La culture générale est une matière importante, à ne pas négliger mais que la plupart des candidats ne savent pas vraiment appréhender. Beaucoup disent que la note est totalement aléatoire, mais pourtant, obtenir une bonne note nécessite surtout d’être concentré et de construire un raisonnement logique et cohérent. Retrouve dans cet article l’analyse du sujet de Culture générale EDHEC 2022. Si tu n’as pas encore lu le sujet, retrouve le ici.

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L’analyse du sujet de culture générale EDHEC ESSEC 2022

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Analyse des termes et problématisation

Le sujet interroge la citation suivante : « il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour » (Maximes, La Rochefoucauld). Le sujet est présenté sous forme d’affirmation à discuter. Contrairement à un sujet notion, plus dense, il faut d’abord identifier la position générale de l’auteur plutôt que de commencer par définir les termes du sujet mot à mot. Vous pouvez vous demander : Que pense l’auteur ? Comment s’y prend-il pour communiquer sa position ?

Après avoir identifié cette thèse, il convient de comprendre les présupposés qui sous-tendent l’affirmation. On comprend que La Rochefoucauld, auteur moraliste du XVIIe siècle, dénonce la facticité du sentiment amoureux. Il met en cause un sentiment amoureux qui serait feint, adopté comme façade, ou qui serait induit socialement par le discours qu’on porte dessus. L’amour est en effet un thème récurrent dans les salons du XVIIe. Le sentiment amoureux pourrait être de nature sociale et non un sentiment naturel et intuitif. Ainsi, les couples de notions nature/culture et inné/acquis sous-tendent ce sujet.

Pour la définition du terme du sujet, plusieurs expressions peuvent être examinées :

  • Être amoureux signifie « être épris de quelqu’un » (Dictionnaire de l’Académie française), c’est-à-dire être saisi d’un sentiment très vif pour une personne. On peut s’interroger sur la genèse de ce sentiment amoureux : faut-il avoir entendu parler d’amour pour tomber amoureux ?
  • L’amour peut se définir comme un « mouvement de l’âme qui pousse à établir une relation intime avec un être » en vue d’un bien. Il désigne aussi une « attirance physique et sentimentale ». (Dictionnaire de l’Académie française). On peut prêter attention à l’article devant le terme « amour » : il s’agit non pas d’entendre parler d’« amour », mais de l’« amour ». Cet Amour est déjà d’une certaine façon idéalisé, il unifie l’ensemble des conceptions de l’amour qu’on peut avoir. Pourtant, on peut penser qu’il n’y a pas d’Amour, mais plutôt des amours, vécus de façon différente par chacun. On peut se demander : si chacun est amoureux de façon particulière, l’« amour » lui est-il unique ?

Deux couple d’expression s’opposent. D’une part, il convient d’interroger la différence entre sentiment amoureux et amour. Là où le sentiment amoureux est un ressenti, la définition de l’amour y ajoute un mouvement et un désir d’union. Ces deux termes sont à distinguer du verbe aimer, thème de l’épreuve de culture générale pour l’année 2021/2022.

D’autre part, on relève une opposition entre les verbes « être » (amoureux) et « entendre parler ». Dans le deuxième cas, une information nous est communiquée de l’extérieur par le biais de nos sens, tandis que le premier cas relève d’un ressenti intérieur. On identifie ainsi un autre couple de notion : intérieur/extérieur. Là où le sentiment amoureux est subi, le discours sur l’amour est reçu par l’intermédiaire du langage.

Entre autres, on peut s’interroger sur le paradoxe suivant. Comment expliquer que la capacité à ressentir le sentiment amoureux, inclination innée vers une personne, puisse être attribué à un discours extérieur sur l’amour indépendant de notre ressenti singulier ? En effet, quand bien même on nous vanterait les joies de l’amour, cela ne peut suffit à faire naître un sentiment amoureux. De plus, le discours portant sur l’amour l’associe souvent à une souffrance, qu’on ne saurait raisonnablement rechercher.

On pouvait donc, parmi d’autres possibilités, traiter la problématique suivante : Le sentiment amoureux peut-il rester sincère dès lors qu’il s’inscrit dans une représentation commune véhiculée par un discours sur l’amour ?

