Depuis 30 ans, les autorités monétaires ont tout fait pour contenir les tensions inflationnistes, mais aujourd’hui, les choses ont changé. Alors que l’inflation dans la zone euro est de seulement 1 %, la BCE met tout en œuvre pour retrouver les 2 % (cible idéale selon elle) : politique monétaire ultra-expansive avec des taux négatifs, des LTRO* à 6 ans, etc. Pourquoi ces efforts n’aboutissent-ils pas à une reprise de l’inflation dans l’UE ? D’ailleurs, Le Monde titrait le 26 juillet dernier « Le mystère de l’absence d’inflation », mais est-ce vraiment un mystère ?

Les différents facteurs

L’analyse de Michel Aglietta dans un article de 2018 est très éclairante. C’est vrai, les économies des pays industrialisés connaissent une décélération tendancielle de l’inflation ainsi qu’un écrasement des cycles de l’inflation et cela pour trois raisons, selon Aglietta :

– La première raison, c’est l’atténuation des déterminants nationaux de l’inflation. Comprenez ici « disparition » de la boucle prix-salaire en raison de l’affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés (chômage élevé) et de la baisse tendancielle de la part des salaires dans la valeur ajoutée observée depuis le début des années 1990. La courbe de Phillips ne fonctionne donc plus.

–  Un autre facteur ayant contribué à la baisse tendancielle des prix est la hausse de l’épargne au niveau mondial, en raison du vieillissement de la population dans les pays industrialisés et de l’accumulation d’une épargne de précaution dans les pays émergents sous la forme de réserves de change abondantes. Finalement, c’est plutôt logique : si les gens épargnent, ils ne consomment pas, donc les prix baissent.

– Dernier facteur évoqué par Aglietta : la transformation du régime de croissance dans les pays avancés au cours des trois dernières décennies. Ces pays évoluent dans un régime qui engendre une croissance potentielle plus basse que dans les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Cette transformation est le fruit de la globalisation du capitalisme. Elle a entraîné le ralentissement de la productivité globale des facteurs, le niveau excédentaire de l’épargne mondiale et le changement de gouvernance des entreprises depuis les années 1980, faisant de la valeur actionnariale l’objectif au détriment de l’investissement productif (vous pouvez ici placer un peu de sociologie de l’entreprise, victoire de l’actionnariat, etc.)

Cette transformation du régime de croissance entraîne donc une inflation basse persistante. La mondialisation favorisant la concurrence entre les entreprises et donc la compression des prix, aggrave cette tendance. Cela signifie que le processus inflationniste, au sens d’une spirale autoentretenue entre salaires et prix, n’existe plus. Bien entendu, les fluctuations apparentes des prix dans les cycles conjoncturels subsistent, comme on peut le voir aux États-Unis, mais cela n’a rien à voir avec de l’inflation. Ces fluctuations sont dues à des composantes volatiles, surtout le prix du pétrole récemment.

Aglietta n’en parle pas, mais on peut rajouter un facteur en s’appuyant sur l’analyse des politiques économiques et des réactions des agents économiques en conséquence de celles-ci. Afin de bien comprendre ce dernier élément, rappelons que l’inflation pénalise l’épargne en entraînant une perte de valeur des sommes épargnées et en diminuant le taux de rendement. Elle entraîne donc la vente d’actifs, l’emprunt et la consommation. Donc, s’il y a de l’inflation, les agents réagissent en anticipant des bénéfices. En ce sens, l’annonce d’une politique monétaire expansive par la BCE devrait déjà stimuler l’investissement de la façon dont je l’ai décrite précédemment. Le problème étant que face à l’annonce de la BCE concernant la baisse des taux, et donc d’un retour de l’inflation, les investisseurs ne bougent pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que les agents se méfient de la BCE.

Peut-on croire en un retour de l’inflation ?

La principale raison de se méfier est assez simple. Selon l’expression de Rogoff, les banques centrales sont dites « conservatrices » depuis les années 1980. Elles se focalisent sur le niveau d’inflation et essaient quoi qu’il en coûte de contenir l’inflation sous les 2 %, et aujourd’hui, la BCE nous dit qu’elle veut plus d’inflation ? Comment y croire ! Les agents ont donc peur d’investir et d’assister dans un second temps à un retournement de la politique monétaire réprimant la hausse du niveau général des prix. Ils pourraient perdre beaucoup d’argent à cette occasion.

Ce scénario a déjà été décrypté intégralement par Kydland et Prescott (1977). Les deux auteurs montrent globalement que les politiques conjoncturelles, aussi appelées discrétionnaires, ne sont pas crédibles. De manière plus générale, Kydland et Prescott parlent d’un « théorème de l’inconséquence intertemporelle » des pouvoirs publics : les agents anticipent le fait que les gouvernements remettront en cause leurs décisions initiales. Personne ne croira aux engagements des pouvoirs publics et la politique ne pourra être qu’inefficace. Les règles sont mises ainsi au service de la crédibilité de la politique économique. Comme les monétaristes, la NEC recommande donc une politique monétaire stable pour que les agents puissent s’y adapter sans biais, et non une politique discrétionnaire. Plus personne ne croit en un retour de l’inflation, ce qui rend son retour encore moins probable.

Conclusion

Voilà les principales raisons pour lesquelles un retour de l’inflation est très peu probable. Pour conclure, nous pouvons revenir à ce que dit Aglietta dans son article : en dehors de l’inflation des biens et services dans le secteur réel, c’est à celle des prix des actifs financiers qu’il conviendrait de s’intéresser. Cette inflation-là semble d’ailleurs beaucoup plus nocive que l’inflation dans le secteur réel. Elle est source de surévaluation des titres financiers, de spéculation dangereuse et donc de perturbation de la stabilité financière. La lutte contre l’inflation des actifs passe alors par des politiques de stabilité financière macro-prudentielles, une mission que les banques centrales devront rapidement prendre à bras-le-corps. Une conclusion qui vous permettra de terminer votre copie en beauté.

*LTRO (Long term refinancing operations): prêts à long terme accordés aux banques par la banque centrale. En théorie, ces prêts sont étendus sur trois ans maximum. Cependant, la banque centrale, dans le cadre de sa politique monétaire non-conventionnelle, peut allonger ce délai pour aider les banques à se financer.