Dans cet article, nous allons nous intéresser à la manière dont Ogien défend moralement l’amour homosexuel. Retrouve également tous les articles sur le thème de culture générale “Aimer” dans cet article.

Quelques mots sur Ogien et son ouvrage

Ogien est un philosophe français contemporain, décédé en 2017. Il est principalement connu pour ses travaux de philosophie éthique. Dans son livre L’éthique aujourd’hui et dans divers articles, il défend ce qu’il appelle l’éthique minimale, qu’il conçoit dans le cadre d’une lutte progressiste contre un moralisme étroit et conservateur encore présent dans nos sociétés.

Dans cet article, nous verrons comment cette conception morale s’applique à l’amour homosexuel.

La question philosophique posée dans cet article

Ogien pose notamment la question suivante : a-t-on raison de condamner l’amour homosexuel au nom de la morale ?

Les enjeux de la question

Pour bien comprendre l’intérêt de cette question, il faut saisir ses enjeux : si les relations homosexuelles sont de plus en plus tolérées aujourd’hui, l’homophobie existe encore, même dans les pays les plus progressistes moralement. Le but d’Ogien n’est pas seulement de lutter contre cette criminalisation morale de l’homosexualité, mais plus précisément de poser et de résoudre la question morale de l’homosexualité sur le terrain rationnel de la philosophie.

La thèse d’Ogien

La thèse défendue par Ogien est donc la suivante : il n’y a absolument aucune raison de condamner moralement l’amour homosexuel. Cette condamnation repose sur des conceptions morales fausses.

Le plan de l’article

On présentera d’abord les grands principes de l’éthique minimale théorisée par Ogien, puis on les appliquera à la question particulière de la légitimité morale de l’amour homosexuel.

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I – Les principes de l’éthique minimale

1) Le principe d’indifférence à soi

Le premier principe de l’éthique minimale est le principe d’indifférence à soi. Ce principe consiste à dire que le rapport à soi n’a pas de dimension morale et ne doit donc pas entrer dans la sphère de la morale. Seul le rapport à autrui a une importance morale.

Ogien prend l’exemple suivant pour illustrer ce principe. Le peintre Van Gogh n’a rien fait de moralement condamnable en se coupant l’oreille. On peut bien sûr dire que c’est malsain, inquiétant ou choquant, mais on ne peut pas dire que c’est immoral. Par contre, si Van Gogh avait coupé l’oreille d’un passant dans la rue, il est clair qu’il aurait commis un acte immoral, qu’on aurait raison de condamner.

Il a donc une asymétrie morale entre le rapport à soi et le rapport à autrui. Seul le second a une valeur morale.

2) Le principe de non-nuisance

Le second principe de l’éthique minimale est le principe de non-nuisance : il st moralement interdit de causer du tort à autrui. On peut condamner moralement un acte s’il nuit aux autres.

3) L’éthique minimaliste et l’éthique maximaliste

L’éthique minimaliste se caractérise donc par le fait qu’elle cherche à réduire autant que faire se peut la sphère de la morale afin d’éviter le moralisme étroit, mais sans pour autant tomber dans l’amoralisme. Elle cherche préserver la morale, mais à la réduire seulement à ce qui a une véritable importance morale.

En cela, elle s’oppose à l’éthique maximaliste. Cette dernière, au contraire, élargit (indûment selon Ogien) la sphère de la morale. Elle se distingue de l’éthique minimaliste sur 3 points principaux : premièrement, elle admet des devoirs envers soi (comme l’exigence de respecter l’humanité en soi-même ou celle de cultiver ses talents) ; deuxièmement, elle admet des devoirs de bienfaisance paternalistes, c’est-à-dire la nécessité d’intervenir pour faire le bien d’autrui même s’il ne le demande pas ; troisièmement, elle admet des devoirs envers des entités abstraites comme Dieu ou la patrie.