 

Proposition de plan

PARTIE – I : Le sentiment amoureux est indépendant de la connaissance préalable d’un discours sur l’amour 

1 Le sentiment amoureux est naturel et intuitif 

Le sentiment amoureux ne fait d’abord l’objet d’un enseignement. Il est d’abord ressenti de façon singulière, d’autant plus qu’il est propre à la nature humaine. En effet, le personnage de Phèdre dans Le Banquet de Platon explique qu’Eros, dieu de l’amour, est le plus ancien des dieux. Toute relation d’amour provient de ce dieu originel. Elle est ainsi naturelle chez l’homme. D’après le mythe des androgynes, exposé dans la même oeuvre, le désir amoureux fait partie de notre nature même. Les êtres humains étaient originellement des sphères, qui sont coupées en deux par les dieux. Le désir amoureux provient de cette séparation de notre moitié, que nous sommes condamnés à subir.

2 Le sentiment amoureux est d’autant moins subordonné au fait d’entendre parler d’amour qu’il est souvent non souhaité et accompagné de souffrances 

Le sentiment amoureux naît de façon spontanée à la rencontre de l’autre. Ainsi, dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux, Silvia doit épouser Dorante, qu’elle ne connait pas. Pour l’étudier discrètement, elle se fait passer pour Lisette, sa femme de chambre. Dorante emploie le même stratagème et change de rôle avec Arlequin, son valet. Contre leur gré, Silvia et Dorante s’éprennent l’un de l’autre en pensant tomber amoureux d’une personne d’un degré de noblesse inférieur au leur.

Si l’issue est ici heureuse, elle peut aussi s’accompagner de souffrances. C’est par exemple le cas dans Le Cid de Corneille, dans lequel Chimène est amoureuse de Don Rodrigue, l’assassin de son père. De même, dans La Princesse de Clèves, de Madame de Lafayette, Mademoiselle de Chartres et le duc de Nemours tombent amoureux. Cependant, Mademoiselle de Chartres est mariée au prince de Clèves. Par sens du devoir, elle choisit de se retirer de l’amour et d’avouer sa passion secrète à son mari, qui en meurt de chagrin. Enfin, dans Les affinités électives de Goethe, presque l’ensemble des personnages sont condamnés à souffrir d’un amour contraire à la morale. Le couple d’aristocrates Edouard et Charlotte reçoivent le Capitaine, un ami d’enfance d’Edouard, et Odile, nièce de Charlotte. Or, Edouard et Odile d’une part, et Charlotte et le Capitaine d’autre part, tombent amoureux. Ce sentiment mal venu est funeste et aboutit à la mort d’Odile et d’Edouard, qui dépérit de chagrin.

3 Entendre parler d’amour permet cependant d’identifier un sentiment complexe comme étant le sentiment amoureux

Il convient de nuancer la citation de La Rochefoucauld : on pourrait dire qu’entendre parler d’amour ne fait pas tomber amoureux, mais permet d’identifier ce sentiment amoureux. Entendre parler d’amour fournit un langage et permet de nommer ce qui est ressenti. Les symptômes physiques du sentiment amoureux ne permettent pas de l’identifier immédiatement, comme le montre l’expression par Phèdre de ce qu’elle ressent à la vue d’Hippolyte, dans la pièce éponyme de Racine : “Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue : / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler. / Je sentis tout mon corps et transir et brûler. / Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables, / D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.”

Par exemple, dans Les Misérables, Cosette est dans un premier temps incapable d’identifier le sentiment amoureux qu’elle éprouve pour Marius. “Cosette ne savait pas ce que c’était que l’amour. Elle n’avait jamais entendu prononcer ce mot dans le sens terrestre. […] Elle n’eût donc su quel nom donner à ce qu’elle éprouvait maintenant.”

PARTIE – II : Si le sentiment amoureux n’est pas toujours induit, il peut être l’objet d’un jeu social

1 L’amour est social comme thème récurrent des chants et salons 

L’amour courtois apparait comme objet du chant des troubadours. Il s’agit de la fin’amor, où l’amoureux transi chante son amour déçu pour une dame qu’il courtise, mais qui lui est inaccessible. Au XVIIe, l’amour est encore le grand sujet des salons. Il est largement abordé dans la littérature galante, qui traite du jeu amoureux. L’amour est alors davantage un jeu qu’une émotion subie. Elle a pour objet de divertir un public lettré et fait office de marqueur social. Elle se développe dans des salons précieux tels que l’hôtel de Rambouillet, où des poètes tels que Vincent Voiture amusent la haute société par des sonnets galants, tels que le Sonnet à Uranie.

