Le sujet proposé par l’ESCP (et maintenant SKEMA) était, comme prévu par nos pronostics, un très beau sujet mêlant croissance et environnement. L’intitulé était très clair, bien formulé, déjà sous une forme problématisée, dans la ligne des précédents sujets proposés par l’ESCP.

Dans quelle mesure la contrainte environnementale peut-elle modifier les conditions de la croissance ?”

Analyse des termes du sujet

Analyse préliminaire

Le terme de contrainte environnementale n’était pas anodin. Il comporte en effet un présupposé qu’il ne fallait pas manquer d’interroger : l’environnement est-il bien une contrainte ? La contrainte peut être définie par le résultat de l’action de quelqu’un ou de quelque chose qui nous force à agir contre notre volonté, une pression morale ou physique, une violence.

Or, ce terme, dans sa formulation, entre en conflit avec “peut-elle” (et le “dans quelle mesure”). En effet, une contrainte ne “peut” pas, elle agit, un point c’est tout. Sinon, ce n’est pas une contrainte, c’est au mieux une menace, une préoccupation ou une interrogation. C’était l’indice qu’il était nécessaire de traiter le caractère coercitif ou non de la question environnementale. Cet axe du sujet devait à la fois être traitée du point de vue factuel (l’environnement court-il bien un danger important ?) et du point de vue des consciences des citoyens et des décideurs politiques (cette question est-elle vraiment prise en compte dans les décisions des individus et des Etats ?). En d’autres termes : l’environnement est-il une contrainte ?

Définition des termes

Avec tous ces éléments, on pouvait définir les principaux termes du sujet comme suit.

La contrainte environnementale pouvait être définie à la fois comme les risques courus par la société d’une dégradation de l’environnement et comme la prise en compte de la question environnementale par les sociétés. L’environnement peut être ici défini comme l’ensemble des ressources naturelles (fossiles, eau, air). Ces ressources naturelles sont susceptibles d’être dégradées par les activités économiques.

Les conditions de la croissance désignent la manière dont la croissance peut-être mise en oeuvre. Cela comprend à la fois les règles du jeu économique (par exemple la possibilité d’utiliser des ressources naturelles dans les activités économiques), mais aussi les règles institutionnelles, c’est-à-dire inventées par les hommes.

Problématisation et références utilisables

On pouvait partir de la prise en compte de la question environnementale avec la publication du rapport Meadows en 1972, établi à la demande du Club de Rome. Ce rapport dresse un tableau apocalyptique des conséquences de la poursuite de la croissance. Les conclusions alarmistes contribuent à la sensibilisation de la communauté internationale aux problèmes de la préservation de l’environnement. Ainsi, en 1972, à Stockholm, la Conférence des Nations Unies pour l’environnement institue le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dont la portée est cependant limitée du fait des faibles moyens financiers qui lui sont attribués. La prise en compte des préoccupation environnementales des années 1970 préside à l’élaboration du concept de développement durable. Celui-ci fait l’objet, en 1987, d’un rapport rédigé pour le compte de l’ONU, par le Premier ministre norvégien Mme Gro Brundtland. Le développement durable est ainsi défini : « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

