 1450MW : 20 ans de fonctionnement en 2019.
  • 1 tranche 1600MW en construction sur le site de Flamanville : il s’agit de l’EPR (European Pressurized Reactor puis Evolutionary Power Reactor).

Le complexe nucléo-industriel français se démarque par sa solidité. Avec 220 000 salariés et 2500 entreprises, la filière nucléaire est la 3e filière française derrière l’aéronautique et l’automobile. La France s’illustre comme le 1er exportateur mondial et biens et services dans le nucléaire. De plus, chaque segment du secteur est monopolisé par une entreprise :

  • EDF est l’exploitant exclusif des réacteurs nucléaires français et premier exploitant au monde. Il a le statut de société anonyme à capitaux publics. L’Etat est actionnaire majoritaire à 83%.
  • AREVA NC, anciennement Cogema, filiale à 100% de la multinationale française Areva, est une entreprise spécialisée dans les activités liées au cycle combustible (exploitation de mines, production et enrichissement, traitement et recyclage des combustibles usés, assainissement et démantèlement des installations).
  • Alstom en charge des turbo-alternateurs.

Enfin, parmi les acteurs, on compte l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui assure les missions, au nom de l’Etat, de contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection (pour les travailleurs du nucléaire, l’environnement et les populations locales) et de l’information des citoyens.

Quel avenir pour le nucléaire français ?

A court terme, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim est quasi-certaine en raison de la loi de transition énergétique. L’objectif affiché du gouvernement est de réduire la part du nucléaire à 50% en 2025 (contre 75% aujourd’hui, mais seulement 12% au niveau mondial…). Le nucléaire français connaît également un renforcement des normes de sécurité suite au tsunami du 11 mars 2011 à Fukushima, provoquant un accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle internationale INES. L’ASN a par conséquent prescrit la création de sources électriques et de refroidissement supplémentaires dans les centrales, et la prise en compte d’un séisme de référence plus élevée pour les installations.

La fermeture des sites les plus anciens ou de ceux nécessitant le plus de travaux pour atteindre les nouveaux référentiels de sûreté est donc probable. Par exemple, les travaux de modification pour prolonger de 10 ans l’exploitation d’un réacteur 900MW requièrent plusieurs centaines de millions d’euros. EDF attend donc de la part du gouvernement de la visibilité avant d’engager de telles sommes sur les réacteurs concernés.

La question du renouvellement du parc se pose également. Les EPR sont estimés trop puissants, chers et longs à construire pour remplir ce rôle, ils pourraient donc laisser place à des réacteurs plus petits.

Le nucléaire dans le monde

La première vague de commandes de centrales nucléaires a eu lieu dans les années 60, principalement aux Etats-Unis. Cependant, l’enthousiasme pour le nucléaire ne date réellement que de l’après choc pétrolier. La technologie étant disponible, les délais de construction étaient courts et la production d’électricité nucléaire a par conséquent beaucoup augmenté en peu de temps. Les années 80 ont été moins fastes : l’accident de Three Miles Island aux Etats-Unis en 1979, même s’il n’a pas causé de dégâts en-dehors de la centrale, a renforcé l’influence des groupes de pression antinucléaires. De plus, le contre-choc pétrolier de 1985 a fortement diminué l’avantage compétitif du nucléaire face aux hydrocarbures, et l’accident de Tchernobyl de 1986 n’a guère inversé la tendance.

Les pays consommateurs d’hydrocarbures ont toutefois été plusieurs à se tourner vers la seule énergie alternative envisageable pour diminuer la vulnérabilité de leurs approvisionnements énergétiques : le nucléaire.

La production nucléaire a globalement augmenté depuis cette période. Fin 2016, l’énergie nucléaire contribuait à 11% de la production mondiale d’électricité. On recensait alors 449 réacteurs en exploitation dans 31 pays. Les Etats-Unis sont en tête avec 104 réacteurs, dont 73 peuvent être exploités jusqu’à 60 ans. La France et le Japon sont proches, avec un redémarrage progressif des réacteurs japonais arrêtés après Fukushima. Parmi les autres producteurs, on trouve la Corée du Sud, le Canada, l’Inde, la Chine ou encore le Royaume-Uni.

Les pays qui démarrent ou souhaitent démarrer un programme sont la Turquie, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite ou encore la Pologne. La balance est positive en faveur des pays qui s’engagent dans le nucléaire civil. Selon les prévisions, ils seront 36 en 2040. Ce succès durable du nucléaire est dû à la difficulté à le remplacer par d’autres énergies alternatives (éolienne, solaire, hydroélectricité, biomasse), son coût assez faible et stable par rapport aux hydrocarbures, ainsi que la hausse à venir de la demande en électricité – vouée à doubler d’ici 2025 selon l’Energy Information Administration des Etats-Unis.

Les vifs débats sur le recours au nucléaire civil n’ont connu d’échos que dans quelques pays comme l’Allemagne (qui n’a plus que 9 réacteurs en fonctionnement), la Suisse et l’Italie où l’opinion publique a fait pression sur les gouvernements pour la fermeture des réacteurs.

Si les plus grands parcs actuels se trouvent majoritairement dans les pays développés, on constate que les constructions de réacteurs ont lieu dans les pays émergents. La Chine en a par exemple 30 en construction et 50 en projet – d’ici 2040, il est prévu qu’elle soit largement devenue la première puissance nucléaire mondiale en capacité installée. Elle bénéficie d’un accès aisé aux sources de financement, de transfert de technologie venant de partenariats industriels internationaux et de l’absence de mouvements d’opinion de grande ampleur. De plus, elle mobilise le nucléaire comme « énergie propre » dans sa lutte contre le réchauffement climatique.

L’exportation nucléaire connaît les mêmes bouleversements. Les pays émergents s’immiscent dans ce secteur largement dominé par le français Areva, l’américain General Electric et l’américano-japonais Toshiba-Westinghouse : des groupes coréens, chinois ou encore russes qui constituent de rudes concurrents dans un marché où l’arbitrage se fait entre technologie, sûreté mais aussi attractivité des prix.

En 2009 par exemple, l’entreprise sud-coréenne Kepco signe un contrat pour la construction de 4 réacteurs nucléaires aux Emirats Arabes Unis, remportant l’appel d’offres face à EDF-GDF Suez-Areva-Total. A la même période, les deux grands acteurs chinois CGN et CNNC se lancent dans la construction de réacteurs avant de les proposer à l’export, notamment au Pakistan, en Roumanie et en Argentine.

Les enjeux de sûreté du nucléaire sont également centraux. L’avenir même du nucléaire est menacé si un accident se produit quelque part dans le monde, d’où la nécessité d’une culture de sûreté des exploitants, d’autorités compétentes et de la volonté de ne pas sacrifier la maintenance, même en cas de coupe budgétaire. Il faut toutefois noter que l’effet Fukushima a été limité : si la consommation a chuté entre 2010 et 2012, elle a repris et s’est stabilisée en 2014 au niveau atteint au début des années 2000. L’accident a surtout entraîné des campagnes de modifications pour éviter tout renouvellement. Enfin, les risques sécuritaires peuvent être évoqués via la question de la prolifération nucléaire : les installations d’enrichissement de l’uranium par centrifugation, utilisées dans le monde pour le nucléaire civil, permettent d’obtenir n’importe quel taux d’enrichissement (dont le fameux taux situé entre 80 et 99% du nucléaire militaire !). Il faut donc contrôler l’activité des usines déclarées et veiller à ce qu’il n’y ait pas de programmes clandestins.

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