L’amour est alors codifié. Par exemple, dans Clélie, histoire romaine, Mademoiselle de Scudéry expose la carte du Tendre, qui retrace les étapes de la vie amoureuse. Elle passe par exemple par des villes telles que Billet galant, Billet doux et Sincérité.

2 Le sentiment amoureux repose sur l’image factice que l’on se fait d’autrui 

Le sentiment amoureux repose sur une illusion assumée, l’image factice que l’on se fait d’autrui. Il est l’occasion d’idéaliser l’être aimé. Il passe en effet par une cristallisation, processus expliqué par Stendhal dans De l’amour. Le sentiment amoureux ne porte pourtant jamais vraiment sur la personne en elle-même, il est en partie feint et exagéré. Pascal dénonce cette illusion en montrant que l’on n’aime en réalité que les qualités d’une personne, et non la personne même.

3 Le sentiment amoureux est en fait une illusion que l’on se construit à partir de récits 

Le sentiment amoureux n’est identifié comme tel que parce qu’il est entouré d’un récit qui le romantise. Les récits dans lesquels il s’inscrit cachent son aspect factice. Ainsi, les romans dévorés par Madame Bovary dans son couvent, dans le roman éponyme de Flaubert, imprègnent son imagination jusqu’à lui faire rêver d’un amour aussi flamboyant que dans les romans. Elle désespère de ne pas trouver cet amour dans la réalité, jusqu’à décider de mettre fin à ses jours dans une dernière tentative de rendre sa vie romanesque.

Selon Schopenhauer, le récit qui entoure le sentiment amoureux cache en fait qu’il ne s’agit que d’une illusion pour masquer la nécessité de reproduction de l’espèce. Omniprésent dans la littérature, le discours sur l’amour permet de rendre cette reproduction attirante.

PARTIE – III : Le discours sur l’amour trahit en réalité l’amour, si bien que le sentiment amoureux n’est sincère que lorsqu’il fait abstraction de l’amour comme objet de discours 

1 Le sentiment amoureux tel qu’il est véhiculé par les discours sur l’amour est inapte à dire la réalité de l’amour 

Les mots posés sur l’amour le travestissent. Ainsi, pour La Rochefoucauld, l’amour n’est plus amour dès lors qu’il est énoncé comme tel : “S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorants nous-mêmes.” Pire encore, dès lors qu’il fait l’objet d’une énonciation, le sentiment amoureux échoue à se dire. Ainsi, dans son poème “Je vis, je meurs”, Louise Labbé juxtapose des champs lexicaux opposés et multiplie les oxymores pour essayer de dire le sentiment amoureux.

L’amour ne peut donc, inversement, se réduire à ce qui est entendu de l’amour, qui est nécessairement en-deçà du réel.

2 Plus encore, parler d’amour gâte l’amour en en faisant une chose commune et en le privant de sa puissance 

Il semble que si le langage peut chercher à dire le ressenti individuel, il ne peut jamais dire l’amour lui-même. Le discours sur l’amour est toujours inadapté. Victor Hugo écrit ainsi dans Les Misérables : “On a tant abusé du regard dans les romans d’amour qu’on a fini par le déconsidérer. C’est à peine si l’on ose dire maintenant que deux êtres se sont aimés parce qu’ils se sont regardés. C’est pourtant comme cela qu’on s’aime et uniquement comme cela.” Si le sentiment amoureux peut être recherché et exagéré, ce n’est jamais le cas de l’amour, qui reste inexplicable.

3 Finalement, ces réflexions mettent en avant une différence de nature entre aimer et être amoureux 

Contrairement au sentiment amoureux qui est unilatéral, l’amour se pense dans un couple. Associé au verbe aimer, il est déjà un engagement de l’âme par lui-même. Pour revenir sur la définition donnée de ce terme initialement, il vise l’union de deux être. Au contraire, le sentiment amoureux est d’abord solitaire et relève de l’individuel pur.

Par exemple, dans son poème A une passante, Baudelaire décrit comment un simple regard le fait éprouver un sentiment amoureux à l’égard d’une inconnue. De même, Verlaine associe ce sentiment à une femme inconnue et multiple qui apparait dans ses rêves dans Mon rêve familier. Si le verbe aimer est employé, on peut songer que ce verbe ne prend en réalité de sens que comme engagement d’une liberté. En ce sens, La Rochefoucauld n’aurait pas pu dire « il y a des gens qui n’auraient jamais aimé s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour »