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L’épreuve de culture générale HEC est une épreuve phare et redoutée du concours BCE. Cette année, le thème général portait sur le verbe Aimer. Dans cet article, retrouve l’analyse de Major Prépa du sujet de culture générale HEC pour la BCE 2022 !

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Notre proposition d’analyse du sujet HEC/emlyon 2022

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Analyse des termes

Le sujet “Aimer, est-ce se perdre ?” ne peut pas faire l’économie d’une analyse des deux pôles du sujet : les expressions “aimer” et “se perdre”. Si la signification du verbe aimer vous est déjà familière, l’expression “se perdre” mérite de passer du temps dessus au brouillon pour en cerner les principaux sens.

Le sujet est une question fermée, à laquelle il faut répondre par oui ou par non. Ce format de question présente des avantages et des inconvénients. D’une part, il permet de trouver facilement une thèse et une antithèse. En revanche, la transition de la thèse à l’antithèse doit être amenée avec finesse. La difficulté de ce format est alors de proposer une vraie progression dans l’analyse du sujet, en démontrant comment chaque étape de la réflexion aboutit naturellement à la suivante, sans opposer le “oui” et le “non” de façon artificielle. Il convient d’autant plus d’accorder une importance particulière à l’étape de problématisation au brouillon qu’il semble aisé de s’en passer.

Tout d’abord, il convient d’identifier les présupposés du sujet. Pourquoi la question est-elle posée ? Si personne ne pensait qu’aimer, c’est se perdre, la question ne serait pas posée. Quelle est donc sa pertinence ? Dans quel contexte peut-il nous arriver de penser qu’aimer, c’est se perdre ? Cependant, la question n’est pas non plus une affirmation. On en déduit que la réponse à cette question est délicate : quelque chose en nous résiste à l’affirmation qu’il y a un lien direct entre le fait d’aimer et le fait de se perdre, quels que soient le sujet et l’objet de cet amour.

Pour la définition du verbe aimer, nous pouvons retenir de façon liminaire la définition de l’Académie française : « éprouver pour quelqu’un une inclination tendant à l’union », tout en gardant à l’esprit que ce verbe a des sens multiples. On peut déjà penser aux trois formes de l’amour chez Platon : agapè, éros et philia. Il convient aussi de noter que le verbe aimer est un verbe transitif. On ne peut donc pas se contenter de réfléchir au verbe “aimer” de façon isolée, il faut se demander : aimer quoi ? aimer qui ? On peut aussi se demander : qui aime ? Aimer comment ? Comment se manifeste cet amour ? Cette série de questions permet d’élargir le sujet pour mieux en interroger les termes.

L’expression “se perdre” pose davantage problème. Contrairement au verbe “aimer”, vous ne pouvez pas vous raccrocher aux connaissances accumulées cette année pour la définir. Le travail de définition au brouillon est alors d’autant plus important pour ce terme polysémique. On distingue d’emblée deux façons d’envisager cette expression. D’une part, on peut l’envisager comme un tout à part entière : “se perdre” est un verbe pronominal qui signifie s’égarer, être incapable de s’orienter grâce à des repères, s’éloigner d’un chemin prédéfini. Aimer pourrait être se perdre au sens ou nos sentiments nous placent dans une situation inconnue, où l’on ne peut plus s’appuyer sur des repères familiers. C’est aussi s’éloigner d’une ligne de conduite, celle de la raison par exemple.

D’autre part, perdre est également un verbe transitif qui peut être utilisé sans pronom réfléchi. Dans l’expression “se perdre”, l’objet de l’action perdre est soi-même. Il faut alors distinguer les divers sens du verbe “perdre” d’une part, et de “se” d’autre part. On peut notamment relever les sens suivants :

  • Être privé d’une chose ou d’une personne
  • Laisser échapper ce dont on disposait, c’est-à-dire ce qui était sous notre contrôle, ce dont on était maître
  • Faire un mauvais emploi d’une chose : perdre son temps
  • Ruiner, déshonorer : mener quelqu’un à sa perte

Si l’on se concentrera sur les deux premiers sens du terme, il est intéressant de garder les deux suivants à l’esprit tout au long du sujet pour jouer sur la polysémie du terme. Dans tous les cas, il convient aussi de garder en tête l’idée de “repère”. On peut aussi s’interroger sur la temporalité du verbe “se perdre”. Est-ce une perte temporaire, qui autorise le fait de retrouver la chose perdue ? Ou au contraire, est-ce une perte définitive, comme dans l’expression “tout est perdu” ?

Enfin, le verbe “être” ne doit pas faire l’économie d’une analyse, même brève. Il est conjugué au présent de vérité générale. On peut l’interpréter de deux façons :

  • Premièrement, le verbe “être” peut correspondre à un lien d’équivalence : aimer = se perdre. Cette interprétation peut être rapidement écartée, car se perdre n’implique pas toujours d’aimer.
  • Deuxièmement, le verbe “être” peut correspondre à une relation de cause à effet : aimer a toujours pour conséquence de se perdre.

On peut alors comprendre de deux façons la thèse “Aimer, c’est se perdre” :

  • Soit le fait d’aimer, en lui-même, a pour conséquence directe de se perdre. C’est alors le sentiment d’amour qui est en cause.
  • Soit le fait d’aimer nous fait agir d’une façon telle que l’on se perd. C’est alors le comportement et la façon d’agir que provoque le sentiment d’amour qui sont en cause.

Problématisation

Le verbe “se perdre” est d’emblée paradoxal : comment serait-il possible de se perdre, alors que le soi est justement sujet de l’action de perdre ? Autrement dit, comment peut-on être dépossédé de soi, alors que le soi est la condition de toute expérience consciente ? Qu’est-ce qui, dans le fait d’aimer, peut mener à une telle dépossession ? Là où le verbe transitif interroge le changement dans la relation à soi que provoque le sentiment amoureux, le verbe pronominal interroge aussi notre rapport au monde, à des valeurs qui nous sont extérieures.

Associer le fait d’aimer et de se perdre est d’autant plus étonnant que celui qui aime est justement celui qui s’engage. Aimer relève d’un sentiment amoureux subi, qui peut donner l’impression de ne plus être maître de ce que l’on ressent. On peut même ne plus être maître de ce que l’on veut, car l’on veut le bonheur de l’autre avant le sien propre. Aimer empêche alors d’être libre, au sens où la liberté consiste à vouloir librement. Cependant, aimer relève aussi d’un engagement. En cela, aimer est aussi un acte posé librement, qui engage le sujet libre tout entier.

Confronter les verbes d’aimer et de se perdre soulève donc un paradoxe. D’une part, le fait d’aimer subordonne la possibilité de son propre bonheur aux émotions changeantes et incertaines d’autrui : joie de l’amour partagé, désespoir de l’amour refusé. Cela provoque des émotions fortes qui donnent le sentiment d’une perte de contrôle sur soi. Celui qui aime peut ne plus se reconnaître dans ses propres actions. Aimer provoque alors une forme d’aliénation : celui qui aime à la folie se perd lui-même, il devient “fou” de l’objet de son amour. D’autre part, aimer est un acte de pure liberté qui ne peut être posé qu’en pleine conscience de soi.

On pouvait donc, parmi d’autres possibilités, traiter la problématique suivante : Comment l’acte d’aimer, qui implique un renoncement initial à soi, permet-il non pas de se perdre, mais de s’accomplir ?

Proposition de plan

PARTIE – I : Le fait d’aimer en soi est l’expression d’une affinité naturelle, il exprime et révèle le “soi” plutôt que de le perdre 

Ce grand -I est l’occasion de présenter les divers sens du verbe aimer. On peut montrer alors comment, pour l’opinion commune, aimer ne revient pas à se perdre. Au contraire, aimer est l’expression d’un goût personnel et exprime notre personnalité propre.

1 L’inclination d’amour exprime le soi car elle émane de la personnalité propre de celui qui aime : exemple de la philia 

Dans ce paragraphe, l’amour au sens de philia peut être examiné. L’inclination d’amour est naturelle. Elle émane de sa personnalité propre : on peut aimer une activité, un lieu, une œuvre d’art… Ces goûts sont particuliers et personnels, mais peuvent être motivés par des raisons objectives. Par exemple, chez Aristote, l’amour pour une personne est éveillé par ses qualités particulières. Il n’est pas déraisonnable.

De même, l’amour que l’on porte à un ami témoigne d’une affinité particulière. L’expression célèbre “Parce que c’était lui, parce que c’était moi” est utilisée par Montaigne pour expliquer son amitié profonde pour Etienne de la Boétie avant la mort prématurée de ce dernier. Elle montre que cet amour, sans explication, est lié à leurs affinités particulières.

Que l’amour soit une émotion ne le rend pas condamnable et irraisonnable. Il est au contraire naturel, comme l’indique Rousseau : “Nos passions sont les principaux instruments de notre conservation : c’est donc une entreprise aussi vaine que ridicule de vouloir les détruire.”

