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Un monde sans inflation. C’est bien ce que proposait comme sujet l’épreuve construite par le duo ESCP/Skema aux écrits d’ESH de la session 2021. Jusqu’alors, les taux d’inflation de la majeure partie des pays du monde frôlaient les 0 % et l’inflation — la hausse durable et généralisée du niveau des prix des biens et des services — ne semblait plus qu’être un lointain souvenir. Ce constat était dressé en s’appuyant sur les analyses de Michel Aglietta dans un précédent article publié par Major-Prépa. C’était toutefois sans compter sur la pandémie, qui a notamment contribué à remettre le sujet de l’inflation au centre du débat économique.

La pandémie, génératrice d’inflation

L’inflation aux États-Unis atteignait +5,4 % en juillet 2021 par rapport à juillet 2020 d’après Statista, soit l’une de ses plus fortes augmentations depuis les années 1990. La congestion des chaînes de valeur globales (c.-à-d. les chaînes d’approvisionnement) et l’arrêt brutal d’usines ont causé de nombreuses pénuries, générant des hausses de prix conséquentes. Il s’agit là de la conséquence logique d’un effondrement de l’offre (choc d’offre négatif, précédemment abordé par Emmanuel Combe pour Major-Prépa) face à une demande stable, voire en hausse pour certains secteurs, comme celui de l’e-commerce mentionné par E. Combe. 

Certains économistes, y compris Larry Summers, avaient par ailleurs sévèrement décrié les mesures d’urgence mises en place par l’administration Biden et par la Fed : selon eux, ce sont les vastes programmes de dépenses publiques ainsi que les politiques monétaires accommodantes mises en œuvre qui auraient créé une surchauffe propice à l’inflation. Ce serait donc également par ses effets secondaires que la pandémie aurait été génératrice d’inflation.

Les secteurs touchés par l’inflation

Semi-conducteurs et automobiles

La mise à l’arrêt d’usines géantes a engendré de sérieuses pénuries de semi-conducteurs, composants essentiels lors de la fabrication de puces électroniques. Incapables de s’approvisionner, bon nombre d’entreprises, comme Ford ou Sony, ont été contraintes de ralentir leur production de manière drastique, ce qui à l’avenir ne pourrait que contribuer à la hausse de leurs prix de vente (on pense à la PS5 de Sony). Face à cet arrêt partiel de la fabrication de véhicules et à la demande haussière de voitures de location aux États-Unis au sortir de la pandémie (bon nombre d’Américains ont privilégié les road trips locaux aux voyages à l’étranger), les loueurs automobiles comme Hertz ont proposé des prix en forte augmentation. Les prix des voitures de location ont augmenté de 30 % dans le pays et la hausse a, dans certains cas, atteint 300 %, d’après un rapport du New York Post.

Bois et immobilier

Le prix du bois (en tant que matière première pour la construction de bâtiments) a explosé aux États-Unis en mai 2021, avant de baisser lentement. La cause ? Un boom immobilier causé en partie par des ménages désireux de capitaliser sur le télétravail pour pouvoir vivre hors des grandes villes. L’augmentation subite de la demande de bois utilisé lors de la construction de nouvelles bâtisses a propulsé son prix. Cette hausse du coût du bois s’est immédiatement répercutée sur le marché immobilier américain : le prix médian d’une maison aux États-Unis a alors atteint le montant record de 363 000 $, soit une hausse de 23 % par rapport à l’année précédente.

Secteurs liés au déplacement

La levée des restrictions sanitaires, en poussant les individus à voyager, a entraîné d’importantes montées des prix dans l’ensemble des secteurs liés au déplacement : par rapport à l’année précédente aux États-Unis, le prix des chambres d’hôtel a augmenté de 21,5 % et celui des billets d’avion de 19 % (rapport de juillet 2021 du Bureau of Labor Statistics). Il convient de préciser que ce sont ces mêmes secteurs qui avaient été sévèrement touchés au début de la pandémie : ces hausses de prix ne sont dans certains cas que des retours (parfois partiels) aux prix d’avant crise.

En France, si le taux d’inflation était de 0 % en octobre 2020 selon l’Insee, il atteignait 1,2 % en juillet 2021, poussé par une augmentation du prix des services et de l’énergie. De plus, sur 1 005 Français interrogés par Statista, 88 % d’entre eux jugeaient que les confinements successifs avaient joué un rôle accélérateur dans la hausse des prix : les citoyens avaient donc bel et bien conscience de cette érosion de leur pouvoir d’achat.

Inquiétudes et enjeux

Faut-il craindre cette reprise de l’inflation ? Larry Summers a clairement pris position en affirmant que les dirigeants américains ne prenaient pas conscience du danger de l’inflation. Face à cela, le président de la Fed, Jerome Powell, a reconnu l’existence d’une réelle reprise de l’inflation tout en écartant toute hypothèse d’un danger véritable, en assurant une action immédiate de la Fed en cas d’une montée trop forte des prix. Similairement, la secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a annoncé s’attendre à quelques mois d’inflation rapide, justifiant ainsi la nécessité de rester vigilant, tout en soulignant sa conviction que les prix redescendraient par la suite.

Le retour de l’inflation peut donc sembler temporaire, puisqu’il s’agit du fruit de circonstances tout à fait exceptionnelles. De plus, c’est avant tout aux États-Unis que cette hausse des prix est la plus spectaculaire : celle-ci est restée relativement raisonnable en Europe. S’il est enfin possible de noter des augmentations de prix particulièrement fortes dans certains secteurs, il convient de noter que celles-ci ne correspondent parfois seulement qu’à des retours aux prix d’avant crise.