Les sujets de Culture générale Ecricome 2018 sont à retrouver ici !

Ca y est, les concours Ecricome sont déjà derrière toi ! Accorde-toi un repos bien mérité, comme on te le conseille dans cet article fort utile (ou pas).

Néanmoins, il va falloir vite se remettre dans le bain pour attaquer le plus sereinement possible la BCE. Pour t’aider dans tes ultimes révisions en culture générale, nous avons accueilli Anna, étudiante à HEC Paris et à l’ENS de Lyon afin qu’elle décortique l’épreuve de culture G que tu viens de passer. La vidéo qui suit fourmille de conseils utiles pour la suite, alors n’hésite pas à la regarder en entier !!

Proposition de corrigé et analyse du sujet de Culture générale Ecricome 2019

Version rédigée (merci Assia et Anna !)

Le sujet des écrits de Culture Générale du concours d’admission à l’Ecricome n’était pas particulièrement déstabilisant cette année. Après avoir travaillé sur la mémoire pour préparer le concours, les élèves étaient invités à disserter sur deux sujets :

  • Mémoire et répétition
  • Peut-on tout critiquer ?

Le premier sujet était donc très proche de la thématique travaillée, ce qui correspond bien à l’esprit des concours d’Ecricome. Associer la notion de “répétition” à celle de la “mémoire” n’avait donc rien de particulièrement étonnant ou déstabilisant, ce qui pouvait autant rassurer que contrarier certains candidats. Dans un sujet de culture générale, où il s’agit de montrer ses connaissances et de trouver une problématique pertinente, il peut s’avérer compliqué de trouver une tension particulièrement percutante et originale pour confronter efficacement deux notions aussi communes. Pour éviter une problématique bateau qui reformulerait le sujet au lieu de l’interroger, il fallait prendre le temps de réfléchir et de bien définir chacun des termes pour trouver un paradoxe pertinent.

Définition des termes du sujet et problématisation

Major-Prépa proposait de nombreux outils de définition de la mémoire, en insistant notamment sur la distinction introduite par Bergson entre la mémoire à long terme et la mémoire image.

On peut définir la mémoire comme la faculté de l’esprit qui enregistre, conserve et rappelle les expériences passées. La mémoire à long terme, aussi appelée mémoire-habitude peut être explicite (les informations de la mémoire explicite sont celles récupérées lors d’un rappel conscient – par exemple j’apprends mon cours, je le répète et je le retiens) et implicite (les informations de la mémoire implicite sont des comportements et actions qui ne font pas intervenir la conscience – par exemple le membre fantôme (prendre l’habitude d’utiliser son bras dans des tâches quotidiennes et d’avoir le réflexe de l’utiliser encore alors que le membre a été amputé). La mémoire-habitude est à la fois consciente et inconsciente, ce qui est inéluctablement lié à la notion de répétition – c’est parce que je répète quotidiennement un geste ou une action que je finis par la graver dans ma mémoire.

La mémoire-image est un concept développé par Bergson : c’est une mémoire qui ne nécessite pas de répétition, qui n’a aucune “caractéristique des habitudes”. Il s’agit d’un souvenir marquant qui construit le psychisme de l’individu et qui se conserve comme une image de l’esprit et non pas comme une habitude du corps. Cependant la mémoire image, comme par exemple le souvenir, permet de revivre un fait révolu.

Cette distinction permet donc déjà de mettre en avant la complexité la relation entre la mémoire et la répétition : soit la mémoire se forme par la répétition, consciente ou non, soit elle ne nécessite aucune répétition, mais permet de revivre, et donc de répéter un fait passé. On pourrait déduire de cette distinction une autre tension : la répétition est a priori un acte contrôlé, qui peut être réitéré, sur lequel l’homme peut avoir une influence. On répète consciemment un texte pour l’apprendre, on tient quotidiennement un journal pour garder des souvenirs exacts des faits passés, on essaye même de dompter la mémoire du corps en instaurant des habitudes : faire du sport, se lever plus tôt, etc., en utilisant pour cela des “bullet journal” ou des applications. La répétition serait finalement ce qui permettrait à l’homme d’avoir l’impression ou l’illusion de contrôler sa mémoire. La répétition, un acte souvent contrôlé, maîtrisé, banalisé permettrait ainsi de dompter la mémoire.