2 L’amour de son prochain est un principe raisonnable et un repère moral : exemple de l’agapè

Dans ce paragraphe, l’amour au sens d’agapè peut être examiné. Cet amour renvoie à la charité, qui se retrouve par exemple dans la doctrine morale chrétienne : “Aimez-vous les uns les autres”. Il s’agit également de l’amour partagé au sein d’une famille ou qui tempère naturellement les relations humaines, semblable par exemple à la pitié ressenti par l’homme à l’état de nature chez Rousseau.

3 Même s’il semble a priori déraisonnable, l’amour pour l’être aimé permet l’amélioration de soi : exemple de l’éros

Si l’éros est une forme d’amour passionnelle, il ne provoque pas pour autant la perte du sujet qui aime. Au contraire, chez Platon, le personnage de Phèdre affirme que l’amour permet à l’homme de s’améliorer sur les plans éthiques et politiques. En effet, l’homme qui aime veut être bien vu de l’être aimé. Cela l’encourage à agir de façon exemplaire. De même, il est prêt à d’importants sacrifices de soi par amour. Aimer a ainsi des vertus et permet le progrès de soi. Or, selon Aristote, c’est justement la pratique de la vertu qui permet à l’homme d’atteindre le bonheur.

PARTIE – II : Cependant, si le fait d’aimer par lui-même n’a pas pour conséquence directe de se perdre, il est l’origine de sentiments et de comportements aliénants 

1 Aimer dépossède de soi par les sentiments violents et le comportement déraisonnable qu’il provoque 

Le sentiment amoureux peut empêcher de disposer de soi. L’homme amoureux ressent cet amour de façon physique, par des symptômes qu’il ne peut contrôler. Il n’est alors plus maître de soi, mais soumis à des émotions violentes. Le personnage de Phèdre, chez Racine, s’exclame à propos d’Hippolyte : “Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue : / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler. / Je sentis tout mon corps et transir et brûler. / Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables, / D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.”

Aimer fait aussi perdre la raison et provoque des comportements incompréhensibles. Lorsqu’il n’est plus soumis à la raison, l’homme qui aime ne peut plus non plus se comprendre. Il se perd au sens où il ne peut plus se saisir. Cela rend étranger à soi et même monstrueux. C’est le cas du personnage de Médée, prise de folie lorsqu’elle est répudiée par Jason, dont elle est éperdument amoureuse.

Aimer écarte ainsi de la voie bien tracée d’un comportement moral, dicté par la raison et le devoir. La pièce Titus et Bérénice de Racine renvoie ainsi à l’amour de Louis XIV pour Marie Mancini, nièce de Mazarin. Si Louis XIV décide d’abdiquer son amour pour faciliter l’alliance matrimoniale de celle-ci avec la cour d’Autriche, Mazarin lui reproche précisément que cet amour le perde, en le détournant de son rôle de roi. De même, l’amour porté par le prêtre Frollo à Esmeralda dans Notre Dame de Paris de Victor Hugo est condamné par l’Eglise, car il est supposé résister aux plaisirs de la chair.

2 Aimer repose sur l’illusion d’une possible maîtrise de l’autre, cela provoque donc une perte de repères 

Aimer repose sur plusieurs illusions. Qu’aime-t-on quand on aime une personne ? Pascal montre qu’il n’est pas si simple de répondre à cette question. En effet, on peut aimer les qualités d’une personne, mais jamais cette personne elle-même. On a même tendance à l’idéaliser, comme le montre l’idée de cristallisation chez Stendhal. Aimer quelqu’un, c’est ainsi chercher à conquérir une illusion et chercher à s’approprier ce qui nous échappe. Lévinas dans Ethique et infini montre en effet qu’autrui est une figure toujours insaisissable, qui ne peut pas être contenue dans la pensée humaine.

Nietzsche renverse les conceptions classiques de l’amour en montrant qu’il s’agit avant tout d’un désir d’appropriation qui détourne de la morale. Aimer est donc une double illusion : sur l’objet de son amour et sur les intentions du sujet qui aime.

Selon Schopenhauer, il s’agit de plus d’une illusion de l’espèce qui fait naître en nous un désir de l’autre pour tromper notre volonté et permettre la reproduction, et par-là la survie de l’espèce.

3 Aimer est aliénant dans la mesure où cela condamne à la dépendance donc à la souffrance 

Aimer repose enfin sur le renoncement à sa propre indépendance. Dans son traité De l’amitié, Simone Weil montre qu’il repose sur un paradoxe. Celui qui aime souhaite la liberté de la personne aimée, mais en même temps ne peut la souhaiter, car elle l’empêche d’exercer une emprise sur cette personne. Or laisser à celui qu’on aime la liberté, c’est se rendre vulnérable et accepter de mettre son bonheur entre les mains d’autrui.

