Découvrez l’analyse du sujet d’ESH HEC 2018 :

Sujet : En vous plaçant dans une perspective historique (depuis le XIXe siècle), vous répondrez à la question suivante : Peut-on affirmer comme P.M. Romer en 1986 que “les taux de croissance semblent être croissants non seulement en fonction du temps mais aussi en fonction du degré de développement” ?

Analyse de l’intitulé

Cette année, les étudiants d’ECE ont eu droit à un sujet extrêmement long. Le format de citation semble se propager doucement, car il avait déjà été proposé l’année dernière à l’ESSEC sur l’Europe. Un tel format peut se révéler particulièrement utile pour certains ou défavorables pour d’autres. En effet, la citation demande au candidat de connaître l’auteur en question et les thèses qu’il a développées pour bien la comprendre. Par ailleurs, la date est une indication sur le contexte qui peut amener à tenir tel ou tel propos. Par exemple, l’année dernière, la citation de F. Perroux sur l’Europe datait d’un an après l’entrée dans l’Union de l’Angleterre, de l’Irlande et du Danemark, ce qui montrait que des questionnements sur les élargissements n’étaient pas nouveaux. Ici aussi, l’analyse du sujet doit commencer par une analyse de la citation.

Analyse de la citation

HEC nous a proposé cette année une citation de Romer, économiste très connu et théoricien fondateur de la croissance endogène. Ceux qui avaient appris les dates de leurs références avaient pu relever que 1986 coincidait avec l’année où Romer a proposé sa théorie de la croissance endogène, ce qui amenait bien évidemment à replacer son affirmation dans le cadre de son ouvrage. La formulation était assez floue, ce que l’on peut sûrement attribuer à la traduction. Toutefois, il n’était pas difficile d’assimiler la “croissance de la croissance” aux théories de la croissance endogène tout simplement. Le sujet portait donc sur le thème de la croissance. Il faisait le lien avec le thème du développement avec l’idée que la croissance ne dépendrait pas seulement de la croissance passée mais aussi du niveau de “développement”, pris dans un sens bien différent de la croissance donc. Jetons un oeil à la source de cette citation pour bien l’interpréter.

Voici le paragraphe d’où est tirée la citation de Romer :

“Although all less developed countries are affected by the worldwide economy, the effects are not uniform. For our purposes, the key observation is that those countries with more extensive prior development appear to benefit more from periods of rapid worldwide growth and suffer less during any slowdown. That is, growth rates appear to be increasing not only as a function of calendar time but also as a function of the level of development. The observation that more developed countries appear to grow relatively faster extends to a comparison of industrialized versus less developed countries as well.” (Romer, 1986)

On pourra aussi se servir des paragraphe suivants, qui figurent peu après :

“[…] [There is] a widespread impression that convergence in this sense has been evident, especially since de Second Wold War […].”

“Baumol (1985) reports similar resultats. When countries are grouped into industrialized, intermediate, centrally planned, and less developed economies, he argues that there is a tendency toward convergence in the level of productivity within groups, even though there is no tendency toward overall convergence. The tendency toward convergence is clear only in his group of industrialized economies, which corresponds closely to the sample of ex post industrialized countries considered by Streissler. In any case, he finds no obvious pattern in his entire sample of countries ; if anything, there is a weak tendency toward divergence.”

Si vous avez un peu bossé l’anglais durant vos années de prépa, vous devez avoir déjà compris que le sujet reposait donc sur la question de la convergence conditionnelle. Qu’est-ce que c’est ? C’est une théorie selon laquelle les pays convergent entre eux uniquement lorsqu’ils possèdent des facteurs structurants similaires.

A la lumière de cette analyse, la citation de Romer devient beaucoup plus claire. Il affirme simplement que l’observation montre que les pays ont une tendance à croître de plus en plus vite, c’est-à-dire que la croissance dépend de la croissance passée et se renforce dans le temps, mais que le niveau de développement (conçu séparément de la croissance) peut permettre à des pays de croître plus vite et espérer ainsi rattraper des pays plus en avance. Le sujet était alors extrêmement riche, même s’il semblait assez fermé pour qui n’avait pas assez travaillé les théories de la convergence et de la divergence. En particulier, l’une des limites de cette approche est qu’elle suppose implicitement que la capacité à réformer les institutions est indépendante du niveau de richesse, et que les institutions des pays en avance sont adaptées aux économies des pays en retard ; au contraire, il est possible que de bonnes institutions puissent être une conséquence et non une cause de la croissance.

Les autres questions qui se posent

Se posent alors plusieurs questions : observe-t-on plutôt des phénomènes de convergence ? de divergence ? Peut-on lier la convergence à quelque chose que l’on pourrait interpréter comme un “degré de développement” ? Quelles préconisations peut-on alors faire quant aux stratégies de développement des pays accumulant des retards ? Faut-il qu’ils cherchent à “rejoindre le club” de convergence en implantant des institutions similaires ? N’oublions pas que 1986 est en plein consensus de Washington.

La citation étant plutôt récente, on pourrait penser que l’actualité n’a pas forcément changé le constat. Pourtant, c’est le cas, et il était intéressant de relever que la stagnation séculaire pouvait modifier ou renforcer le constat de Romer. Ici, il semble que les pays développés connaissent un ralentissement durable de leur rythme de croissance, ce qui pourrait favoriser la convergence pour des pays comme la Chine qui continuent de croître rapidement. En même temps, le ralentissement progressif de la croissance chinoise peut être interprétée comme l’idée selon laquelle elle aurait bientôt fini de rattraper le niveau de vie occidental, et finirait petit à petit par stagner. On pouvait aussi donner une dimension environnementale au sujet, en s’interrogeant sur la poursuite indéfinie de la croissance et ses conséquences sur l’environnement.

