Jamais l’actualité estivale concernant l’Europe n’a été aussi riche : entre le feuilleton grec ainsi que les déboires de très nombreux migrants qui s’échouent sur nos cotes, cette synthèse ne peut être qu’un simple résumé de l’actualité tant les enjeux associés sont pléthoriques.

Comme l’affirme Jean-Claude Juncker dans son premier discours sur l’état de l’Union prononcé en séance plénière à Strasbourg le mercredi 9 septembre 2015 :

«  C’est le moment de parler franchement des grands problèmes de l’Union européenne. Parce que notre Union européenne ne va pas bien. Il n’y a pas assez d’Europe dans cette Union. Et il n’y a pas assez d’Union dans cette Union.  »

Nous nous focaliserons donc sur seulement deux événements ayant agité l’été en Europe et qu’il faudra absolument maîtriser dans l’optique d’un potentiel sujet de géopolitique sur l’Europe.

GR€C€ : le feuilleton de l’été

tsipras

Pour une mise en perspective, il est nécessaire de lire au préalable cet article

2015 commençait relativement bien pour la Grèce : la courbe du chômage évoluait positivement et la croissance semblait enfin revenir. Mais ce contexte favorable n’a pas perduré cet été. En commençant par d’interminables négociations fin juin afin de rembourser une ligne de crédit arrivée à échéance jusqu’à la démission du premier ministre Alexis Tsipras, la vie politique et économique de la Grèce a été extrêmement mouvementée cet été.

L’une des causes de ce retournement de situation est l’accession du parti populiste Syriza au pouvoir en début d’année avec 149 sièges sur 300 à la Vouli, le parlement grec.

Puis en début d’été, après d’interminables négociations, la Grèce n’a plus été capable d’assurer le remboursement de ses échéances (1,6 milliards d’euros) à temps, profitant d’une clause méconnue afin de reporter son paiement. Début juillet, le système bancaire grec est au bord du précipice dans la mesure où les Grecs retirent leurs économies de peur de voir le système s’effondrer. Afin de contrer la réalisation de ce début de prophétie auto-réalisatrice de faillite du système bancaire, le gouvernement grec a ordonné la fermeture des banques ainsi qu’un plafonnement des retraits afin de contenir cette fuite des capitaux du système bancaire (qui s’élevait à 7 milliards d’euros).

La suite est connue : Tsipras tente un coup de poker en recourant à un référendum qui rejette les modalités d’accord proposées par ses créanciers européens. Les Grecs soutiennent leur Premier ministre et les gouvernements européens n’apprécient guère la méthode.

Face à la peur d’un Grexit, potentiellement fatal pour son pays, Alexis Tsipras décide de mettre à l’écart Yanis Varoufakis, son tonitruant ministre des Finances, et s’engage à mettre en oeuvre les mesures préconisées par ses créanciers, bien que les Grecs aient exprimé leur refus quelques jours auparavant. En l’échange du déclenchement du troisième plan d’aide européen de 85 milliards d’euros le 12 août, le gouvernement s’engage à élargir les horaires d’ouverture des magasins, à augmenter la TVA (à 23%) ainsi que l’âge de la retraite, en la portant à 67 ans.

Enfin, à la fin de mois d’août, Alexis Tsipras annonce sa démission, notamment à cause de la constitution d’un groupe de frondeurs au sein de son propre parti. Donné favori des élections qui auront lieu en septembre 2015, ce dernier devrait être reconduit à son poste de Premier ministre, d’après les sondages. La principale interrogation est de savoir qui va s’allier à Tsipras afin de constituer un gouvernement, dans la mesure où il ne devrait pas être capable de réunir une majorité absolue.

Encore une fois, les marchandages européens n’ont fait que donner du grain à moudre aux eurosceptiques, à moins que la question migratoire ne soit l’enjeu qui forcera les gouvernements européens à coopérer plus efficacement ?

Migrants : le drame aux portes de l’Europe

epa04910104 Washed up body of a refugee child who drowned during a failed attempt to sail to the Greek island of Kos, at the shore in the coastal town of Bodrum, Mugla city, Turkey, 02 September 2015. At least 11 Syrian migrants died in boat sank after leaving Turkey for the Greek island of Kos. EPA/DOGAN NEWS AGENCY ATTENTION EDITORSgraphic content ATTENTION EDITORS: PICTURE CONTAINS GRAPHIC CONTENT ; TURKEY OUT

365 000 migrants et réfugiés sont venus sur le continent par la Méditerranée depuis le début de l’année, 2800 sont morts en mer. Alors fallait-il attendre cette photo du jeune Aylan Kurdi pour que les Européens prennent conscience du drame autour des mouvements migratoires ? Si une courte majorité absolue des Français (environ 55% selon les sondages) se déclarent encore non-favorables à l’accueil de davantage de réfugiés ou à l’assouplissement des conditions d’octroi de ce statut, les opinions changent à l’heure actuelle, par la force des images sans doute.

Alors plutôt que de vous décrire la situation actuelle, comme le font très bien les médias, nous nous focaliserons sur l’analyse des diverses implications de ces mouvements humains sur les politiques au niveau européen.

Migrants, réfugiés : quelles différences ?

On ne peut pas confondre les termes de migrants et de réfugiés. Un migrant est une personne qui change de pays de résidence avec pour objectif d’améliorer ses conditions de vie, ainsi que celles de sa famille. C’est, par exemple, le cas de nombreux migrants d’Afrique subsaharienne qui cherchent à rejoindre l’Europe pour avoir un meilleur salaire et envoyer des remesas (une partie de son salaire) à sa famille. A l’inverse un réfugié change de pays de résidence pour assurer sa liberté et/ou sa survie, à l’image de Syriens, d’Irakiens ou d’Érythréens fuyant (respectivement) la guerre civile ou encore la terrible dictature d’Issayas Afewerki (que l’UE finance afin de contenir les flux, voir ici).