D’où la problématique suivante : Comment la répétition s’articulerait-elle à la mémoire en donnant l’illusion à l’homme de prendre part consciemment à un processus qu’il ne maîtrise pas?

PS : Bien sûr, on ne reviendra pas dessus, mais la conjonction de coordination “et” est très importante dans le sujet. Elle signifie qu’il faut traiter les deux notions en simultané. Une dissertation qui porterait trop sur la mémoire, et qui oublierait ainsi la notion de répétition, serait hors sujet.

Des éléments de plan

Comme une dissertation de culture générale importe tout autant par son contenu que par sa forme, nous allons développer notre raisonnement en trois parties. Une juxtaposition de citations et d’exemples appris par cœur n’attirera en rien la bienveillance d’un correcteur. De même, une succession d’arguments purement théoriques, sans exemples concrets et précis, ne suffira pour obtenir une bonne note. Il faut absolument avoir les deux.

Un plan très classique, qui reprend une démarche proche de la philosophie, consiste à opérer un renversement dialectique : expliquer dans une première partie en quoi l’association des deux termes du sujet est pertinente ; en deuxième partie, montrer – comme cela est déjà esquissé dans la problématique – pourquoi la tension entre les deux notions est problématique ; et redéfinir dans une troisième partie le rapport entre les deux notions. C’est le raisonnement philosophique par excellence qui permet d’articuler  les notions vues au cours de l’année.

Les références seront traitées succinctement dans cette correction, pour ne pas rédiger un corrigé trop rébarbatif. Pour toute précision, n’hésitez pas à consulter les autres articles du site, où ces exemples sont plus développés. On rappelle juste que chaque sous partie doit être composée d’un argument puis de son illustration par un exemple précis.

Première partie : La répétition est intrinsèque à la formation de la mémoire

1. L’art de la mnémotechnique repose sur le principe de la répétition (cf Théâtre de la mémoire)

De l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, on accordait un rôle majeur au principe de la répétition pour former la mémoire. On considérait que c’était seulement ce principe de répétition qui permettait à l’homme de construire sa mémoire. Sans répétition, le souvenir était voué à être oublié. L’art de la mnémotechnie repose pour une part essentielle sur ce principe. On pourrait citer à titre d’exemple De Oratore de Cicéron ou Dialogi tres de Oratore (« Trois dialogues à propos de l’orateur »), traité de Cicéron publié en 55 av. J.-C. sur la rhétorique et sa pratique, rédigé en latin. Dans ce traité, Cicéron définit l’éloquence politique et l’orateur idéal, en cherchant à savoir si l’éloquence est une capacité innée ou acquise par l’apprentissage et des exercices approfondis. Pour lui, une formation générale encyclopédique est indispensable, couvrant le droit, l’histoire, la géographie, et surtout la philosophie et la dialectique pour être un orateur. Il faut donc s’entraîner et répéter inlassablement les notions pour les ancrer dans sa mémoire. Ce principe de répétition atteint son apogée à la Renaissance avec la construction du théâtre de la mémoire (autre exemple qui aurait pu être développé dans cette partie). Il est également traité longuement par Rabelais dans Gargantua, où l’auteur décrit l’éducation humaniste en l’opposant à l’enseignement du Moyen Âge – le héros répète tous les jours les mêmes actions, afin de graver dans sa mémoire des connaissances gargantuesques.

2. La formation d’une mémoire collective dans les sociétés à écriture repose sur le principe de répétition (Goody)

L’anthropologue Jack Goody montre bien que dans les sociétés à écriture le principe de répétition est essentiel à la formation d’une mémoire qui leur est spécifique, la mémoire mécanique. C’est l’apprentissage répété qui définit la mémoire mécanique, et ce même procédé, qui selon l’anthropologue, explique l’essor des civilisations ayant favorisé ce type de mémoire. Le développement de cet exemple aurait pu être étayé par des citations précises de son ouvrage La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage publié en 1979.

