Voici les deux corrigés de la synthèse ESCP 2015 proposés par le rapport du jury !

Sujet : ICI

Corrigé 1

Quels sont les enjeux d’une modernité technologique marquée par la possibilité d’agir à distance ?

Quelles sont les manifestations de cette modernité ?
Elles apparaissent très diverses. Boltanski interroge le spectacle médiatisé de la souffrance d’autrui dans le but de susciter l’indignation. Le Breton analyse l’essor de la / cyberculture qui permet aux individus de communiquer entre eux depuis n’importe quel point du globe. Chamayou réfléchit aux enjeux de ces guerres qui se mènent désormais à distance et en toute sécurité au moyen de drones.

Quels avantages ces nouveaux moyens présentent-ils ?
Dans une perspective morale et pragmatique, Boltanski affirme que le spectacle de la souffrance trouve sa légitimité en constituant le spectateur en relais d’indignation, le sommant de s’émouvoir publiquement auprès de son entourage. Dans une perspective psychique, Chamayou considère que la guerre à distance est moins douloureuse pour le pilote de drones, soustrait à l’expérience immédiate de la mort infligée. Mêlant les deux perspectives, Le Breton observe que la confrontation avec le corps d’autrui constitue un obstacle psychologique que la relation virtuelle élimine, facilitant ainsi la communication interpersonnelle. Lucide, il ajoute que le succès du cybermonde est symptomatique d’un désir de toute puissance accessible seulement / dans l’univers virtuel.

Cet éloignement n’altère-t-il pas notre perception du réel ?
Les trois auteurs évoquent un risque de déréalisation. Il existe selon Chamayou un risque de dissociation entre réel et virtuel dans l’esprit du pilote de drone, qui doit fournir un effort pour se figurer les conséquences concrètes de ses actes. Pour Boltanski et Le Breton au contraire, le risque majeur est celui d’une confusion. Le Breton observe que le virtuel, fondé sur un principe de ressemblance, incite à la confusion, avec, parfois, des conséquences dramatiques. Boltanski évoque quant à lui les cas pathologiques de l’indifférence et des jouissances perverses que la souffrance devenue spectacle peut inspirer, et surtout il observe que cette distanciation risque de déréaliser la souffrance, dès lors contemplée comme une fiction.

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Corrigé 2

Comment la civilisation des écrans bouleverse-t-elle la logique, les conditions et les modalités de notre rapport au monde ?
Dans quels environnements évoluons-nous désormais ?
Pour Boltanski, dans des espaces paradoxaux privés, mais ouverts aux souffrances d’un monde où notre implication s’exerce indirectement et à distance. Dans le domaine militaire, Chamayou pointe une évolution génératrice d’incertitudes entraînées par l’impossibilité de maintenir pour certains combattants la distinction autrefois tranchée entre le front et l’arrière. Des transformations similaires caractérisent déjà un monde civil qui, à en croire Le Breton, a permis l’avènement d’une ubiquité effective et où frontières et limites de tous ordres s’estompent progressivement.

Quelle relation à autrui dans ce nouvel univers ?
Boltanski évoque une altérité incertaine, à la fois proche et distante, toujours susceptible de basculer dans une dimension fictionnelle. Le Breton décrit pour sa part les relations paradoxales nouées dans des communautés virtuelles avec des
cyber partenaires dépourvus d’enveloppe corporelle et, partant, nimbés d’un mystère délibérément entretenu. Chamayou, lui, nous introduit à la complexité d’étranges guerres numériques dans lesquelles, la victime ennemie étant dorénavant mise à distance de son exécuteur, c’est de ses concitoyens que le soldat doit attendre des manifestations d’hostilité.

À quels risques moraux sommes-nous dès lors confrontés ?
À la progression du sentiment d’irresponsabilité dans un monde où, selon Chamayou, se généralise la capacité à dissocier les actions de leurs conséquences et où les systèmes de valeurs se réduisent à de purs mensonges, quand ils ne masquent pas une incapacité désormais pathologique à assumer l’intégralité de nos actes. Boltanski voit en nous les voyeurs d’une souffrance éloignée que notre inaction perpétue, ou qui risque dans la pire des hypothèses de devenir pourvoyeuse de jouissances perverses. Le Breton craint même l’avènement d’une humanité nouvelle se rêvant, dans un phantasme de toute puissance, en démiurge capable de plier la complexité du réel à son caprice.

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