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L’analyse

Introduction et remarques préalables

HEC a dû surprendre beaucoup d’entre vous cette année : je ne vous l’apprends pas, les sujets de première année tombent rarement au concours. Or, cette année, (comme le proposait Ecricome l’an passé), c’est le thème de l’entreprise qui vous a été imposé : c’est un thème très classique et assez facile à traiter si l’on est bien préparé. D’autre part, comme HEC l’a précisé dans son dernier rapport de jury, ce sujet suit parfaitement les consignes du programme officiel ; lorsqu’on regarde le thème de l’entreprise, il est précisé : “On soulignera le rôle de l’entrepreneur”

Si  le cours proposé par votre professeur n’était pas à la hauteur de vos espérances, vous futurs carrés ou cubes, je vous invite à ficher le livre de Benjamin Coriat et d’Olivier Weinstein, qui est excellentissime sur le sujet !

  • Il y a deux principales difficultés dans votre sujet : d’une part, il fallait se souvenir avec précision de ses cours de première année… S’il ne suffit pas de citer Schumpeter, celui auquel on pense tous, il faut toutefois ne pas l’oublier et surtout, le citer avec précision. D’autre part, comme le rappelle très justement Dominique Vian, professeur à SKEMA dans le programme ID & MSv entrepeneurship & innovation – qui a eu l’amabilité de réagir sur ce sujet – il fallait définir avec précision les termes du sujet. En l’occurrence, répondre aux questions suivantes : qu’est-ce que l’entreprise ? qu’est-ce que l’entrepreneur ?
  • M. Vian propose les réponses suivantes : “l’entreprise peut-être définie comme une entité institutionnelle créée dans la perspective de produire des biens et des services, en faisant du bénéfice. Elle peut également être définie comme « ce que l’on entreprend, ce que l’on a entrepris : un projet, un dessein, … ». Pour l’entrepreneur, deux définitions se dessinent également : il peut être celui qui dirige l’entreprise ou celui est porté par une vision, qui veut en faire un projet et qui “sens” un besoin dans un marché, tout en voulant apporter quelque chose de nouveau.” En conclusion, ces deux définitions nous conduisent, selon lui, au constat suivant : compte tenu de la pluralité des définitions de l’entreprise, celle-ci peut inclure -ou non- la dimension entrepreneuriale. Ainsi, une entreprise peut perdre sa dimension entrepreneuriale pour évoluer vers une entreprise plutôt managériale. A ce stade, l’entreprise ne crée donc rien de nouveau, elle tire profit de la rente et non de l’innovation.
  • Ce sujet invite à mobiliser l’histoire de la pensée économique : de la théorie classique, en passant par Schumpeter, les théories des années 1970, etc.

Définitions

  • L’entreprise conçue par les classiques est une “boîte noire” : dans le marché il y a une offre et une demande, l’offre est constitué par un ensemble de producteur, et d’après l’hypothèse d’individualisme méthodologique, on considère que les producteurs sont des individus et non une organisation. L’entreprise est donc réduite à une simple fonction de production, négligeant ainsi le rôle de l’entrepreneur. Une contestation plus radicale porte sur la conception micro-économique de la firme comme un agent individuel parfaitement passif, en se passant de l’entrepreneur, auquel des économistes hétérodoxes attribuent trois fonctions essentielles : une fonction d’innovation ou de création (l’entreprise cherche à agir sur son environnement (Schumpeter), une fonction d’acquisition et d’exploitation de l’information (Hayek) et une fonction d’organisation et de coordination de la production (Liebenstein) ; ces trois conceptions sont évidemment en contradiction avec les hypothèses néo-classiques de base.
  • La figure de l’entrepreneur est multiple, ce dont il faut tenir compte. Il faut aussi souligner je pense, chose que je n’ai pas faite, l’apparition du statut d’auto-entrepreneur en 2009 qui est révélateur d’une nouvelle dynamique dans le monde de l’entreprise. (J’aurais utilisé ça en accroche)
  • Pour se passer d’un acteur, c’est-à-dire, pour n’avoir pas besoin de la présence d’un acteur au sein de l’entreprise, cela signifie qu’elle peut maximiser son profit et minimiser ses coûts de manière autonome. Toute la question réside dans le fait de savoir si l’entreprise, pour être efficace économiquement, est dépendante de la figure de l’entrepreneur.

Petite remarque : cette analyse est loin d’être exhaustive, on pourrait s’étendre sur les théories de la sociologie des organisations, également sur les différentes tailles de l’entreprise, ses définitions juridiques : c’est un parti pris de ma part de ne pas avoir développé outre mesure ces questions là.

Problématique

L’entrepreneur est-il un acteur indispensable à l’efficacité économique de l’entreprise ?

Plan

I- Très longtemps, dans la théorie économique classique, on a considéré que l’entreprise était une boîte noire dans laquelle l’entrepreneur n’avait pas de place majeure : celui-ci se cantonne à un rôle quasi mécanique

La théorie microéconomique : pour être efficace, l’entreprise doit seulement maximiser son profit  et minimiser ses coûts

Ces théoriciens définissent l’entreprise comme un lieu où se combinent de manière optimale des facteurs de production. Cette combinaison repose sur une hypothèse de rationalité de l’entreprise. Cette rationalité nécessite de minimiser les coûts et de maximiser des profits. Deux questions se posent : quels facteurs de production va-t-elle utiliser ? Quelle est la quantité à produire pour maximiser son profit ? Ainsi, l’entreprise n’est pas un lieu où il y a des salariés sous l’autorité d’un entrepreneur, ce n’est pas une organisation ni une institution. C’est un lieu où l’on produit, c’est pourquoi on parle de “boîte noire” : il n’y a rien au sein de cette boîte, ou en tout cas, ce n’est pas le rôle de la microéconomie d’étudier cela.

Pour Walras, l’entreprise est régie par les lois suivantes, et n’a donc aucunement besoin d’entrepreneur  :

« 1. La libre concurrence amène le prix de revient minimum.
2. Sous ce régime, le taux de rémunération de chaque service producteur est égal
à la dérivée partielle de la fonction de fabrication, soit à la productivité marginale.
3. La quantité totale du produit est distribuée entre les services producteurs ».
(Walras, 1896, p 588).

L’entreprise peut donc soit être en concurrence pure et parfaite, et dans ce cas, on résout les problématiques énoncées aisément par la résolution d’un programme, soit être en concurrence imparfaite, où l’on peut également maximiser son profit et minimiser ses coûts. A votre place, j’aurais présenté la théorie, avec la conclusion qu’à l’équilibre le rapport des productivités marginales des facteurs de production est égal au rapport de leur prix. Don’t worry si ça ne vous dit rien, pour vous oraux, je vous publierai une série d’article sur la microéconomie.

Les néo-classiques se sont intéressés à cette question : on conçoit  l’entreprise comme une organisation, or l’entrepreneur n’a pas de rôle déterminé, seul la figure du manager est mise en avant.

L’économiste Marshall, qui appartient au courant néo-classique, rompt avec les théories classiques de la microéconomie : l’entreprise n’est plus seulement une boîte noire dans laquelle on peut se passer de l’entrepreneur. Il met en exergue l’aspect organisationnel de l’entreprise : il souhaite expliquer le profit que réalise l’entreprise, celui-ci serait la rémunération de la fonction de manager. Je vous rappelle que dans la théorie microéconomique, en CPP, le profit est nul à long terme.

Or Marshall constate l’existence d’un “surprofit”, et il explique que ce profit rémunère la fonction managériale.

TRANSITION :

Dans les années 1930, l’économiste D. H. Robertson note qu’au milieu d’un « océan de coopération inconsciente » (il fait référence ici au marché régi par la main invisible et par un système de prix) existent des « îlots de coopération consciente » (ce sont les firmes, régies par une hiérarchie et les décisions de l’entrepreneur, et qui se caractérisent donc par la suppression de la régulation par les prix). C’est donc à cette période que les économistes remarquent que l’entrepreneur est une figure essentielle à l’entreprise : il joue plusieurs fonctions essentielles pour celle-ci, il n’est pas une machine dont pourrait se passer l’entreprise.

D’autre part, on ne comprend pas pourquoi il existerait des entreprises si le profit est nul : c’est le paradoxe qu’a mis en lumière Edgeworth notamment. Il existe un surprofit dans l’entreprise, ce qui motive les entrepreneurs à créer des entreprises, et c’est pourquoi l’entreprise existe. Dans cette conception, l’entreprise est avant tout définie par une fonction entrepreneuriale de première importance.