Le sujet ne pose directement pas la question des crises. Leur mention était évidemment pertinente, mais ne fondaient pas forcément une question particulièrement intéressante sur laquelle on pouvait s’attarder très longtemps, car la question principale ici est surtout celle de la croissance à long terme. Romer est conscient de l’existence de crises, mais se pose la question des rythmes de croissance sur longue période.

On peut enfin s’interroger sur le plan à adopter. Le sujet demandait de “se placer dans une perspective historique (depuis le XIXème siècle)”. Cela n’appelait évidemment pas forcément à un plan historique, et on pourrait même questionner l’intérêt d’un tel plan étant donné que les phénomènes de convergence et de divergence ont plutôt eu tendance à cohabiter au long du temps. On ne peut pas identifier de périodes claires qui justifieraient un plan uniquement historique. Il s’agissait sûrement plus d’une indication nous demandait de nous référer abondamment à l’histoire pour traiter le sujet, et d’en tirer des enseignements utiles.

Une proposition de traitement

Cette partie n’est absolument pas la plus intéressante. Les analyses ci-dessus sont largement suffisantes pour juger de votre travail sans que vous n’ayez besoin de vous réferer à une proposition de plan. Plusieurs plans étaient évidemment possibles, le sujet pouvait être perçu dans de nombreuses perspectives dont certaines manquent sûrement à mon analyse. Voici toutefois une proposition de traitement du sujet.

Introduction :

En 1913, le produit intérieur brut par habitant de l’Argentine étaitde 70 % supérieur à celui de l’Espagne. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui du Ghana dépassait de près de 50 % celui de la Corée du Sud. En 1970, celui de l’Italie était de plus de 60 % supérieur à celui de l’Irlande. Mais en 2016, le PIB par habitant de l’Espagne était supérieur de presque 80 % à celui de l’Argentine, celui de la Corée était neuf fois supérieur à celui du Ghana, et celui de l’Irlande était le double de celui de l’Italie. Ainsi, la croissance semble être un phénomène complexe et sûrement pas déterminé à l’avance. Pour lever cette complexité, les économistes proposent des modèles de croissance, comme c’est le cas de Romer, qui propose en 1986 une contribution extrêmement influente avec son modèle de croissance endogène.

L’affirmation de Romer signifie pour commencer que la croissance serait liée aux rythmes de croissance passé : la croissance amènerait la croissance. Cela résume en particulier les théories de la croissance endogène, et justifierait une divergence progressive des niveaux de vie. Toutefois, Romer évoque aussi un autre déterminant : le degré de développement. L’utilisation de “mais aussi” relève d’une opposition, ou d’une solution dont disposeraient les pays qui voient leur niveau de vie s’écarter durablement : se développer serait un moyen de croître plus vite et éventuellement de rattraper l’avance des pays déjà développés. On peut ramener cette idée à celle de “convergence conditionnelle” selon laquelle des pays qui partagent les mêmes facteurs structurants convergent à long terme. Cela suggère par exemple que la Serbie ne puisse pas converger vers le niveau de PIB/habitant de la France ou de l’Allemagne, mais que la Slovénie le puisse, car la Slovénie bénéficie du cadre légal et institutionnel de l’UE, ce qui n’est pas le cas pour l’instant de la Serbie. Les groupes de pays comparables au sein desquels on observe une “β-convergence”, c’est-à-dire des taux de croissance plus élevés pour les pays qui ont un PIB/habitant plus faible, sont appelés clubs de convergence. Une question fondamentale pour les politiques d’aide au développement est de comprendre comment un pays peut « rejoindre le club ». On voit donc en quoi l’affirmation de Romer est susceptible de guider la politique de développement de ces pays, ce dont l’histoire a ensuite montré que ce n’était pas la meilleure solution.

Les rythmes de croissance des pays sont-ils amenés à diverger ou à converger à long terme ? Les pays peuvent-ils et ont-ils pu éviter un tel déterminisme ? Comment ?

I – Les théories classiques ainsi que l’histoire ont montré qu’il existait des phénomènes de convergence

A. Le modèle de Solow-Swan (1956) justifie des phénomènes de convergence (avec graphique).

B. Il existe de nombreux exemples de phénomènes de convergence dans l’histoire depuis le XIXème siècle.

II – Mais la convergence n’est pas inconditionnelle et semble liée au niveau de développement

A. Les modèles de croissance endogène justifient une divergence (Romer, Lucas, Barro).

B. Des phénomènes de divergence sont attestés par l’histoire économique, peuvent être expliqués par certaines théories du développement (Nurkse) et semblent même être la règle.

C. Les seuls phénomènes de convergence peuvent  être expliqués par une “convergence conditionnelle” (Barro et Sala-i-Martin, 1995) qui pose notamment la question des “bonnes institutions” (piochez dans la masse de références là dessus).

III – Seule une conception adéquate du développement permet de donner raison à Romer

A. Certains aspects des rattrapages sont indéniablement liés au développement (agriculture, femmes, crédit, éducation, …).

B. Mais celui-ci ne passe pas forcément par un développement basé sur le modèle occidental, ni par l’implémentation des institutions des pays développés (Critique du consensus de Washington, Gershenkron (1962), exemple de la Corée du Sud, le développement selon North, “distance à la frontière” d’Acemoglu, Aghion et Zilibotti…. (2007)).

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