Dès lors, les préoccupations environnementales induisent une incorporation des externalités environnementales qui modifient les conditions de la croissance afin de rendre compatible croissance et protection de l’environnement. On pouvait à partir de là s’adonner à des développements sur la soutenabilité faible, qui a pour objectif de permettre la soutenabilité (économique) de la croissance en n’épuisant pas le stock de capital global disponible pour l’économie. Conçu dans les années 1950 pour répondre aux propositions keynésiennes qui légitimaient une forte intervention de l’État dans le champ de l’économie, c’est le modèle de Solow, légèrement modifié en réaction au rapport Brundtland (Solow, 1992), qui constitue l’élément central de la réponse de la théorie néoclassique à
la problématique du développement soutenable. C’est la poursuite de la croissance sur le long terme qui demeure l’objectif essentiel des économistes standard. Nous avons là l’expression d’un modèle de « soutenabilité faible », au sens où les contraintes qui pèsent sur la dynamique économique pour se mettre sur la trajectoire d’un développement soutenable ne sont pas très fortes. Si les ressources naturelles peuvent s’épuiser, la croissance ne sera pas mise en péril par l’existence de capital physique, technologique, humain, qui permettent de continuer à produire. Est posée l’hypothèse de l’existence de solutions alternatives aux ressources naturelles.  Pour ce qui est du réchauffement climatique, on pouvait citer le modèle DICE de Nordhaus. La conclusion à laquelle Nordhaus aboutit à la suite de ses calculs est celle d’un effort « modeste » à consentir à court terme pour réduire les émissions de GES. Enfin, on pouvait citer la courbe de Kuznets environnementale dans la lignée des théories précédentes. Les conditions de la croissance sont donc légèrement (pour répondre au “dans quelle mesure”) modifiées par la contrainte environnementale, car on y intègre un impératif de soutenabilité économique. Elle se caractérise par la mise en place de quelques taxes incitatives, ou autres mécanismes de marché (quotas, marché du carbone..)

Evidemment, il fallait ensuite rétorquer que l’environnement n’est pas réductible à un stock de ressources disponibles pour la production, et que certaines dégradations environnementales étaient graves et pouvaient avoir des conséquences irréversibles. On pouvait alors mentionner toutes les conséquences que la dégradation de l’environnement pouvait avoir : inondations, sécheresses et pénuries d’eau, diminution des rendements agricoles, perte de biodiversité, etc.

Il fallait alors critiquer la capacité du modèle économique actuel à répondre à la question environnementale, notamment par le biais des théories de la soutenabilité forte. Ceux-ci mettent  en avant l’idée que la problématique environnementale n’est pas une question comme une autre, et qu’elle conduit à une crise de la science économique dominante qui doit déboucher sur une profonde remise en cause de ses cadres théoriques et conceptuels. On pouvait citer le paradoxe de Jevons (l’innovation ne permet pas de sauver l’environnement), les trois règles d’Herman Daly, le modèle de Schaefer, et présenter les théories de la décroissance (Georgescu-Roegen, Latouche…). Les conditions de la croissance doivent donc-être profondément modifiées par le biais de normes et d’actions fortes de l’Etat, dépassant la logique marchande.

Enfin, malgré les enseignements de la deuxième partie, on pouvait souligner dans une troisième partie que de tels objectifs ont du mal à être mis en oeuvre. La “contrainte” environnementale a donc du mal à être très “contraignante”. Le marché européen du carbone pouvait être un exemple judicieux pour montrer la faiblesse des mesures adoptées par les Etats. On pouvait par ailleurs critiquer le manque de coopération internationale pourtant nécessaire pour gérer les biens communs ou les systèmes de fiscalité environnementale, le faible engagement de certains pays, l’action des lobbies qui limitent l’action des décideurs politiques… Les théories du public choice pouvaient alors être mobilisées.

Une dernière sous-partie pouvait ensuite servir à dépasser le sujet en s’interrogeant sur les manières de mieux prendre en compte la contrainte environnementale en transformant les comportements économiques. On pouvait parler des indicateurs et de la définition de la croissance. En effet, si la croissance ne prend pas en compte la question environnementale, c’est peut-être qu’elle est mal mesurée (par le PIB). On pouvait enfin souligner le rôle de l’éducation pour modifier le comportement des acteurs économiques.

Pour conclure, on pouvait donc adopter le chemin de développement suivant : si l’on a progressivement pris conscience des conséquences dramatiques de la croissance sur l’environnement, les solutions adoptées entrent dans une logique de soutenabilité faible (faible modification des conditions de la croissance, I) alors que celle-ci est insuffisante à assurer la préservation de l’environnement, qui devrait plutôt être abordée selon une logique de soutenabilité forte (forte modification des conditions de la croissance, II). Plusieurs raisons permettent d’expliquer que la contrainte environnementale n’arrive pas à modifier les conditions de la croissance. Toutefois, des solutions permettraient de mieux l’intégrer dans les décisions économiques (III)

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