coefficients maths 2023

Cette semaine, la BCE nous a communiqué les coefficients qui seront appliqués à partir du concours 2023 pour chacune des écoles affiliées à cette banque d’épreuves. Ces nouveaux coefficients étaient bien sûr très attendus dans le contexte de la réforme de la prépa ECG : les premiers étudiants y ont fait leur rentrée en septembre dernier, ils passeront donc les concours en avril et mai 2023.

Cette transition ne s’est pas faite sans accroc : les changements de modalité des épreuves (abandon de la contraction de texte, mise en place d’un résumé analytique en langue au détriment de la version…) avaient suscité de vives réactions d’une grande partie des professeurs de prépa dans les matières concernées.

Toute cette agitation, sans doute légitime au demeurant, a néanmoins eu pour effet de minorer le sujet le plus structurellement préoccupant pour la filière ECG : la question de l’enseignement (et de l’évaluation lors des concours) des mathématiques.

L’équilibre des filières avant la réforme Blanquer

Reprenons l’histoire. Avant la réforme Blanquer qui a aboli le système des séries du bac général (S, ES et L), la prépa économique et commerciale pour les étudiants titulaires d’un bac général (les bacs techno ayant leur propre filière, la prépa ECT) se divisait en deux sous-filières : ECS et ECE. La première s’adressait aux titulaires d’un bac S, la seconde, aux bacheliers ES. Deux différences seulement entre ces deux anciennes voies de prépa EC :

  • HGGMC vs. ESH. Les ECS étudiaient l’HGGMC pour histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain (désignée souvent sous le nom de “géopolitique” par abus de langage), les élèves d’ECE étudiaient l’ESH (économie, sociologie et histoire) ;
  • Maths ECS vs. maths ECE. Les deux programmes de maths étaient relativement proches en termes de notions abordées mais avec un niveau d’exigence plus poussé en ECS.

Et les choses fonctionnaient bien comme cela. L’interclassement (c’est-à-dire le fait qu’il n’y ait pas de quota par filière dans le recrutement des écoles) constituait un petit effet d’aubaine pour les ECE dont le niveau global était légèrement plus faible que les ECS. Il n’y avait guère que quelques prépas privées hors contrat pour s’engouffrer dans cette brèche, en faisant passer certains de leurs ECS en ECE (voire ECT) au cours du cursus. Ce à quoi la BCE et Ecricome avaient répondu en forçant le cloisonnement total des trois filières : à partir de 2018, il fallait justifier d’un bac ES, S et techno pour passer les concours respectivement en ECE, ECS et ECT.

In fine, les ECS représentaient à la louche environ 45% des effectifs, contre 40% pour les ECE et 15% pour les ECT.

Les maths, véritable bourreau de la prépa ECG

Suite à la réforme, ce système, désormais caduque, a été remplacé par la prépa ECG qui permet de composer librement entre maths appliquées et maths approfondies puis, d’autre part, entre géopolitique et ESH. Seul pré-requis affiché pour intégrer ces classes préparatoires : avoir suivi un enseignement de mathématiques en première ET en terminale.

Oui mais voilà, la réforme Blanquer a eu pour corolaire une réduction considérable du volume horaire de mathématiques au lycée, désormais hors du tronc commun et réduites au rang de spécialité (environ -18% d’heures de maths enseignées à l’échelle nationale).

Le nombre d’élèves qui suivent cet enseignement a lui aussi fortement chuté. Dans le détail, la réforme du lycée a surtout découragé de faire des maths les profils susceptibles de faire une prépa EC : la spécialité est insidieusement devenue l’apanage de celles et ceux qui veulent étudier les sciences dures dans le supérieur. Un seul chiffre (effrayant) corrobore ce constat : un tiers des garçons abandonne les maths entre la première et la terminale (il faut en effet conserver deux spécialités sur trois) contre… la moitié des filles ! Or la prépa EC est, en France, la seule filière paritaire qui permet de faire des maths à un haut niveau.