II- Or, par nature, l’entreprise ne peut se passer de l’entrepreneur : celui-ci remplit trois fonctions essentielles

Le rôle fondamentale de l’entrepreneur pour l’entreprise

  • Chez Marx déjà, on retrouve une conception de l’entrepreneur dans la figure du bourgeois : il montre qu’il joue un rôle crucial pour l’entreprise. Il est la raison d’être de l’entreprise : dans un système capitaliste, la finalité du bourgeois est d’accumuler le plus possible de capital, ce qui mène à un processus de concentration inexorable. Ce phénomène le mène à sa perte lorsqu’il sera en situation de suraccumulation : ainsi l’entreprise disparaît en même temps que l’entrepreneur, ce qui montre un lien inexorable entre les deux.
  • Chez Say, on retrouve déjà la figure de l’entrepreneur : il est l’intermédiaire entre un savant/intellectuel et ouvrier (savoir de conception et de réalisation). Cette conception, qui donne à l’entrepreneur un rôle clé à l’entreprise, et qui montre ainsi la fonction entrepreneuriale de celle-ci va fortement influencer Schumpeter. Pour Schumpeter, l’entrepreneur est un personnage clé dans l’entreprise, il est celui qui a un “esprit sanguin”, qui donne vie à l’entreprise. Ce dernier va à l’encontre de la théorie orthodoxe en économie : il estime qu’il existe un surprofit qu’il attribue à la rente de monopole. Cette rente est obtenue par l’entrepreneur innovateur (analyse schumpéterienne), celui-ci est au coeur de la dynamique d’innovation qui permet de comprendre l’entreprise. Il faut donc insister sur le fait que l’entrepreneur est l’acteur de l’innovation, ce qui est essentiel à la survie de l’entreprise.  

Fonction de porteur de risque (Knight) : l’entrepreneur fait des choix stratégiques pour l’entreprise et supporte le risque, malgré l’incertitude. 

L’entrepreneur lie les risques et l’incertitude à l’entreprise. Je ne développe pas, mais je pense que vous l’avez fait figurer. On peut aussi parler de Keynes, qui montre que l’entrepreneur fait des choix d’investissement, etc. 

Fonction d’organisation et de coordination (Liebenstein)

Je vous laisse développer la fameuse théorie du “facteur X”, qui prouve que l’entreprise ne peut se passer de l’entrepreneur au risque de disparaître.

III- Toutefois, si l’on considère l’entreprise comme une organisation, certes elle ne peut se passer de l’entrepreneur, tout comme elle ne peut se passer de ses membres

L’environnement juridique et légal est nécessaire à l’entreprise 

  • Il ne faut pas omettre l’importance de l’Etat dans l’efficacité de l’entreprise. Si l’acteur privé, l’entrepreneur, est nécessaire à celle-ci, il faut qu’il y ait un cadre juridico-légal à l’entreprise. Comme le disait le général De Gaulle, l’entrepreneur ne suffit pas pour qu’il y ait entreprise, il faut que l’Etat intervienne : « Que voulez-vous que j’y fasse, les entrepreneurs n’entreprennent pas […] ! En France, il faut être l’État pour entreprendre de grandes choses ». Donc pour que l’on entreprenne, c’est-à-dire, pour qu’il y ait une entreprise, il faut la présence de l’Etat.

Du capitalisme managérial au capitalisme actionnarial

  • L’idée serait de montrer que l’on ne peut statuer sur la nécessité de l’entrepreneur à l’entreprise de manière absolue : il faut contextualiser l’entreprise. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a différents types de capitalisme et donc différents types d’entreprise. Il est clair qu’au XIXème siècle, la figure de l’entrepreneur est crucial  à l’entreprise : c’est ce qui a permis l’avènement de multiples innovations, et plus encore, de la Révolution industrielle.
  • Or, si l’entrepreneur fut si nécessaire à l’entreprise à cette période, il ne faut pas oublier que le XXème siècle est celui du manager. Il faut donc montrer à l’aide de théorie (comme celle de Chandler), que si l’entreprise ne peut se passer de l’entrepreneur, elle ne peut se passer non plus du manager. Tout comme, depuis les années 1980, qui signe le passage d’un capitalisme actionnarial, elle ne peut se passer de l’actionnaire, acteur qui joue un rôle clé dans l’entreprise.

Théorie de l’entreprise libérée de Isaac Getz

Dans cette partie, vous pouvez faire appel à vos connaissances sur la sociologie des organisations, et montrer que l’entrepreneur, bien qu’il ait un rôle important pour l’entreprise (comme on l’a montré dans le II.), cela ne suffit plus pour garantir l’efficacité économique de celle-ci.

Pour pallier ces problèmes, dans l’Entreprise libérée, ouvrage du professeur à l’ESCP d’Isaac Getz, il propose que ce soit les salariés qui prennent les choix stratégiques pour leur entreprise : l’entrepreneur jouerait un rôle, mais mineur dans cette organisation. Je vous invite à consulter cet ouvrage.