3. Mais est-ce que la répétition est une condition suffisante à la formation de la mémoire ?

Cette dernière partie de la première partie permet d’introduire le renversement dialectique de la deuxième partie. Il faudrait montrer que la répétition n’est pas une conditions suffisante à la formation de la mémoire. On pourrait traiter ici l’exemple de Freud, en s’appuyant sur l’ouvrage L’interprétation du rêve, publié en 1900. Freud montre que le rôle de l’inconscient est très important dans la formation de la mémoire. La répétition ne suffit pas – cela permet de distinguer la mémoire de l’habitude. L’habitude est un phénomène maîtrisé, acquis par la répétition d’actions conscientes ou non (comme le montre le contre exemple des membres fantômes). La part de l’inconscient dans la mémoire est bien plus importante. La mémoire est bien plus. Si jamais on avait traité l’exemple de Gargantua qui apprend tout par cœur en le répétant inlassablement dans la première partie, on peut le reprendre ici: apprendre par cœur ne suffit pas, c’est le principe de l’éducation scolastique. Ce que les humanistes apportent en plus, c’est la réflexion, la mise en perspective des connaissances encyclopédiques acquises. La répétition, seule ne peut pas conditionner la mémoire. On pourrait également rappeler la célèbre critique de Platon contre l’invention de l’écriture. En s’appuyant sur des technologies qui permettent la répétition d’un souvenir, à savoir celle de l’écriture, l’homme ne s’approprie pas la connaissance : loin d’être un savant, il n’est qu’un érudit qui accumule des connaissances sans se les approprier.

Deuxième partie :  La formation de la mémoire, proprement humaine, n’est pas le fait de la répétition

1. Le rôle de la passion dans la formation de la mémoire (Descartes)

Descartes traite de l’unicité du désir passionnel dans La lettre à Chanut publiée le 6 juin 1647. Il montre ainsi que la formation de la mémoire passionnelle ne repose pas sur le principe de répétition, mais sur l’unicité du souvenir sensoriel lié à une impression psychique. Cette dimension psychique, déjà esquissée avec l’exemple de Freud permet d’introduire la distinction centrale de Bergson.

DESCARTES, “Lettres à Chanut” la mémoire passionnelle

2. La distinction entre mémoire-image et mémoire habitude (Bergson)

Bergson, dans Matière et mémoire publié en 1896 distingue deux types de mémoire : la mémoire-habitude, qui se forme par la répétition ; l’autre, la mémoire-image, qui ne nécessite aucune répétition pour se former. L’analyse de Bergson ne s’arrête cependant pas à cette distinction, qui n’est pas nouvelle. Il se distingue de ses prédécesseurs en affirmant que ces deux types de mémoire dessinent une frontière entre l’homme et l’animal. La mémoire-habitude est le propre de l’animal tandis que la mémoire image est le propre de l’homme.

BERGSON Mémoire-habitude et mémoire-image

3. La mémoire-image, une trace d’un passé révolu (Ricoeur)

L’ouvrage de Ricoeur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, publié en 2000 se concentre longuement sur la mémoire humaine et ses particularités. Il définit ainsi la mémoire comme une trace, une empreinte, une marque psychique, qui donc non seulement ne peut pas être acquise par une répétition contrôlée, mais qui en plus ne permet pas de répéter un passé. Ricoeur montre ainsi que souvent nos souvenirs ne sont que des traces d’un passé qu’on ne peut pas reconstituer. Il est possible ici d’appuyer cet argument par de nombreux exemples, les plus téméraires pourront se tourner vers Proust, A la recherche du temps perdu, d’autres encore pourraient se rappeler de leur propre vécu et de leurs souvenirs… Les exemples en manquent pas. On déduit ainsi de cette partie que la mémoire ne peut pas se réduire à la seule répétition, et là est sa caractéristique fondamentale, propre à l’homme, qui est doté de la mémoire-image, une image psychique et inconsciente distincte de l’habitude. Cette image ne permet pas de répéter un passé, puisqu’il ne s’agit là que d’une trace subjective souvent éloignée de la réalité.