4) La notion de crime sans victimes

Les 2 principes de l’éthique minimale permettent de construire la notion de crimes sans victimes : ce sont des actes qui, pour des raisons irrationnelles (religieuses notamment) ont traditionnellement été considérés comme moralement répréhensibles, mais qui en réalité ne le sont pas car ils ne nuisent pas à autrui.

Il y a ainsi 3 catégories de crimes sans victimes :

1° Les torts faits à des entités abstraites (Dieu, la patrie, etc.).

2° Les activités consenties sans dommage direct à des tiers (jeux d’argent, prostitution, etc.).

3° Les dommages envers soi (toxicomanie, suicide, etc.).

Souvent des actes relevant de ces catégories ont été considérées comme moralement répréhensibles. Pourtant, dans chaque cas, on peut se demander : « où sont les victimes, c’est-à-dire les personnes concrètes et physiques ayant subi des dommages contre leur gré ? ». Et la réponse est : « nulle part ». C’est pourquoi ce sont des pseudo-crimes, qu’on n’a pas le droit moral de condamner.

II – L’éthique minimale et l’amour homosexuel

1) L’amour homosexuel outragerait la nature humaine ?

On peut maintenant appliquer les principes de l’éthique minimale à l’amour homosexuel, et montrer que c’est un crime sans victimes.

Un premier argument contre l’homosexualité serait de dire qu’il outrage la nature humaine. Mais la « nature humaine » est typiquement une de ces entités abstraites comme Dieu ou la patrie. Quand j’outrage prétendument la nature humaine, je ne fais de tort à aucune personne concrète et physique. Par conséquent, je n’enfreins pas le principe de non-nuisance, et mon action n’est pas condamnable.

2) L’amour homosexuel nous souillerait ?

Un autre argument contre l’homosexualité serait de dire qu’en le pratiquant, l’individu se souille, fait quelque chose de honteux. Mais en vertu du principe d’indifférence à soi, on peut dire au contraire qu’il n’y a même pas besoin de savoir si c’est vrai ou non : le fait est que je n’ai pas de devoirs moraux envers moi-même. Il en découle donc également que personne n’a le droit d’interdire à un individu de pratiquer son homosexualité au nom de son propre bien (intervention paternaliste).

3) L’amour homosexuel nous nuirait ?

Un troisième argument est que l’amour homosexuel serait nuisible, par exemple parce qu’il générerait des troubles psychiques ou des maladies. Mais là n’est pas la question : quand bien même ce serait vrai (mais c’est faux !), l’individu a parfaitement le droit de se nuire à lui-même s’il le souhaite.

4) L’amour homosexuel, un pseudo-crime

Bref, l’amour homosexuel est donc un pseudo-crime : il ne cause de tort à aucune personne physique et concrète et ne peut donc être condamné que sur la base de justifications irrationnelles. En vertu du principe d’indifférence à soi et du principe de non-nuisance, l’amour homosexuel est parfaitement indifférent sur le plan moral.

Pour résumer :

  • Ogien défend une éthique minimaliste, c’est-à-dire une éthique qui consiste dans le principe d’indifférence à soi et le principe de non-nuisance.
  • Le principe d’indifférence à soi est l’idée que seul ce que je fais aux autres à une importance morale. Ce que je me fais à moi-même n’a pas de valeur morale (Van Gogh n’est pas moralement coupable de s’être coupé l’oreille).
  • Le principe de non-nuisance affirme que l’individu ne doit pas causer de tort à autrui.
  • La notion de « crimes sans victimes » renvoie à ces actes qui sont irrationnellement condamnés par la morale alors qu’ils ne nuisent à personne. Ce sont des pseudo-crimes.
  • L’amour homosexuel est un pseudo-crime : étant donnés le principe d’indifférence à soi et le principe de non-nuisance, il est clair qu’il s’agit d’une pratique moralement indifférente. Elle ne concerne que des individus consentants et ne nuit à personne.