Résister à la nécessité de se laisser voir dans sa vulnérabilité est illusoire. L’exemple du personnage d’Ariane Deume, dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen, montre que la volonté de contrôle sur soi et sur la relation à l’être aimé est mortifère. Le refus d’Ariane Deume d’accepter qu’aimer passe par un abandon de soi crée de fait une relation monstrueuse.

Par la dépendance que cela implique, aimer condamne ainsi à la souffrance. Selon Sade, l’amour est même comparable à une maladie dont l’homme doit chercher à se guérir.

Par exemple, dans Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, le paysan Gilliat tombe amoureux de Déruchette, la fille de Mess Lethierry, un vieux loup de mer. Cet événement marque une rupture importante dans sa vie. En effet, Mess Lethierry promet de donner sa fille en mariage à qui sauverait son navire. Lorsque Déruchette épouse malgré tout un autre, de tristesse, Gilliat se laisse submerger par les eaux . L’amour l’a alors littéralement perdu.

PARTIE – III : Finalement, aimer c’est se (re)trouver, car c’est l’acte le plus engageant que le sujet libre puisse poser 

1 Aimer permet d’acquérir une meilleure connaissance de soi et de ses limites 

Accepter la vulnérabilité qu’implique la relation à l’être aimé permet de se connaître davantage. Avoir l’impression de se perdre dans un premier temps permet finalement de mieux se retrouver par la suite.

Par exemple, le mythe des androgynes présenté dans Le Banquet de Platon explique l’origine du désir amoureux. Les êtres étaient originellement des sphères, séparés en deux par les dieux. L’homme séparé de sa moitié souffre d’un manque, qu’il ne peut combler qu’en cherchant à retrouver la plénitude dont il est désormais privé. Notre désir amoureux, s’il nous donne l’impression de nous perdre, révèle aussi le désir d’union propre à notre nature.

De même, dans Le phénomène érotique, Jean Luc Marion explique comment la relation corporelle propre à l’acte d’aimer permet à chaque membre du couple de parvenir à une plus grande connaissance de soi. Chacun se découvre corps sentant et capable d’émotions par le truchement de l’autre. En plus de cela, chacun des deux ressent l’autre se sentant. L’amour est alors le chemin qui nous mène vers une plus grande union avec nous-mêmes.

2 En permettant cette meilleure connaissance de soi, aimer permet d’engager authentiquement sa liberté 

Fort de cette connaissance de soi et de sa capacité à assumer sa vulnérabilité, l’homme est capable de se donner de façon authentique. Aimer n’est alors pas se perdre, mais il s’agit d’un choix engageant, qui place des jalons le long de notre existence. Pour Sartre, être l’objet d’un tel amour, acte posé librement, permet à l’homme de se sentir justifié d’exister, de ne plus souffrir d’une existence contingente. Il écrit en effet dans L’Être et le Néant : « C’est là le fond de la joie d’amour : nous sentir justifiés d’exister, nous sauver de notre facticité ».

L’amour est ainsi seule possibilité d’une relation authentique, qui appréhende l’autre comme à la fois vulnérable et insaisissable, car il me dépasse infiniment.

3 Aimer le divin est la voie la plus pure vers la perfection 

Finalement, c’est le fait d’aimer le divin qui permet le plus sûrement de se trouver. Il s’agit en effet de placer son amour dans la seule personne qui ne peut le décevoir.

Chez Plotin, dans les Ennéades, la relation à la divinité est ainsi une relation de désir, qui s’accomplit dans l’union éternelle avec l’Un, principe de toutes choses, objet de cet amour. Tourner son regard vers l’Un par la méditation intérieure provoque immédiatement un amour puissant par lequel on progresse vers une union dans une félicité parfaite. Cet amour est celui d’une harmonie profonde qui unit toutes choses. Par l’accomplissement de l’union avec l’Un, l’homme s’inscrit dans cette harmonie universelle à laquelle il aspire.

Cet amour du divin se retrouve dans la religion chrétienne. Ainsi, dans le manuscrit autobiographique Histoire d’une âme, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus cite les paroles suivantes du cantique spirituel de N. Père St Jean de la Croix : « maintenant tout mon exercice est d’aimer ». Le progrès vers la vérité se fait alors non pas sur la voie de la raison, mais sur celle de l’amour, qui permet une connaissance plus intime que toute relation fondée sur la raison seule.