Dernière dissertation des écrits BCE 2015 (et peut-être même de votre vie si vous avez la chance de ne pas cuber), sur quel sujet les candidats ont-ils pu dire “au revoir” au thème passionnant qu’était la vérité ?

Sujet : Faut-il toujours préférer la vérité ?

Sujet assez classique dans son intitulé mais non moins discriminant. Une petite analyse des termes permettait de mieux cerner l’ampleur du sujet.
Le verbe falloir pouvant à la fois renvoyer à un devoir moral, éthique et à une nécessité pratique, on pouvait s’intéresser aux deux dimensions –i.e : pratique et éthique – du sujet. Autrement dit, est-ce qu’on peut élever la vérité en maxime de l’action ?
Le fait de préférer quelque chose à une autre procédant toujours d’un choix, on pouvait également s’interroger sur les différents objets antagonistes de la vérité : illusion, mensonge, tromperie … Dans tous les cas, le primat à la vérité présuppose toujours la capacité à établir cette-dernière.
Au premier abord, il semble impossible, d’un point de vue éthique, de ne pas soutenir la vérité après en avoir eu la connaissance. En effet, comment justifier un tel refus volontaire de vérité, qui n’est pas sans rappeler l’attitude du personnage de Symes dans 1984 ?
Il y a deux attitudes à distinguer dans le fait de préférer la vérité : la défendre publiquement et l’accueillir intérieurement.
Mais qu’est-ce qui confère son caractère noble au choix de la vérité ? La préférence de la vérité, qu’il s’agisse d’en prendre le parti publiquement afin de combattre l’injustice (« J’accuse » de Zola, E. Snowden et tant d’autres) ou bien de l’accueillir intérieurement dans une quête personnelle de recherche de la vérité éthique, présuppose toujours un acte de courage ! Qu’il s’agisse de « se déprendre de soi », de s’arracher à l’illusion, aux passions, ou encore de dénoncer la corruption d’un système, la vérité comporte des risques. Mais est-ce que toute entreprise de préférence de la vérité procède d’un acte de courage ? Est-ce que tout choix du vrai découle d’un arrachement à soi et d’un acte de générosité ? Est-ce que les hommes ne satisfont pas – par moment – leurs propres intérêts dans la préférence de la vérité ?
Car enfin, il convient – il est même nécessaire – de distinguer amour de la vérité et idolâtrie de la vérité. En effet, dès lors qu’il y a satisfaction d’intérêts personnels, le choix de la vérité n’est plus de l’ordre du courage mais bien au service d’un souci de préservation de soi, auquel cas il convient de s’interroger sur la réelle intention éthique d’un tel acte et sur la réelle légitimité de la préférence du vrai. A contrario, il arrive qu’un acte de préférence du vrai, bien qu’émanant d’une sincère volonté de bien agir, ait une portée malheureuse dans la pratique. Mais est-ce qu’on peut préférer le bonheur à la vérité?
On pouvait distinguer plusieurs plans d’études, notamment celui de la nécessité de se soumettre à la vérité des faits. Un refus délibéré de reconnaître la vérité est bien souvent la preuve d’une mauvaise foi, d’une volonté de se cantonner à une vision restrictive – quoique plus rassurante et moins contraignante sans doute.. – de l’objet étudié. Or si le principe fondamental de la morale est de « bien penser » (Cf. Pascal), comment penser – à défaut de le faire correctement.. – en faisant abstraction de vérités établies ? En effet pour ce qui concerne les faits avérés comme tels, rien ne saurait légitimer une liberté de choix de la vérité. Ainsi, toute forme de négationnisme, procédant d’une réécriture falsificatrice de l’histoire, est punissable par la loi en plus d’être injustifiable du point de vue de l’éthique. Vis-à-vis des faits, il y a nécessité de préférer (ici : le choix est toujours le choix ente le choix et le non-choix cf. Kierkegaard), de se soumettre à la vérité établie comme telle. Par ailleurs, la sincérité dans le dialogue semble être une condition nécessaire des rapports équilibrés entre les hommes : comment mentir sans introduire un déséquilibre des rapports de force entre moi et mon interlocuteur ? Ainsi, la vérité semble être au fondement de tout comportement moral voire même de toute responsabilité civique : tout citoyen étant sommé de reporter le crime dont il a été témoin sous peine de poursuites pour complicité. Enfin, la vérité semble être une condition essentielle permettait d’accéder à la liberté : affranchissement des illusions, accès à une vérité plus pure, morale , révélatrice d’un Bien plus grand (Cf. Spinoza, Traité sur la Réforme de l’entendement), capacité à améliorer la condition humaine par les sciences..
Cela dit, la nécessité de soumission à la vérité dans le cadre éthique reste critiquable : cf. débat sur l’éthique de responsabilité de B. Constant et la loi morale kantienne (qui malgré le rigorisme kantien, admet elle-même quelques exceptions.. comme quoi ! ).
On pouvait ainsi s’atteler, dans un second temps, à énoncer les différents dangers, vices de l’idolâtrie du vrai : « médiatocratie » et présomption des médias à se revendiquer comme les défenseurs de la vérité au risque d’enfreindre d’autres formes de liberté, instrumentalisation par les régimes totalitaires de la vérité afin de pousser les hommes à dénoncer les ennemis du parti, extrême parrêsia masquant un manque de confiance en son jugement – à l’image du personnage de Diogène dont l’attitude fera l’objet d’une critique d’Épictète, ou encore volonté insolente de se démarquer des autres en brandissant le sacro-saint argument de vérité (Alceste : réelle défenseur de la véracité et luttant contre l’hypocrisie généralisée ou simple dandy de son époque?), problèmes éthiques posés par les sciences..
Peu importe les règles que les hommes tentent de fixer, tout commandement prend véritablement sens par les exceptions qu’il admet. Ce sont les exceptions qui font les règles et non l’inverse ! Par conséquent, c’est à l’homme, cet être « né pour agir » (Voltaire) et doté d’une faculté de raisonner, qu’il revient la charge délicate de trancher. En un mot : la vérité est une praxis. On ne mesure pas la valeur morale d’une action à sa fidélité à une règle mais par sa manière de penser la règle et de savoir s’en soustraire lorsqu’il le faut.
Néanmoins, pour ce qui concerne les vérités intérieures, il convient de toujours s’ouvrir à la vérité. Cette ouverture de soi et cette faculté d’écoute de la vérité ne saurait en effet relever d’un intérêt perfide, même inconscient. On pouvait donc tout aussi bien conclure sur la nécessité de préférer la vérité pour se tenir dans le vrai.

Plusieurs possibilités donc (pour changer!) mais surtout… dernier sujet sur la vérité ! Les différents sujets proposés avaient tous le mérite d’aborder des problématiques très différentes de la notion de vérité.