Il est d’usage, par exemple à propos de la philosophie, de déclarer que les notes dépendent de l’humeur du correcteur. Mais, au fond, on n’y croit pas vraiment, si ? On sent bien que ce n’est là qu’un excuse et, qu’au fond, ça ne peut pas être vrai ; qu’au fond, il doit sûrement y avoir des éléments bien concrets et en lien avec notre perfir intrinsèque qui déterminent la note – on ne les comprend juste pas tous.

Pourtant, des études dans le domaine de la justice ont montré que les décisions des juges étaient fortement influencées par des facteurs bien irrationnels, en particulier l’état de leur estomac. Prêts pour un peu de psychologie ?

Quand les juges ont faim

La faim est mauvaise conseillère, disait Virgile, et certaines recherches tendent à le confirmer. C’est notamment le cas d’une étude de 2011* très influente dans le milieu de la psychologie, qui aboutit à des résultats réellement choquants. En quoi consistait cette étude ?

Les auteurs ont mené une étude quantiative sur dix mois à partir de 1112 décisions de juges israéliens en fonction de l’heure de la journée. Ils ont alors pu reconstituer la variation de la proportion de décisions favorables au cours de la journée. Les résultats sont réellement surprenants :

La proportion de décisions favorables varie fortement au cours de la journée. En particulier, elle suit une tendance descendante suivie de rebonds, et ce trois fois dans la journée. Chaque cercle désigne un moment où le juge a pris un repas. On observe un schéma très marqué : juste après avoir mangé, les juges tendent à donner des décisions favorables avec une proportion de 65%. Juste avant leur prochain repas, les juges donnent très peu de décisions favorables, avec une chute qui atteint même 0% vers midi. En bref, si vous passez devant le juge tôt dans la matinée, vous avez une deux chances sur trois d’être relâché ; si vous passez à midi, c’est mort. Les quelques rebonds entre deux cercles pourraient s’expliquer par un effet de contraste : à force de donner des décisions non favorables, les juges peuvent être tentés de donner une décision favorable à la suite ; c’est ce phénomène qui justifie que vous paniquez lorsque vous savez que vous passez votre oral d’ESH juste après un étudiant d’Henri IV.

Cela semble impossible. Pourtant, il n’y a pas de piège : pour les auteurs, les demandes sont examinées selon un ordre aléatoire, les juges ne les font pas passer par ordre de gravité, car ils ne connaissent pas les dossiers à l’avance. Selon eux, l’explication est bien à chercher dans l’estomac du juge : « Although our data do not allow us to test directly whether justice is what the judge had for breakfast, they do suggest that judicial decisions can be influenced by whether the judge took a break to eat. »

On pourrait en déduire une conséquence très intéressante – et tout aussi inquiétante – sur les oraux. En appliquant ce schéma aux entretiens, ou même aux langues, vous auriez une chance bien plus importante d’avoir une excellente note au début de la journée, et beaucoup plus faible à l’approche du milieu ou de la fin de la journée.

Application aux oraux

J’ai voulu tester ce résultat pour voir si mes notes aux oraux de l’année dernière (très mauvaises, comme je le raconte dans cet article) étaient conformes au graphique. J’ai modifié les axes pour y intégrer les heures auxquelles le jury devrait avoir mangé (en abscisse) et les notes possible (de 0 à 20 – même si ce qui nous intéresse est le niveau relatif de chaque note par rapport aux autres et non sa valeur en termes absolus -, en ordonnée). Les notes en rouge désignent l’anglais, celles en orange l’espagnol, et celles en bleu les entretiens ; les lettres entre parenthèse l’école où j’ai obtenu la note : G pour Grenoble, L pour Lyon, E pour ESSEC.

