Après l’Asie, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine et l’Europe, nous allons nous intéresser à l’actualité estivale du Moyen-Orient. Bien plus qu’une simple liste de faits d’actualité, Major-Prépa vous offre une mise en perspective nécessaire à une bonne utilisation de l’actualité en dissertation ou à l’oral de géopolitique.

Mort du mollah Omar : les talibans l’officialisent et se déchirent

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En Afghanistan, l’officialisation de la mort du mollah Omar fragilise la mouvance talibane et donne lieu à une véritable guerre de succession au sein de l’organisation terroriste.

Alors que les talibans continuaient à attribuer au mollah Omar de nombreuses déclarations, la mouvance terroriste a finalement fait volte-face en cette fin de mois d’août : le chef militaire et spirituel de l’organisation, qui avait été président de l’Afghanistan entre 1996 et l’arrivée des Américains (2001), serait en fait décédé des suites d’une longue maladie dans un hôpital de Karachi, au Pakistan, en avril 2013. Pris de cours par le gouvernement afghan qui avait dès juillet annoncé la mort du mollah, les talibans avaient d’abord confirmé l’information sans préciser de dates. Ils s’étaient par ailleurs empressés de lui trouver un successeur en la personne du mollah Mansour, ce qui n’avait pas empêché les traditionnelles guerres de personnes qu’implique généralement ce genre d’événements dans une telle organisation.

La dissimulation de la mort du mollah Omar est loin d’être anodine, c’est en fait une stratégie assumée des talibans : 2013 fut une année décisive pour le mouvement dans sa lutte contre l’OTAN, qui conserve depuis cette date une force résiduelle de 13 000 hommes dans la région. L’aura dont jouissait le mollah Omar était incontestée au sein de l’organisation et assurait à celle-ci une certaine stabilité.

Les conséquences de cette annonce sont ainsi duales : d’une part, la mort avérée d’Omar compromet d’abord le timide processus de paix engagé entre les talibans et le gouvernement afghan en juillet dernier. Le mouvement est confronté à une guerre intestine entre les potentiels successeurs du leader taliban, car l’élection hâtive du mollah Mansour le 30 juillet est loin d’être consensuelle. D’autre part, derrière cette désignation, la question de l’allégeance du mouvement vis-à-vis du Pakistan se pose avec force : selon les spécialistes, le mollah Mansour a largement bénéficié de ses liens supposés avec le gouvernement pakistanais pour devancer Yacoub, figure militaire du mouvement et fils du mollah Omar. Les interrogations autour de cette désignation demeurent. Il est fort probable que depuis deux années, Islamabad tire les ficelles en coulisse et se serve de Mansour comme d’un relais servile des intérêts du Pakistan dans la région.

En Egypte, l’extension du Canal de Suez sera-t-elle rentable pour le maréchal al-Sissi ?

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A la suite de son accession à la présidence en mai 2014, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi avait fait du doublement du canal de Suez le projet phare de son mandat, et la clé de voûte de sa « nouvelle Egypte ». Avec cet agrandissement majeur, il espère doubler la fréquentation annuelle du canal et potentiellement les recettes qu’il engendre à l’horizon 2023. Concrètement, une nouvelle voie de 35km a été construite et 37km du canal « historique » ont été élargis. A terme, le gouvernement égyptien compte créer un million d’emplois en développant encore davantage la zone économique autour du canal en construisant de nouveaux tunnels, ports, zones industrielles et commerciales… pour un total de 15 milliards de dollars qui seraient investis par des acteurs étrangers.

Après de vaines tentatives d’Hosni Moubarak dans les années 1980 ainsi que de son prédécesseur déchu Mohamed Morsi, il a fallu toute la détermination de M. Sissi pour achever ce projet titanesque en un temps record : une année seulement quand les experts égyptiens en prévoyaient quatre. La promptitude des travaux s’explique par la volonté du Caire de devancer le canal de Panama qui s’est lancé dans un agrandissement similaire dont l’achèvement est prévu pour fin 2016. En faisant vibrer la fibre nationaliste égyptienne, Sissi a réussi à rassembler plus de 50 milliards de livres égyptiennes (6,5 milliards de dollars) auprès de la population 10 jours seulement après la mise en vente des bons de participation.

