Découvrez l’analyse du sujet de la dissertation de culture générale EDHEC-ESSEC 2018 

On ne va pas s’embêter. Comme les concepteurs remettent le même sujet, on ressort la même analyse, lue par 2734 personnes avant de repasser l’épreuve !

Introduction

Voilà un sujet plutôt étonnant, qui en dernière instance relèverait plutôt de la biologie que de la philosophie… Mais bon, bref, essayons de voir ensemble quelle analyse nous pourrions construire à partir d’un tel sujet. Cette analyse, bien entendu, n’a pas vocation à être une correction : le principal est que vous ayez construit une problématique cohérente, et que vos transitions aient un sens, en d’autres termes, que votre réflexion soit cohérente. 

Quelles erreurs pourrions-nous commettre face à un tel sujet ?

  • Il y a le risque, tout à fait relatif puisque vous n’êtes pas vraiment des scientifiques, de se borner à l’aspect biologique de cette question : rappeler que l’humain se définit par des caractéristiques exclusivement biologiques, sans sonder les autres aspects de l’humanité…
  • L’autre écueil consisterait à se focaliser sur la question “qu’est-ce que l’humanité” : il faut être capable de créer un lien entre les deux termes du sujet, autrement dit, de ne pas perdre de vue la relation entre corps et humanité. Typiquement, si vous vous bornez à analyser la frontière entre l’homme et l’animal, parce que l’humanité forme une communauté, etc., vous mettez de côté la notion de corps.
  • Une troisième espèce d’erreur serait de ne pas explorer les sens second et métaphorique du terme humain : l’humain n’est pas qu’une espèce, c’est-à-dire qu’il ne se définit pas seulement biologiquement, il y a aussi une définition éthique de l’humanité. 

Définir un corps, définir un corps humain :

1) Dans un premier temps, nous pourrions définir ce qu’est un corps, de manière générale, afin de préciser ensuite ce qu’est un corps humain.

Pour cela, je vous propose une définition très élégante écrite par J.J Rousseau au Livre IV de L’Emile dans “Profession de foi du vicaire savoyard” :

“Tout ce que je sens hors de moi et qui agit sur mes sens je l’appelle matière ; et toutes les portions de matière que je conçois réunies en êtres individuels, je les appelle des corps.

Ce qui est intéressant dans cette définition, c’est que chaque élément de matière constitue un corps : ainsi, dans la nature, il y a des multitudes de corps, sauf que seuls certains d’entre eux peuvent prétendre au statut de corps humain.

2) C’est de cette difficulté même à définir ce qu’est un corps humain, c’est-à-dire, à expliquer pourquoi certains éléments de matières qui forment un corps appartiennent à la catégorie humain tandis que d’autres non, qui nous permet de poser les bases d’une problématique.

Ainsi, il y aurait une norme, qu’elle soit arbitraire ou objective, qui déterminerait si un corps est humain ou non.  L’identification d’un corps, comme appartenant à la catégorie “humain”, se fait, spontanément, à partir de normes sociales : les membres d’une société se définissent comme humain, en opposition à ceux qui n’appartiennent pas à cette société, mais également, au sein d’une société, certains individus sont considérés comme des “monstres” et donc rejetés de cette catégorie humaine. Cette identification du corps humain, à partir de normes sociales, pose le problème de la subjectivité et de l’arbitraire de ces normes, c’est pourquoi l’on pourrait recourir aux normes objectives, comme celle de la biologie, pour définir un corps humainToutefois, cette “normativité” de la biologie, peut entraîner certaines dérives : on pourrait définir un corps humain idéal à partir duquel une hiérarchie pourrait s’établir, entre des corps plus ou moins humain. Nous voyons bien que l’édification de normes pour définir ce qui fait un corps humain est problématique. 

Problématique : L’identification d’un corps humain passe-t-elle seulement par l’examen de ses propriétés extérieures (propriétés sociales et biologiques ) ? 

Plan :

  1. Un corps humain se définit tout d’abord par des normes sociales
  2. Une norme biologique, plus objective, serait à même de définir l’unité des corps humains
  3. Or, une définition par la norme est insuffisante : le corps d’humain n’est pas nécessairement un corps humain : le corps est le signe qui renvoie à une humanité, qui est une propriété interne au corps.

Développement :

I. Une norme culturelle, établie socialement, permet de définir ce qu’est un corps humain : par conséquent, tous les humains ne seraient pas humains.

Les individus appartenant à une société se sont définis comme humain en opposition aux individus des autres sociétés (qui eux, sont les “barbares” ou “sauvages”) ; au sein des sociétés, certains individus sont relégués au statut de “monstre” et ainsi, le corps n’est pas considéré comme étant humain.

A) Inter société : l’opposition entre les Barbares et les civilisés, autrui n’est pas humain. 

  • Chez les Grecs, il y a une distinction entre les Barbares et les Grecs : les Barbares sont ceux qui vivent en dehors de la Cité, ils ne sont pas considérés comme des humains.
  • Dans Race et Histoire, Lévi-Strauss montre que l’ethnocentrisme est le propre de nombreuses sociétés : toutes les sociétés se définissent en opposition aux autres, et se considèrent comme appartenant à l’humanité.