Des frontières de plus en plus poreuses

Malgré un renforcement des contrôles, les frontières européennes sont de plus en plus poreuses, qu’il s’agisse de pays membres de l’UE ou non. Par exemple, au cours du mois d’août, les autorités macédoniennes, qui essayaient de contenir des réfugiés ont dû y renoncer après des heures de lutte intense, face à la détermination de ces migrants et réfugiés, toujours plus nombreux.

Pour faire face à cette porosité des frontières, le gouvernement hongrois de Victor Orban a décidé d’ériger un mur sur la frontière entre la Serbie et son pays, porte d’entrée vers l’Union Européenne, ce qui ne semble pas empêcher les milliers de migrants et de réfugiés de réussir à entrer en Europe.

Une scission politique

Face à la déferlante migratoire, les hommes politiques européens se déchirent. Les deux dirigeants qui expriment le plus clairement leur désaccord sont Weyner Faymann, le chancelier social-démocrate d’Autriche, et Victor Orban, Premier ministre hongrois. Dans une interview accordée au journal autrichien Österreich, il fustige la politique de son homologue hongrois qu’il qualifie de “menteur”.

Par ailleurs, le Royaume-Uni reste extrêmement timide avec une promesse d’accueillir 20 000 réfugiés en 5 ans. Quant à la Slovaquie et la République Tchèque, ces deux pays refusent toute intrusion européenne dans leur politique migratoire vis-à-vis des migrants, et ne participent pas aux mesures européennes.

Des mesures concrètes

Pour faire face à l’ampleur de ces mouvements migratoires, la Commission européenne incite les différents gouvernements à se répartir l’accueil de 160 000 réfugiés selon des quotas, avec sur le podium des pays d’accueil :

  • Allemagne : 26,2% soit 31 443 réfugiés
  • France : 20% soit 24 031 réfugiés
  • Espagne : 12,4% soit 14 931 réfugiés

En supplément de cette solution temporaire et négociée laborieusement, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, plaide pour l’établissement d’un système permanent de répartition de l’accueil des réfugiés entre Etats, afin de prévenir des situations similaires à celles connues ces derniers mois, où la (très lente) réaction politique de l’Europe a été décriée.

Migrants et réfugiés : une chance pour l’Europe

Dans son premier discours sur l’état de l’Union, Juncker exprime sa solidarité avec les réfugiés : « Nous, Européens, devons nous souvenir que l’Europe est un continent où presque chacun a un jour été un réfugié. Notre histoire commune est marquée par ces millions d’Européens qui ont fui les persécutions religieuses ou politiques, la guerre, la dictature ou l’oppression. » 

L’histoire européenne a été effectivement marquée par de très nombreuses vagues de réfugiés, on peut notamment penser à ceux qui fuyaient l’Allemagne nazie, aux républicains espagnols ou encore aux révolutionnaires hongrois qui ont fui en Autriche.

Dans ce même discours, le président de la Commission a assuré que les principes de libre-circulation liés à l’espace Schengen ne seraient pas remis en cause tant qu’il sera en poste. A l’inverse, il exhorte les différents pays à changer leur législation afin que les réfugiés puissent avoir le droit de travailler, ce qui n’est pas sans poser de nombreuses questions à l’heure où le chômage dans l’UE flirte avec la barre des 10%…

Si l’apport des migrants est indéniablement positif sur le long-terme, au sein d’un continent à la population vieillissante, cette nouvelle terre d’asile ne risque-t-elle pas de voir arriver une main d’oeuvre aux revendications sociales qui pourraient modifier le rapport d’équilibre entre offre et demande sur le marché du travail, au profit des employeurs qui jouiraient d’une potentielle main d’oeuvre plus docile ? Question légitime qui agite ceux qui sont défavorables à l’accueil de réfugiés, on pourra y répondre par le fait que l’impact de centaines de milliers de personnes, dont de nombreuses familles où les membres sont hautement qualifiés, ne peut être que positif, notamment dans des pays comme l’Allemagne qui se bat pour conserver une population à peu près stable. Par ailleurs, les 160 000 migrants que l’Union se répartit ne représente que…0,032% de la population de l’Union Européenne. Pas de quoi modifier structurellement une Union qui constitue aujourd’hui, aux yeux du monde, un “rêve européen” (Jérémy Rifkin), et qu’Angela Merkel a décidé de rendre accessible au plus grand nombre.

Pour approfondir la question, regardez l’excellente émission Cartes sur Table dédiés à ce sujet :


Cartes sur Table : comprendre les migrations… par lemondefr

Say it in English !

Bailout (n): plan de sauvetage (Etats, entreprises).

To resign (vb) : démissionner

Debt-ridden (adj): se dit d’un Etat ou d’une société qui croule sous le poids des dettes

Insurgent parties, populist parties: les parties populistes

To stem (vb): endiguer

Influx, inflow (n): l’afflux (migrants, main d’oeuvre, capitaux…)

Victor Orban tries to stem the influx of migrants in his country

Asylum seeker: demandeur d’asile

To be at loggerheads: être en désaccord

European countries are at loggerheads about the question

Ageing (n): vieillissement

“the greying globe”: expression illustrant le vieillissement démographique à travers le monde.