Résultat des courses : l’étude s’applique dans absolument toutes les matières pour moi, de manière plus ou moins marquée (parfois très peu). Je n’ai évidemment pas noté les heures exactes auxquelles j’ai passé chaque épreuve, donc je m’appuie sur ma mémoire, qui pourrait ne pas être parfaite. Avant que Trump ne commente « fake news », je préviens également qu’il est très peu rigoureux d’appliquer le même graphique à une situation différente (des oraux d’école), car l’ « épreuve » ne consiste pas en un jugement. Les juges travaillent en effet sûrement dans des conditions quelque peu différentes de celles des jurys d’écoles, etje compare des notes d’écoles différentes qui notent différemment. Il n’empêche que la tendance générale est assez présente.

Ne me satisfaisant pas de mon seul cas, je suis allé demander à deux amis qui se souvenaient également de leurs heures de passage. Il faut rajouter (H) pour HEC, (Ed) pour EDHEC, et (EP) pour ESCP Paris, mais le reste des notations restent les mêmes. Cela donne les graphiques suivants (merci à Samantha en haut et à Jean-Marc en bas) :

Pour mes deux camarades, les corrélations sont plus difficiles à observer. Dans nos 3 expériences, l’espagnol suit assez bien le graphique. Jean-Marc est un très bon exemple de stabilité, allant contre les variations du graphique. Pour ce qui est de l’anglais et des entretiens, Samantha semble ne suivre aucune tendance particulière (ni contre le graphique, ni dans le même sens du graphique). Que penser alors ?

Discussion de l’étude

Tout d’abord, il faut savoir que l’étude a été contestée par certains**. Par exemple, un argument avancé est que les juges peuvent estimer à la taille du dossier la durée que va prendre le jugement (environ 5 minutes pour ceux qui se terminent par un avis défavorable, 7min pour ceux qui se terminent par un avis favorable). Ils évitent alors de lancer des dossiers longs (donc favorables) à l’approche du déjeuner pour ne pas être en retard à la cantine. Je suis un peu sceptique quant au degré de l’influence d’une telle organisation, mais elle peut expliquer une partie de la tendance.

C’est ici que je vais donner mon avis. Je pense que de tels facteurs affectent forcément les épreuves orales. Je trouve cela vraisemblable qu’un jury affamé ou fatigué soit moins enclin à donner des bonnes notes. Tout comme un jury qui viendrait de s’engueuler avec son conjoint avant de vous faire passer pourrait se venger sur vous.

Vous, vous n’avez évidemment pas d’influence sur l’heure de votre passage. Soyez vigilant à la patience du jury qui pourrait effectivement suivre les variations décrites par l’étude. Cela ne veut pas dire pour autant que vous êtes condamné.e si vous passez en fin de matinée ou en milieu-fin d’après-midi. Faites en sorte de redoubler d’énergie et de dynamisme pour capter son attention et sortir du lot : après avoir vu plusieurs candidats passer, le jury se lasse, et c’est là qu’il faut mettre le paquet pour le reveiller, en lui proposant une performance de bonne qualité et « divertissante ».

Vous avez de l’influence, par contre, pour la plupart des écoles, sur le jour de passage. On dit en général qu’il faut passer les meilleurs écoles au milieu, afin d’avoir eu assez d’entrainement dans des écoles en deça de vos espérances, et afin d’éviter votre fatigue et celle des jurys présente les derniers jours.

Face à de tels aléas (qui existent), le meilleur moyen de s’assurer d’avoir une bonne note reste de se préparer le mieux possible pendant le temps imparti pour éviter de laisser vos oraux aux mains de la chance !

On vous conseille déjà de lire la version en ligne de notre magazine Le Major, tandis que les numéros papiers arrivent cette semaine.

Références

*Extraneous factors in judicial decisions, par Shai Danziger, Jonathan Levav, et Liora Avnaim-Pesso. Si le sujet a retenu votre attention, elle est accessible ici.

**Voir https://mindhacks.com/2016/12/08/rational-judges-not-extraneous-factors-in-decisions/