En somme, la prépa EC a énormément souffert de cette nouvelle donne dans le secondaire : les effectifs totaux en première année de CPGE EC sont passés de 10 447 à 9 354 étudiants entre 2020 et 2021, soit une baisse de 10,7% en une seule année.

Une distinction des niveaux de mathématiques qui ne fait plus sens

Ainsi, afin de conserver deux niveaux de mathématiques en ECG comme avant la réforme avec les ECS et les ECE, deux dénominations ont été créés : les mathématiques approfondies et les mathématiques appliquées. Soyons clairs : les maths appliquées n’ont rien d’appliquées ou presque. Il s’agissait de trouver deux noms qui soient politiquement corrects mais qui laissent transparaître l’idée d’un niveau relevé et d’un niveau plus abordable. Sauf que…

Plus de cloisonnement avant et après la prépa

Le fait est que, désormais, aucun cloisonnement n’est possible : d’abord en amont, les classes “maths approfondies” et “maths appliquées” peuvent théoriquement recruter des élèves qui, en terminale, ont suivi la spécialité maths couplée à l’option maths expertes (6+3 heures), la seule spécialité maths (6h), ou encore uniquement l’option maths complémentaire (3h).

Naturellement les classes prépas, quel que soit l’enseignement de maths qu’elles dispensent (maths approfondies ou maths appliquées), ont eu tendance à recruter les profils qui avaient fait le plus de maths possible en terminale. Pour autant, cette volonté s’est vite retrouvée confrontée à la réalité du terrain, et des candidats… c’est ainsi qu’on trouve une grande diversité de profils dans les ECG, avec des niveaux extrêmement hétérogènes, notamment pour les prépas maths appliquées. On peut trouver dans une même classe des étudiants qui ont suivi 9 heures, 6 heures, 3 heures, voire 0 heure de maths en terminale si le remplissage de la classe s’est avéré compliqué, comme cela est arrivé dans beaucoup d’établissements.

En aval ensuite, la BCE et Ecricome n’auront aucun moyen de savoir qui a fait maths approfondies ou maths appliquées pendant les deux ou trois ans de prépa. Rien n’empêche donc un étudiant de suivre deux ans d’enseignement en maths approfondies et de passer les concours en maths appliquées. Si on peut penser que les prépas publiques vont tenter de juguler ce phénomène, on voit mal les prépas privées passer à côté de cet effet d’aubaine manifeste.

Des programmes fondamentalement très proches

D’autant que, contrairement à ce qui avait été envisagé, les maths approfondies et appliquées restent intrinsèquement très proches : environ 75% du programme est basé sur les mêmes fondements, il ne sera donc pas très difficile pour un “maths appro” de pallier son retard sur les quelques notions propres aux maths appliquées. On peut ainsi estimer que la différence entre les deux programmes est peu ou prou équivalente à celle qui existait autrefois entre les maths ECS et ECE.

Des coefficients non discriminants

Sur les coefficients pratiqués en 2023 par les écoles de la BCE, donc : on aurait là aussi pu penser que l’intérêt de choisir maths approfondies aux concours reposerait précisément sur ce point. Dans la mesure où les mathématiques approfondies seraient fortement coefficientées, il serait opportun pour un profil très matheux de choisir cette voie plus exigeante, mais aussi plus “rentable” aux concours.

Sauf qu’il n’en est rien, ou presque : globalement, l’écart reste le même qu’entre ECS et ECE. C’est même pire que cela : à HEC Paris, les maths reculent d’un coefficient dans les deux voies (de 11 à 10 en maths appro, de 8 à 7 en maths appli). Quant à SKEMA BS, désormais sixième école de France au SIGEM, les coefficients entre maths appro et appli sont… identiques, et passent accessoirement de 6 à 5 par rapport à l’ancienne ECS. Une volonté marquée d’effacer la différence des filières ? Plus étonnant encore, il est curieux de constater que les maths approfondies sont même moins coefficientées que celles appliquées à IMT-BS, mais il pourrait s’agir d’une coquille (il manque en effet un coefficient sur 30 à l’école dans le tableau ci-dessous)

Vers un seul et unique niveau de mathématiques en ECG ?

Même si la réforme de la prépa EC vient tout juste d’être mise en œuvre, les étudiants ne s’y sont pas trompés : alors que la majorité des effectifs de prépa se trouvait précédemment en option ECS, les élèves en “maths appli” sont désormais légèrement plus nombreux. L’héritage encore fort des anciennes filières, ne serait-ce que dans les propositions de parcours au sein des établissements, couplé au fait que les étudiants n’ont pas encore conscience des enjeux du concours au sortir de la terminale, expliquent sans doute que ce basculement ne se soit pas (encore ?) transformé en un exode massif.

Si les choses n’évoluent pas rapidement, les effectifs en maths approfondies vont fatalement se réduire comme peau de chagrin et devenir l’apanage des lycées les plus cotés… et encore ! Si seuls subsistent les tous meilleurs en maths appro, quel intérêt ces derniers trouveront-ils à se battre “entre eux” autour d’une épreuve moyennée à 10 là où la voie des maths appliquées leur tend les bras ?  Dès lors, plusieurs scénarii se dessinent pour sauver (ou pas) le double niveau de maths.

La remise en question de l’interclassement

Première possibilité qui s’offre à la filière prépa EC / école de management : adopter le système des prépas scientifiques, qui consiste à allouer un nombre de places défini à l’avance pour chaque type de prépa (MP, PC, PT, etc.). En accordant un nombre de places important aux “maths appro”, on revitalise mécaniquement cette voie.

Néanmoins, il est très peu probable que cette mesure soit décrétée : avec la baisse des effectifs prépa conjuguée à l’augmentation continue des places au sein des écoles du top 10, les business schools pensent surtout à recruter des étudiants plutôt qu’à philosopher sur leur filière d’origine.

Donner une moyenne significativement plus élevée aux épreuves de maths approfondies

C’est sans doute la dernière variable d’ajustement : historiquement déjà, la moyenne des épreuves de maths ECS était environ un point supérieure à celle des épreuves de maths ECE. Il faudrait donc, pour conserver l’attractivité des maths approfondies, faire en sorte que la moyenne générale des épreuves soit nettement plus élevée que celle affiliée aux maths appliquées. Se pose également la question de l’écart-type des épreuves : le niveau des candidats en maths appliquées risque d’être particulièrement hétérogène…

Au fond, faut-il à tout prix sauver les maths approfondies ?

C’est une question presque philosophique, intimement liée à la question du recrutement des élites intellectuelles dans un pays qui a, historiquement, fait des mathématiques l’alpha et l’oméga de sa sélectivité.

Premier constat : le système tel qu’il se dessine en 2023 est profondément injuste. Il faut a minima parvenir à ce que les mieux lotis ne soient les plus opportunistes, mais les plus méritants. Deuxièmement, la réforme Blanquer s’est donnée pour mission de permettre à des profils éclectiques de capitaliser sur leurs points forts : il serait paradoxal qu’elle limite au contraire le champ des possibles pour les prépas EC, avec un unique niveau de maths et un seul jeu de coefficients au concours.

Au-delà de cette question d’équité, il est évident que le niveau global de maths en prépa EC risque fortement de chuter… alors, est-ce grave ? On constate en tout cas qu’historiquement, plus les écoles sont sélectives, plus le coefficient en maths est important. Si la plupart des diplômés d’écoles de management ne calculent pas les valeurs propres d’une matrice tous les jours dans leur travail, les mathématiques ont le mérite d’être une matière objective, où le niveau d’un candidat au concours est conforme à celui auquel il a été évalué pendant l’année, qui valorise le travail opiniâtre et qui démontre une capacité certaine à rationaliser et structurer sa pensée pour faire face à des problèmes complexes.

En un mot donc, la filière dans son ensemble va rapidement devoir trouver des solutions pour répondre à ce problème qui risque de se poser avec encore plus de force dès la prochaine édition de Parcoursup, au printemps 2022 ; il en va de la pérennité des CPGE économiques et commerciales. D’autant que la spécialité maths n’a pas été plus choisie par les lycéens en première cette année qu’en 2020…