Ce sujet peut déranger les candidats car la réponse semble évidente. En effet, si je suis dans une salle de classe à HEC en train de préparer mon oral de culture générale, c’est bien que j’ai un corps. Et pourtant, comme vous vous en doutez, ce sujet n’appelle pas une réponse aussi tranchée. Etre doué d’entendement et pouvoir se poser la question « avons-nous un corps ? » n’implique pas nécessairement que nous ayons un corps. En effet, on retrouve ici l’intuition de Descartes : la première vérité indubitable à laquelle mon entendement parvient est celle de l’existence du sujet en tant qu’être raisonnable, je pense donc je suis. Mais cette découverte n’implique en aucun cas que nous soyons un corps, nos sens pouvant nous tromper à cet égard. Nous avons donc mis le doigt sur le problème de ce sujet : la possibilité même de se formuler la question du corps n’implique pas que nous en ayons un. Dès lors, où trouver la certitude de l’existence de notre corps ?

Définitions des termes du sujet :

Ici, le « nous » pose question. Renvoie-t-il à l’ensemble des êtres humains ou au « nous » que nous formons lorsque nous faisons société ?

« avons » : ce verbe peut être compris de deux manières. Au sens de l’existence (mon esprit est-il enveloppé d’un corps ? La main qui écrit ces mots existe-t-elle vraiment?) et au sens de la maîtrise (ce corps que je vois m’appartient il ? Puis je disposer de mon corps comme bon me semble ?)

Corps : enveloppe matérielle que l’on oppose souvent en philosophie à l’esprit.

Voici quelques pistes de réflexion…

I. L’existence et la maîtrise de notre corps apparaissent comme des évidences incontestables

Dans le mythe du Phèdre de Platon, ce dernier décrit la vie des âmes avant qu’elles ne tombent dans un corps. Celles-ci suivent les cortèges divins dans le monde des Idées avant de chuter dans un corps. C’est cette chute qui marque la naissance de l’homme.

De plus, la présence de notre corps se fait ressentir au travers des besoins qu’il nous manifeste (besoins primaires d’alimentation, besoins sexuels…) et des plaisirs qu’entraine leur satisfaction. Faites ici sourire le jury sans pour autant tomber dans la description d’une scène érotique. Pour ma part, j’aurais choisi la scène du torche cul dans le Gargantua de Rabelais. Rabelais y décrit le plaisir charnel que trouve Gargantua dans l’acte de se torcher le cul. Mouchoir de soie, rouge gorge, tout y passe…

On peut ici évoquer tout le débat contemporain sur la maîtrise de son corps et notre droit à en disposer comme bon nous semble. A la question « la femme a-t-elle un corps ?», certaines féministes répondent un grand « oui ». En effet, les féministes proclament le droit des femmes à faire commerce de leurs corps comme elles l’entendent, par la prostitution ou en se faisant mères porteuses par exemple.

II. Mais, pourtant, l’existence et la maîtrise du corps posent problème

Chez Descartes, l’existence du corps n’apparaît pas comme une vérité première. En effet, nous ne ressentons notre corps que par le média de nos sens : je sens que mon ventre gargouille, je vois mes doigts courir sur le clavier de mon ordinateur… Dans son Discours de la méthode, Descartes renvoie les sens à son doute hyperbolique dans la mesure où ils l’ont déjà trompé auparavant.

Ce sujet prend une toute autre dimension de nos jours avec l’émergence de l’intelligence artificielle. Certains ordinateurs peuvent penser par eux-mêmes et, de fait, pourraient se poser la question « avons-nous, nous autres, un corps comme ces humains qui nous ont conçus ? ». L’intelligence artificielle est donc la première forme historique d’intelligence désincarnée.

Enfin, la maîtrise de notre corps n’est pas une évidence selon certains auteurs critiques du monde capitaliste : elle dépend de notre place dans le rapport de force qui oppose prolétaires et bourgeois. En effet, pour Marx, le travail manuel dans les usines entraine l’aliénation dans la mesure où la plus-value qu’un travailleur incruste dans le bien qu’il produit ne lui revient pas mais est entièrement captée par le propriétaire des moyens de production. L’aliénation subie par les travailleurs laisse penser que les travailleurs d’usines n’ont pas l’entière possession de leur corps et des fruits de leur travail.

III. Changeons d’échelle de réflexion et demandons-nous si la société forme un corps politique

De nombreuses études sociologiques constatent la réalité de l’entre soi au sein des classes les plus aisées. Dès lors, si le lien social entre différentes classes est distendu, on ne peut parler de corps politique mais de corps démembré.

Si vous pensez au contraire que la société est un corps, que le lien social n’est pas mort, donnez votre sentiment sur les différentes entreprises actuelles pour reformer ce lien social entre différentes classes sociales.