Toutefois, les supposées retombées économiques de l’agrandissement du canal sont d’ores et déjà remises en questions par nombre d’experts : le commerce mondial stagne depuis 2008, et de fait l’augmentation des capacités de transit ne signifiera pas nécessairement accroissement proportionnel de la fréquentation. En somme, les chiffres avancés par Sissi (97 bateaux par jour et 13,2 milliards de recette annuelle en 2023) paraissent chimériques à bien des égards, d’autant que le gouvernement peine à endiguer l’instabilité politique qui inquiète les armateurs étrangers depuis les « printemps arabes » de 2011.

Quoi qu’il en soit, cette inauguration en grande pompe s’est faite devant un véritable parterre de chefs d’Etat. Le 6 août dernier, aux côtés de Dimitri Medvedev, Alexis Tsipras ou encore du président palestinien Mahmoud Abbas, François Hollande était lui aussi présent, en la qualité d’invité d’honneur. Cette marque d’amitié du maréchal Sissi à l’égard du président français n’est pas anodine : elle vient d’abord entériner les bonnes relations diplomatiques qu’entretiennent Paris et le Caire depuis la vente par la France en février dernier de 24 Rafales et d’une frégate multi-missions, qui ont d’ailleurs paradé lors de la cérémonie. Surtout, la mise à l’honneur de la France est hautement symbolique, car l’histoire du canal de Suez est étroitement liée à celle de notre nation. En 1869, c’est l’épouse de Napoléon III qui inaugurait cette prouesse architecturale réalisée par le Français Ferdinand de Lesseps. 87 ans plus tard, en 1956, la France tentait d’intervenir militairement aux côtés de l’Angleterre et d’Israël pour dissuader le Colonel Nasser de privatiser le canal, ce qui s’est soldé par un cuisant échec.

 

Accord historique à Vienne sur le démantèlement du programme nucléaire iranien : un bouleversement de l’équilibre régional ?

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Le 14 juillet, après douze années d’âpres négociations, les grandes puissances ont signé avec l’Iran un accord dans lequel cette dernière s’engage à limiter fortement son programme nucléaire et à tolérer des contrôles poussés des autres nations en échange d’une levée (progressive !) des sanctions internationales qui met à mal l’économie iranienne depuis 35 ans (sanctions qui s’étaient renforcées significativement en 2002).

Une petite remise en contexte s’impose : depuis la révolution islamique incarnée par l’Ayatollah Khomeiny en 1979, l’Iran s’est imposée comme le pays anti-américain par excellence au Moyen-Orient. Les tensions entre ces deux Etats se sont accentuées à la fin du millénaire, si bien que George W. Bush place volontiers l’Iran dans la liste des « Rogue States » en 2001 aux côtés de six autres Etats jugés infréquentables par l’hyperpuissance américaine. L’année suivante, les Etats-Unis découvrent un site d’enrichissement d’uranium et dévoile ainsi le dessein secret iranien d’acquérir l’arme atomique. Cette volonté de Téhéran s’explique par plusieurs facteurs : d’abord, l’ambition d’entrer dans la « cour des grands » pour un Etat de 78 millions d’habitants qui veut s’affirmer comme une puissance régionale. Par ailleurs, l’Iran se sent menacée à la fois par la montée en puissance militaire d’Israël, mais aussi par les Etats sunnites qui l’entourent et qui voient d’un mauvais œil leur proximité avec une république islamique (cf carte).

Les pays occidentaux répondent fermement par la mise en place du régime de sanctions le plus drastique de l’Histoire afin de faire pression sur le pouvoir iranien. Dès lors, comment expliquer que les négociations aboutissent seulement aujourd’hui ?

La pression économique a d’abord porté ses fruits. Téhéran est littéralement asphyxié par l’embargo occidental : c’est une économie rentière qui pâtit de la baisse du cours du pétrole. L’inflation est de 30% par an et la contestation d’une jeunesse éduquée mais qui peine à trouver un travail met la pression sur les dirigeants : Khamenei le « Guide suprême » et Rohani le premier ministre. Ce dernier a d’ailleurs beaucoup œuvré dans l’avancement des négociations en se montrant moins hostile aux américains que son prédécesseur Ahmadinejad. Côté américain, Obama voit dans la normalisation des rapports avec l’Iran une opportunité de juguler l’avancée de Daech, alors que la Syrie est en pleine déliquescence.

C’est aussi un marché énorme qui pourrait soudain être accessible aux FMN occidentales, réticentes à investir en Iran depuis la loi d’Amato-Kenney en 1996 (loi américaine qui ferme le marché US aux entreprises qui investiraient dans un rogue State).

Dans une région hautement belligène, cet accord n’est malheureusement pas synonyme d’apaisement généralisé des tensions : celui-ci déplaît fortement à Israël et à l’Arabie Saoudite (tout deux alliés historiques de Washington) qui craignent que l’Iran n’en profite pour accroître son ingérence dans la région. Benyamin Netanyahou a d’ores et déjà qualifié le deal « d’erreur historique ». Néanmoins, cet issue apparaît comme une victoire pour l’administration Obama, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans le contexte de la « stratégie du pivot » américaine qui vise à rééquilibrer le déploiement des troupes américaines au profit de l’Asie (cf le corrigé Ecricome 2015 : « L’Asie de l’Est : nouveau centre géopolitique et économique du monde ? ») après le fiasco des guerres menées en Afghanistan et en Irak pendant plus d’une décennie.

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A savoir : seuls 15% des musulmans sont chiites.

François Hollande ouvre la voie à de possibles bombardements contre l’EI en Syrie

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L’Etat islamique (qui n’est d’ailleurs pas un Etat mais bien un groupe de mercenaires) est, faut-il le rappeler, une organisation terroriste qui contrôle une large partie de la Syrie et de l’Irak depuis 2014. Elle a par ailleurs proclamé, le 29 juin 2014, l’instauration d’un califat dont Abou Bakr al-Baghdadi, salafiste irakien de la première heure et membre éminent du groupe Etat islamique depuis 2007, est le dirigeant proclamé.

Alors que Daech montrait des signes d’essoufflement il y a quelques mois, laissant présager la victoire prochaine de la coalition internationale, les espoirs d’une gestion rapide de cette crise se sont envolés au cours de l’été : l’EI a repris du poil de la bête et des villes stratégiques ou hautement symboliques sont tombées entre ses mains, à l’image de la cité antique de Palmyre fin mai.

Ce revirement de situation est révélateur de l’échec stratégique de la coalition arabo-occidentale : depuis août 2014, elle a frappé 2500 fois le sol syrien pour juguler l’avancée de Daech et du front Al-Nosra (affilié à Al-Qaïda). Les Etats-Unis s’imposent plus que jamais comme les fers de lance de ces d’attaques aériennes : ils sont à l’origine de 95% des frappes de la coalition. Pour quel bilan ? Seul 15 000 islamistes ont été tués, et cela n’a que très peu compromis leur avancée sur le territoire. Par ailleurs, 1000 à 1500 civils auraient été tués par ces frappes selon les sources. Néanmoins, ces frappes ont largement appuyé les Kurdes dans leur reprise de la ville de Kobané.

Les alternatives sont toutefois limités pour les opposants de Daech : une intervention au sol est inenvisageable et aucune nation ne serait prête à se lancer dans un pareil bourbier… pas même les Etats-Unis qui conservent un souvenir douloureux de leurs interventions en Afghanistan (2001) et en Irak (2003).

Paris a donc, après une année de vols de repérage et de bombardements sur l’Irak, décidé d’étendre ses activés au territoire syrien. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait plus tôt ? La France a toujours affirmé son hostilité à l’égard du régime syrien, notre chef de la diplomatie Laurent Fabius allant jusqu’à déclarer en 2012 que «Bachar al-Assad ne méritait pas de vivre ». En 2013, elle s’était montrée à l’initiative lorsque Bachar avait franchi la « ligne rouge » (l’utilisation d’armes chimiques contre son propre peuple) avant de faire volte-face, désavouée par la réticence des Américains à sanctionner la Syrie. Pour François Hollande, bombarder l’EI impliquait de renforcer la position du régime en Syrie, ce qu’il jugeait tout à fait inacceptable. Petit rappel : à l’arrivée de Bachar au pouvoir en 2000 (il succède à son père Afez al-Hassad), bon nombre d’observateurs espérait qu’il incarne une transition démocratique en Syrie ou, du moins, un endiguement de la dérive autoritaire du pouvoir : Bachar al-Assad était jugé plus raisonnable que son prédécesseur, parce qu’imprégné de valeurs pacifiques qu’il aurait acquis en Occident, là où il a fait ses études de médecine.

Mais la communauté internationale déchante vite et en 2011, les soulèvements du printemps arabes déclenchent une guerre civile sanglante qui se solde par des répressions meurtrières du pouvoir et la déliquescence de la Syrie, désormais divisée selon les sphères d’influence des groupes terroristes qui l’occupent. A l’heure actuelle, la guerre a obligé près de 5 millions de Syriens a quitter leur pays, sur un total de 22 millions avant le début du conflit.

La complexité de cette guerre tient à la pluralité des acteurs qui s’affrontent sur le territoire syrien, des milices terroristes sunnites ou salafistes (respectivement Daech et al-Nosra) en passant la minorité kurde incarnée par le PKK et donc, le régime de Bachar. Il faut souligner que c’est bien les représailles du gouvernement qui ont engendré le bilan humain le plus lourd : entre août 2014 août 2015, le régime de Bachar al-Assad a fait plus de 20 000 victimes, alors que Daech est responsable de la mort de « seulement » 2400 personnes (d’après le Réseau syrien des droits de l’homme).

François Hollande a justifié ce choix en affirmant qu’à la lumière d’informations concordantes, la France avait la preuve que les attentats qui ont touché la France depuis le début de l’année (une église dans la banlieue parisienne, l’attaque du Thalys et bien sûr Charlie Hebdo en janvier) sont pour la plupart commandités depuis la Syrie. L’objectif affiché par la France est donc de limiter le prosélytisme islamiste perpétré sur le sol syrien qui représente effectivement une réelle menace pour notre nation. Si la classe politique semble unanimement favorable à une intervention en Syrie, les Républicains, Nicolas Sarkozy en tête, réclament une intervention au sol, une possibilité écartée fermement par le président français.

 

La Turquie d’Erdogan rentre dans la coalition opposée à Daech… mais avec quelles ambitions ?

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Après près d’une année passée en marge de la coalition arabo-occidentale, Recep Tayyip Erdogan a finalement accepté de contribuer militairement à celle-ci. Derrière cette soudaine initiative, d’aucuns voient le dessein à peine masqué de mater la velléité nationaliste kurde, cristallisée autour du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Petite rétrospective des relations entre la Turquie et la Syrie :

Historiquement, Erdogan soutenait avec force le régime de Bachar al-Assad. En 2006, les deux pays ont même opéré un rapprochement ambitieux, avec à la clé une ouverture de la frontière et la multiplication des échanges économiques. La situation se dégrade pourtant à l’heure des « printemps arabes » : Erdogan renoue avec ses rêves de grandeur, dans lesquels il serait le leader d’un Moyen-Orient converti à l’islamisme politique. Dans cette optique, la Turquie insiste pour qu’Assad fasse des réformes tandis que son pays sombre dans le chaos. Face à son refus, Erdogan n’hésite pas à soutenir financièrement des groupes djihadistes qui deviennent rapidement incontrôlables. Si cet argent n’est pas parvenu à renverser le régime syrien de Bachar al-Assad, il a incontestablement aidé des milices terroristes qui ont par la suite grossi les rangs de l’Etat islamique : la Turquie se bat donc à sa frontière contre un monstre qu’elle a contribué à créer par imprudence.

Désormais débarrassé de toutes ambitions hégémoniques dans la région, Erdogan reste confronté au problème kurde. Ce peuple à cheval sur quatre Etats (la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie donc) représente approximativement 16% de la population turque et réclame depuis des années une souveraineté nationale. A l’heure actuelle, la stratégie turque consiste à marginaliser l’importance du PKK dans la lutte contre l’EI en participant d’abord à la coalition, mais aussi en ouvrant ses bases militaires aux soldats américains. Erdogan s’inquiète en effet de la probable création d’une zone autonome reconnue internationalement en Syrie, qui pourrait servir d’assise au PKK. Dans ces conditions, le timide processus de paix engagé entre les Kurdes et l’AKP (le parti d’Erdogan) est bien loin, et les bombardements turques visent tout autant le PKK (volontiers qualifié de « mouvement terroriste par Erdogan) que l’Etat islamique. Ce « double-jeu » turque embarrasse la coalition, tiraillé entre l’impossibilité de se passer d’un pays au premier plan dans la lutte contre Daech (de par sa position géographique) et la volonté d’empêcher Erdogan de commettre des exactions illégitimes à l’encontre des Kurdes, sous couvert de la lutte contre le terrorisme. La Turquie est par ailleurs membre de l’OTAN depuis 1952, ce qui en fait un allié majeur des Etats-Unis dans la région qui serait, vu le contexte, périlleux de froisser pour Washington.