B) Intra société

  • Le statut des monstres : des individus non-humain au sein d’une communauté humaine. Exemple : Elephant Man de David Lynch.
  • La connaissance du vivant de Canghuillem : pourquoi un corps monstrueux nous effraie-t-il ? En effet, on pourrait le trouver en décalage avec les corps normaux sans pour autant le trouver repoussant : ce ne serait pas un monstre, mais un humain différent. On peut faire l’analogie avec un sac rose ou un sac bleu : cela nous laisse indifférent qu’il soit bleu ou rose, oil s’agit d’un sac. Or, c’est précisément parce qu’il y a une différence que nous sommes effrayés. D’après lui, en voyant un corps monstrueux, on voit l’échec de notre propre type : nous sommes nous même un vivant et au travers d’un monstre, nous voyons ce que l’on risque comme vivant. C’est pourquoi on considère que le corps des monstres n’est pas un corps humain : nous ne souhaitons pas reconnaître que notre corps puisse subir de telles dérives.

Transition partie 2 : Ces distinctions sont assez floues : pourquoi tels membres d’une société ne seraient-ils pas humain ? pourquoi tels individus qui s’écartent d’une “norme”, plutôt subjective, ne seraient-ils pas humain non plus ? La biologie permet de dévaluer ces considérations plutôt arbitraires sur ce qu’est un corps humain. La vertu de la biologie pourrait être de donner une définition unitaire du corps humain : elle prouverait par là que ceux qui sont rejetés de cette catégorie, y appartienne.

II. On peut donner une définition unitaire du corps humain, mais il y a une dérive “normative” de la biologie : elle opposerait “bon corps humain” et “mauvais corps humains”  en établissant une hiérarchie (racisme, eugénisme)

A) Tout ces corps sont humains : d’un point de vue matériel, ils ont les mêmes propriétés, unité de ces corps

  • Certaines propriétés biologiques que des scientifiques ont défini : Cuvier, etc.
  • Certaines fonctionnalités qui seraient propres à l’homme : la main, le maniement des outils, que seuls un corps humain peut exercer. Vous pouvez citer Platon, dans le Protagoras : l’humain se caractérise par son dénuement, il n’a pas d’organe qui lui permet de se protéger contrairement aux animaux. Ou encore, Aristote, sur le rôle de la main comme propre de l’humanité.

B) Or, la biologie risque d’exclure, voire de hiérarchiser les corps humains en définissant une norme de corps humain idéal 

  • Les dérives racistes : au XIXème siècle, certains scientifiques tentent d’établir une norme idéale d’un corps humain. Cette norme, bien entendu ethnocentrique, vise à disqualifier les autres types d’humain (Africains, Asiatiques, etc.) : il y aurait une forme d’humanité plus développée, qui serait le corps occidental blanc, auquel s’oppose ces autres formes. On reconnait l’humanité de ces corps étrangers, ils appartiennent à l’espèce humaine, toutefois on ne reconnait pas l’unité de l’espèce humaine : c’est pourquoi le terme de race est utilisé. Cette entreprise de hiérarchisation des corps humains, sert des intérêts tout à fait subjectif : l’expansion coloniale et la domination des Blancs sur les autres peuples.
  • Les dérives eugénistes : Le corps humain idéal est un corps en bonne santé, vigoureux : les autres corps, malades, difformes ou encore plus faibles, seraient “moins humains” comparés à ce modèle. Chez Nietzsche, le degré d’humanité correspond au degré d’organisation des pulsions : une organisation pulsionnelle optimale correspond au “surhomme” et une anarchie pulsionnelle complète correspond à un état humain décadent. C’est ce type de raisonnement qui alimente les expériences eugénistes, qui vise à conserver l’élite de l’humanité, à partir de critères corporels : or, moralement, ces tentatives sont condamnables.

Transition partie 3 :

Comment ne pas sombrer dans une définition du corps humain qui établirait une hiérarchie entre ces derniers ? Il faudrait soutenir une position universaliste, qui établit une définition du corps humains qui ne serait pas simplement matérielle. Si un élément présent sur le corps, comme le le visage, renvoie à des propriétés intérieures qui permettent de définir ce qu’est l’humanité, il n’y aurait plus de hiérarchie entre corps humain : la possession de ces propriétés intérieures suffit à définir l’humanité du corps. D’autre part, le corps d’humain n’est pas forcément humain : quand le corps n’est pas le signe de l’existence d’un esprit, c’est un corps d’humain mais pas un corps humain (exemple : les zombies philosophiques)

III) Sonder les propriétés intérieures à partir de l’extériorité matérielle qui est le corps : elle permet d’atteindre une humanité, qui se définit par des critères moraux

Le corps humain n’est pas humain en tant qu’il possède des propriétés intrinsèques, mais en tant qu’ils renvoient à des propriétés qui constitue l’humanité : il est le signe de l’existence d’un esprit dans le corps. C’est une thèse que développe Lévinas, dans Ethique et Infini, au sujet du visage : le visage est un élément matériel, propre à un corps, qui est le signe d’une propriété interne à l’humanité, c’est-à-dire l’esprit. S’il n’y avait pas quelque chose de supérieur à la dimension matérielle, il serait difficile d’établir une spécificité de l’humanité : il y aurait bien des corps d’humain mais on ne saurait pas pourquoi ce serait des corps humains. La présence d’un esprit au sein de ce corps, indiqué par le visage, suffit à définir une humanité.

C’est ainsi que l’on échappe aux dérives normatives de la biologie : quelques soient les propriétés biologiques d’un humain, à partir du moment qu’il fait signe d’esprit, c’est un humain. Il n’y a pas de degré d’humanité : seul ce signe suffit.

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