Troisième partie : La mémoire permet de s’émanciper de la répétition

1. La faillibilité de la mémoire – le début de l’imagination? (Baudelaire, Proust)

La troisième partie est une partie généralement ouverte qui permet de repenser ce qui a été dit auparavant en proposant une nouvelle définition de la relation de la mémoire à la répétition. On pourrait commencer par montrer que tandis que la mémoire-habitude, propre aux animaux, nous enferme dans la routine et les habitudes, la mémoire-image permet justement de s’évader et de laisser place à l’imagination. Plusieurs exemples pourraient être développés ici : A la recherche du temps perdu de Proust, des poèmes de Baudelaire, on pourrait même parler de l’intelligence artificielle – on peut automatiser les actions répétées consciemment, ceux qui relèvent de la mémoire-habitude, tandis que la mémoire-image, proprement humaine lui permet d’exprimer sa subjectivité et donc, sa créativité. C’est donc la mémoire à l’origine de toute la littérature. On peut également rappeler Freud, et son analyse de la subjectivité, en cas de manque d’inspiration.

2. La mémoire collective : apprendre de la mémoire pour ne pas reproduire les erreurs du passé. (Rousseau)

Si la mémoire n’est qu’habitude et répétition, cela impliquerait que l’homme ne pourrait pas évoluer, qu’il serait constamment enfermé dans ses schèmes de pensée et d’actions – des formes de cycle. La mémoire permet justement d’identifier ces schèmes pour en sortir et ne pas répéter ce qui a eu lieu dans le passé. On pourrait citer dans cette partie les confessions de Rousseau notamment, qui revient sur les erreurs de son passé pour les analyser et pour en déduire des leçons de morale pour ses contemporains, et surtout, pour lui-même.

On pourrait également s’appuyer dans cette partie sur les écrits de La Boétie. Selon lui, l’homme trouve son humanité en recouvrant un souvenir qui n’a pas été répété ni même expérimenté : celui de sa liberté. C’est une forme de mémoire qui ne repose ni sur la répétition, ni sur l’expérience, mais seulement sur l’imagination de grands génies, à savoir les Humanistes.

De la BOETIE, Mémoire et servitude volontaire (1573)

3. Habiter le présent : casser la routine de la mémoire (Ricoeur)

A partir de son analyse des régimes totalitaire, Ricoeur affirme que les sociétés peuvent parfois manifester un trop plein de mémoire ou un trop peu de mémoire. Trop de mémoire, trop d’oubli : ce sont là les deux écueils extrêmes, qui poussent l’homme à rechercher à la liberté là où elle ne peut pas être, dans le repli sur soi, dans son passé ou la rupture avec soi-même, avec son passé. La liberté réelle pour Ricoeur réside dans la connaissance, dans la réappropriation de ce qui nous détermine. La mémoire doit être à ce titre est constamment nourrie et remise en question. Elle requiert un exercice constant, répété, qui sert à justement produire autre chose que la répétition d’un souvenir figé, afin d’innover le sens du passé en le maintenant dans une ouverture vivante et libre. Cette ouverture nous invite à “habiter” le monde, à habiter le passé des héritages rendus vivants, parce que rationalisés et compris. Répéter constamment l’exercice de sa mémoire permet pour s’approprier le passé, nous rend véritablement libre.

Quelques éléments de conclusion

Il ne faut jamais négliger la conclusion d’un devoir. Dès que vous commencez à rédiger votre devoir assurez vous d’avoir jeté par écrit quelques éléments de la conclusion, afin d’avoir un devoir terminé, le cas échéant, vous en serez fortement pénalisés. Le début de la conclusion doit récapituler le mouvement de la pensée opéré lors du devoir – ici le renversement dialectique : la répétition est une partie constitutive du processus de la mémoire, mais la mémoire ne peut se réduire uniquement à la répétition, comme le montre Bergson avec sa distinction fondamentale entre la mémoire habitude et la mémoire image. La mémoire définit l’être humain justement parce qu’elle ne se réduit pas à la mémoire-habitude – la mémoire-image permet à l’homme d’être créatif et véritablement libre.

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